Le chant du cygne de la méthode Chavez : comment le Venezuela est arrivé à une situation où le défaut de paiement est presque inévitable<!-- --> | Atlantico.fr
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Le Venezuela possède les premières réserves de pétrole prouvées au niveau mondial.
Le Venezuela possède les premières réserves de pétrole prouvées au niveau mondial.
©Reuters

Banqueroute

Privé aujourd'hui de la moitié de ses ressources et devises à cause de la chute du prix du pétrole, en 2016, Caracas devra néanmoins rembourser 10 milliards de dollars de prêts (8,7 milliards d’euros). D’après le Wall Street Journal, le pays demande à l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep) une réunion d'urgence.

Christopher Dembik

Christopher Dembik

Avec une double formation française et polonaise, Christopher Dembik est diplômé de Sciences-Po Paris et de l’Institut d’Economie de l’Académie des Sciences polonaise. Il a vécu cinq ans à l’étranger, en Pologne et en Israël, où il a travaillé pour la Mission Economique de l’Ambassade de France et pour une start-up financière. Il est responsable de la recherche économique pour le Groupe Saxo Bank. 

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Atlantico : Comment expliquer que le Venezuela, qui avait pourtant toutes les ressources pour s'en sortir arrive à cette situation économique presque chaotique ?

Christopher Dembik : Selon l'OPEP, le Venezuela possède les premières réserves de pétrole prouvées au niveau mondial. Il a tout pour réussir. Au cours des quinze dernières années, un modèle économique efficace aurait pu permettre, grâce à la manne pétrolière, de diversifier le tissu industriel et de constituer un coussin desécurité pour affronter les périodes de conjoncture défavorable. Le modèle chaviste a eu l'effet contraire en accentuant sensiblement la dépendance du pays au pétrole. En 1998, juste avant l'arrivée d'Hugo Chavez au pouvoir, le pétrole représentait 74% des exportations du pays contre environ 95% de nos jours. Pour ainsi dire, le Venezuela n'exporte plus que du pétrole. 
Le problème, c'est que pour qu'un tel modèle économique fonctionne, il faut un prix du baril de pétrole élevé. On estime que le budget vénézuélien, dont 45% des recettes sont constituées par les revenus du pétrole, a besoin d'un baril à 120 dollars pour être à l'équilibre. Ce n'est plus le cas depuis l'an dernier. L'entrée dans un cycle baissier de long terme de l'or noir, qui devrait durer au moins encore cinq ans selon les modèles historiques, a accentué les difficultés économiques du pays et fortement déséquilibré la balance commerciale. Toutefois, il serait erroné de considérer que l'incurie économique actuelle du Venezuela se résume à un problème de balance commerciale, c'est bien plus profond. 

Quelle est la part de responsabilité de l'héritage laissé par la politique de Chavez ?

Le bilan d'Hugo Chavez est globalement négatif, à l'exception de sa politique sociale, les fameuses Misiones Bolivarianas, qui ont permis à un pans important de la population de sortir de la pauvreté. Son expérimentation en matière de démocratie locale est également intéressante et pourrait tout à fait être répliquée dans d'autres pays.

En revanche, le bilan économique est désastreux. L'industrie pétrolière vénézuélienne n'est plus compétitive depuis longtemps et souffre d'un sous-investissement chronique qui hypothèque l'avenir économique du pays. Tout a commencé lors de la grève générale de2002-2003 contre Hugo Chavez qui a commencé à PDVSA, l'entreprise pétrolière nationale. Elle a abouti au licenciement des deux tiers des cadres et des salariés, et notamment des ingénieurs hautement qualifiés. Ils ont été remplacés par des retraités et des jeunes qui, avec moins de deux ou trois ans d'expérience, ont été propulsés à de hautes responsabilités, ce qui a pénalisé les capacités de production du pays. Les ingénieurs chinois sont venus par la suite prendre le relais mais le retard pris est difficilement désormais à combler.

Dès 2005, Hugo Chavez et son gouvernement ont le contrôle complet des principales institutions du pays et notamment de PDVSA qui devient la vache à lait du régime. Ses revenus permettent de financer la politique sociale du gouvernement, ce qui peut sembler légitime dans une certaine mesure, mais le problème c'est qu'elle ne dispose alors plus de suffisamment de liquidités pour moderniser son appareil productif. Le sous-investissement a abouti à une situation ubuesque où le pays, qui possède environ 25% des réserves de pétrole mondiales, est contraint depuis juillet 2014 d'importer de l'or noir car son exploitation n'est plus rentable. En effet, le pétrole vénézuélien, en particulier les gisements de sables bitumeux, a un coût d'exploitation plus élevé qu'en Arabie Saoudite.

Pour être rentable, il faut un matériel de pointe et un prix du baril beaucoup plus important que celui qui prévaut actuellement. L'endettement de PDVSA est de plus en plus inquiétant pour la stabilité financière du pays. Il est probable qu'à terme l'entreprise fasse faillite sous l'effetde l'incompétence de son management, de sa dette croissante et des déperditions financières liées à la corruption qui a connu un bond depuis la mort d'Hugo Chavez. Pour l'instant, les investisseurs font encore confiance à l'entreprise qui se finance sur le marché nord-américain en dollars US, ce qui permet directement d'apporter des liquidités au budget de l'Etat vénézuélien. Mais le coût est élevé: un investisseur détenant une obligation de PDVSA arrivant à échéance en octobre prochain recevra un intérêt de plus de 30% en dollars ! C'est énorme. En dépit des diatribes anti-capitalistes d'Hugo Chavez et de son successeur Nicolas Maduro, le Venezuela semble faire confiance aux marchés financiers et être disposé à payer le prix fort pour continuer à y avoir accès.

Jusqu'où va aller cette crise ? Quelles sont les conséquences pratiques, notamment pour la population ?

Les pénuries vont s'accentuer inévitablement, qu'il s'agisse d'aliments de base ou de médicaments. Aujourd'hui, les plus pauvres passent presque une journée dans des files d'attente interminables pour se procurer un litre de lait ! Le pays ne produit plus rien, et n'est plus en mesure d'acheter des biens et produits étrangers. Il est devenu un pays du tiers-monde en l'espace de quelques années. Il ne peut pas y avoir de sortie de crise par le haut. Toutefois, à l'approche des élections législatives de fin d'année, il pourrait y avoir une légère amélioration du quotidien des vénézuéliens. Comme lors des précédentes élections, la Chine devrait fournir des biens manufacturés que le régime distribuera généreusement à la population. En échange, Caracas augmentera ses exportations de pétrole à bas coût à Pékin. Ce système a fait largement ses preuves pour garantir la pérennité du chavisme. Il est peu vraisemblable qu'on assiste à un mouvement de révolte important de la part de la population. L'opposition arrive à mobiliser plusieurs centaines de milliers de manifestants mais la répression est importante et l'image de Chavez reste encore favorable auprès d'une grande partie de l'opinion. Le régime actuel en profite.

Quelles sont les issues de secours pour éviter un défaut de paiement ? Est-il inévitable ?

Pour reconstruire l'économie et rétablir la confiance de la population et des investisseurs, le Venezuela devrait appliquer dès aujourd'hui une thérapie dechoc similaire à celle mise en oeuvre par beaucoup de pays d'Europe de l'Est à la chute du communisme. Il faudrait libéraliser les prix et les salaires, faire respecter le droit de la propriété, arrêter de subventionner le pétrole à la pompe, mettre un terme au financement du déficit budgétaire par création monétaire qui a conduit à une inflation autour de 700% selon les calculs du professeur Steve Hanke et, surtout, faire une grande réforme monétaire. C'est peut-être la première urgence.

La défiance de la population vis-à-vis de la monnaie officielle, le bolívar, est telle qu'un vaste marché noir s'est développé. Le principal cours officiel du bolívar est fixé à 6,3 bolívars pour un dollar mais sur le marché noir. En février 2014, il était à 150 bolívars pour un dollar et, aujourd'hui, il est à près de 700 bolívars. Pour mettre un terme à l'hyperinflation et à la méfiance de la population vis-à-vis de la monnaie nationale, plusieurs économistes soulignent la nécessité de mettre en place une caisse d'émission. C'est un système qui permettrait de caler le bolívar au dollar américain, cette dernière monnaie n'étant utilisée que pour les règlements internationaux. Un tel mécanisme a permis d'endiguer l'inflation dans les années 1990 dans plusieurs pays d'Amérique latine mais il a pour inconvénient de contraindre fortement la marge de manoeuvre de la politique monétaire et a favorisé, notamment, le défaut de paiement de l'Argentine.

Il serait certainement plus judicieux d'instituer un mécanisme hybride en fixant le taux dechange du bolívar par rapport à un panier constitué à 70% de dollar et à 30% de pétrole. Concrètement, le bolívar évoluerait à la fois en fonction du dollar américain mais également de l'évolution du prix du baril de pétrole, ce qui permettrait justement de prendre en compte la forte dépendance de l'économie nationale aux matières premières. Ce serait certainement le meilleur moyen pour permettre un redémarrage du cycle de production et de la création derichesses. Cependant, il y a peu de chances que le gouvernement actuel s'oriente vers ce type de mesures. 

Par conséquent, à moyen terme, un défaut de paiement reste fortement probable. Ce serait alors le onzième depuis 1826. Ce n'est pas obligatoirement une catastrophe puisqu'un défaut de paiement pourrait favoriser une transition politique et permettre de repartir sur des bases plus saines. C'est peut-être même la meilleure solution et la plus réaliste pour le pays. Le Venezuela est déjà un Etat failli. C'est le seul cas dans l'histoire contemporaine d'un Etat qui a fait défaut vis-à-vis de sa population mais qui continue de rembourser ses créanciers étrangers, au rang desquelles les grandes banques américaines qui détiennent massivement des obligations étatiques vénézueliennes. D'ici à 2020, le pays doit rembourser aux détenteurs d'obligations étatiques près de 55 milliards de dollars, soit une somme représentant le double des réserves de change de la banque centrale vénézuélienne. Il le fera en se refinançant à un coût prohibitif ce qui accentuera l'endettement du pays.

Le défaut de paiement est déjà en marche et certainement inéluctable. Selon des calculs partiels, l'Etat doit près de 12,6 milliards de dollars aux secteurs automobile, aérien, pharmaceutique et de la distribution alimentaire. Pour l'instant, le pays tient encore à flot grâce à l'aide chinoise. Dans le cadre du fonds Chine-Venezuela, Caracas a reçu depuis 2009 près de 55 milliards de dollars d'aide en échange de l'envoi à Pékin de 540 000 barils de pétrole par jour. Ce fonds permet d'éviter pour le moment le défaut de paiement mais c'est aussi un formidable outil de corruption. En dépit de la forte baisse du cours de l'or noir qui lui permet de s'approvisionner directement sur les marchés mondiaux, la Chine n'a pas intérêt aujourd'hui à laisser couler le Venezuela.

Stratégiquement, son aide permet d'avoir un accès direct aux premières réserves mondiales de pétrole et sa présence importante dans le pays constitue un point d'entrée idéal en Amérique latine. A plus long terme, les intérêts chinois peuvent évoluer et Pékin pourrait tout à faire accompagner un défaut depaiement ordonné si celui-ci lui permet de préserver ses intérêts économiques et financiers. Sachant que l'opposition n'a jamais critiqué la présence chinoise dans le pays, Pékin pourrait même tout à fait s'accommoder d'un nouveau gouvernement dirigé par la Mesa de la Unidad Democrática, la plateforme regroupant la majorité des opposants au chavisme. 

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