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La Ve République racontée par Alain Duhamel : la troisième mort du socialisme
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Bonnes feuilles

Depuis 50 ans, Alain Duhamel est le témoin privilégié de la vie politique française. Il nous livre ici les scènes politiques les plus frappantes, les plus significatives, les plus pittoresques, parfois les plus cocasses et quelquefois les plus sombres auxquelles il a assisté. Extrait de "Une histoire personnelle de la Ve République", publié chez Plon (2/2).

Alain Duhamel

Alain Duhamel

Alain Duhamel a publié plus d'une quinzaine d'ouvrages dont Les Peurs françaises Prix de l'essai de l'Académie Française et François Mitterrand, Portrait d'un artiste. Il a obtenu le Prix du Meilleur livre politique pour Une ambition française paru chez Plon en 1999. Il est éditorialiste à RTL, Libération, Le Point, et plusieurs journaux de province.

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C’est qu’entre-temps il y avait déjà eu les deux morts du socialisme – et François Hollande prenait l’économie plus au sérieux que François Mitterrand. Le discours du Bourget, tout enflammé qu’il ait été, semble après coup presque mesuré si l’on se rappelle les 110 propositions présentées en 1981 par François Mitterrand. Il n’empêche : une formule (« mon ennemi, c’est la finance ») et deux chiffres (soixante mille embauches supplémentaires pour l’Education nationale et 75 % de taux de prélèvements pour les salaires de plus de un million par an) ont créé le mythe provisoire d’une radicalisation. C’est sur cette base que François Hollande est élu. Victoire d’une grande rupture avec le sarkozysme et d’une petite rupture avec le marché.

C’est donc sur cette même base que François Hollande a mis en place le gouvernement Ayrault. On a été injuste avec Jean-Marc Ayrault en lui faisant porter une part déraisonnable du poids de l’échec politique, économique et social des deux premières années. L’ancien maire de Nantes, d’ailleurs excellent édile, est un homme solide, loyal, travailleur, combatif et cohérent, un social- démocrate typique. Il manque de charisme, il communique mal, il n’a cessé d’éprouver les pires difficultés à imposer son autorité. Outre qu’imposer son autorité à Arnaud Montebourg, Christiane Taubira, Cécile Duflot ou Manuel Valls relèverait d’un exploit prodigieux, le véritable responsable des désordres gouvernementaux s’appelle François Hollande.

Doublement : d’une part en avançant la fable du « Président normal » qui propulsait le Premier ministre en première ligne, puis en redevenant progressivement un président classique, centre de tous les pouvoirs ; d’autre part, en muant du candidat socialiste au président social-libéral. Au départ, à gauche de son Premier ministre. A l’arrivée, à sa droite. D’où durant deux ans ce flou perpétuel, à l’origine de tant de transgressions et de contradictions, d’où l’indiscipline gouvernementale chronique et l’illisibilité de la communication de Matignon. Ce n’est pas la faute de Jean-Marc Ayrault si François Hollande a changé à la fois de concept de présidence et de choix économiques de fond. Il est arrivé plus d’une fois au Premier ministre de réagir à contretemps ou d’apparaître démenti : c’est qu’il demeurait lui-même pendant que François Hollande devenait un autre. Et pourtant, même en tête à tête, le Premier ministre restait stoïquement fidèle au chef de l’Etat comme un Michel Poniatowski à Valéry Giscard d’Estaing, comme un Brice Hortefeux à Nicolas Sarkozy, comme un Pierre Joxe ou un Roland Dumas à François Mitterrand. Raidi dans sa loyauté gouvernementale face à la flexibilité présidentielle.

Avec Manuel Valls, c’est la situation exactement inverse. Le deuxième Premier ministre du quinquennat a pris ses fonctions face à un président de la République ayant intégré son statut et assumé ses choix. François Hollande ne feint plus d’être un demi-président, il est pleinement aujourd’hui le chef de l’Etat, sans ruse ni trompe-l’œil. Il est surtout un président social-libéral faisant de la compétitivité des entreprises la pierre d’achoppement du redressement, de la réduction des déficits publics le préalable de la croissance et de la baisse réelle des impôts le nouvel horizon. Sous Jean-Marc Ayrault, François Hollande annonçait une pause fiscale au moment où les Français recevaient une feuille d’impôts en nette hausse. Il prenait la défense des entreprises tout en les accablant de prélèvements supplémentaires ; il s’engageait à réduire impitoyablement les dépenses publiques tout en n’adoptant que des demi-mesures, par exemple à propos des retraites ou de l’emploi public. Il était tout et le contraire de tout. Aujourd’hui, il n’est qu’un.

Il a même un Premier ministre qui l’a précédé sur cette voie. Manuel Valls a toujours été un social-libéral depuis que, après avoir été le collaborateur des Premiers ministres Michel Rocard et Lionel Jospin, il est devenu lui-même un homme politique. Cela éclate dans les livres qu’il a écrits (La Laïcité en face, Pouvoir, Sécurité, Pour en finir avec le vieux socialisme… et être enfin de gauche, etc.), cela imprègne ses déclarations publiques, suscitant au passage la colère de Martine Aubry, alors première secrétaire du PS. Cela caractérisait sa candidature lors des primaires socialistes où il fut à la fois le plus brillant et le moins à gauche des candidats du PS. Cela se confirme dans son action de Premier ministre. Cela ressort le plus clairement du monde dans le texte du discours de politique générale inaugurant ses fonctions. Le mot n’y est pas mais l’esprit affleure sans cesse. Idéologiquement, François Hollande aboutit publiquement là où Manuel Valls commence.

C’est donc une expérience inédite qui débute : un président et un Premier ministre décidés à mettre en œuvre énergiquement et rapidement une politique sociale- libérale. Il s’agit bien, on peut le vérifier à travers tous les engagements pris en matière économique, budgétaire ou sociale, de social-libéralisme. C’est donc la troisième mort du socialisme à l’ancienne, la première naissance peut-être d’un socialisme français du XXIe siècle.

Cela peut-il réussir en trois ans ? Les obstacles semblent vertigineux : une croissance flasque ; des Français mécontents, déçus, furieux ou découragés ; une majorité exiguë et querelleuse, une opposition chaotique mais revancharde, des marchés soupçonneux et des partenaires européens inquiets. En face, un tandem exécutif cohérent et maintenant résolu, un environnement économique international plus stable, des Français plus ouverts au changement. Trois ans, c’est certes bien peu, mais une chose est sûre : si rien ne garantit que le social-libéralisme débutant puisse réussir, tout prouve que le socialisme finissant ne pouvait qu’échouer.

Extrait de "Une histoire personnelle de la Ve République", de Alain Duhamel, publié chez Plon, 2014. Pour acheter ce livre, cliquez ici

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