La subsidiarité ascendante : la clé pour redonner du pouvoir aux communes<!-- --> | Atlantico.fr
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Ismaël Benslimane et Raul Magni-Berton publient « Libérons nos communes ! Une défense de la subsidiarité ascendante » aux éditions PUF
Ismaël Benslimane et Raul Magni-Berton publient « Libérons nos communes ! Une défense de la subsidiarité ascendante » aux éditions PUF
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Bonnes feuilles

Ismaël Benslimane et Raul Magni-Berton publient « Libérons nos communes ! Une défense de la subsidiarité ascendante » aux éditions PUF. À l'heure d'une Europe en crise, les communes pourraient être la source de stabilité et de prospérité. La subsidiarité ascendante peut conférer davantage de pouvoir décisionnaire aux villes, leur permettant ainsi de gagner en souveraineté, à l'État en efficacité, et de satisfaire davantage les citoyens. Extrait 1/2.

Ismaël  Benslimane

Ismaël Benslimane

Ismaël Benslimane, docteur en philosophie politique, est président de l'Institut de recherche territoire démocratique (IRTD). Il a récemment fondé la Subsidiarity Academy LLC dans la zone économique spéciale Próspera ZEDE.

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Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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La commune est au cœur de notre vie quotidienne, et la commune doit être au cœur de nos institutions : tel sera le fil directeur de ce livre. Si nous regardons une carte de l’Europe au Moyen Âge (voir p. 9), nous constatons que les métro poles, les villes et les centres urbains d’aujourd’hui sont en tous points, à quelques exceptions près, les cités de l’époque médiévale. La situation des frontières étatiques donne un tout autre sentiment.

Les frontières des États n’ont fait qu’évoluer à travers le temps. À force de guerres sanguinaires et de mariages arrangés entre les familles monarchiques, les frontières ont été effacées et redessinées à travers les âges. Cette stabilité des cités face à cette instabilité des États reflète, comme disent les philosophes, une propriété ontologique : les États sont des conventions sociales alors que les communes sont des réalités physiques. Certes, les limites d’une commune peuvent être floues et évoluer. Plusieurs communes peuvent administrativement fusionner, une commune peut s’étendre, et il peut être difficile de définir la limite d’une mégalopole qui a atteint la taille d’un département ou d’une région, mais convenons-en ici, les communes ont une réalité matérielle bien plus forte que les départements, les régions, États ou fédérations d’États telle l’Union européenne. Cela ne veut pas dire que la commune, tel un atome composé de quarks, ne peut pas être composée de sous-entités ayant leur réalité propre (arrondissements, quartiers ou les îlots urbains), mais simplement que la commune représente une réalité physique, qui est l’unité minimale autonome à partir de laquelle des ensembles plus grands peuvent se construire. Un quark dans un proton a besoin d’autres quarks pour pouvoir survivre ; de même un quartier, un arrondissement ou un îlot urbain a besoin des autres quartiers afin de former un territoire qui offre à ces habitants la plupart des services nécessaires à la vie quotidienne. C’est ce que les géographes et urbanistes appellent « le bassin de vie », c’est-à-dire « le plus petit territoire sur lequel les habitants ont accès aux équipements et services les plus courants » selon l’Insee. Tout au long de ce livre, ce que nous appellerons de manière générique « commune », « ville », « cité » ou « territoire » désignera en réalité cette notion plus précise de bassin de vie.

Il n’est pas rare d’entendre des intellectuels dire qu’ils se sentent profondément citoyens européens, souvent pour illustrer qu’ils ne sont pas nationalistes. Beaucoup voient aussi d’un bon œil le projet de réaliser à terme des États-Unis d’Europe. À l’inverse, ces intellectuels critiquent souvent le chauvinisme exacerbé de l’électorat d’un Donald Trump. Se sentir européen, c’est aussi vouloir s’unir sur des bases identitaires qui sont loin d’être évidentes et qui sont, en réalité, tout aussi chauvines. Pourquoi un Parisien devrait se sentir plus uni avec un Vilniusien (habitant de la capitale de Lituanie) qu’avec un Algérois ? Pourquoi l’Europe serait-elle la frontière administrative idéale ? L’Europe est en effet un étrange continent qui ne respecte même pas la définition d’un continent, c’est-à-dire une vaste étendue de terre entourée d’eau. Si l’on prend une définition classique des frontières de l’Europe, à savoir jusqu’au massif de l’Oural à l’Est, alors 78 %des Russes vivent en Europe et 40 % de l’Europe fait partie de la fédération de Russie ! Qu’est-ce que veut dire se sentir européen dans ces conditions ? Et surtout, pourquoi se dire européen serait moins chauvin qu’un Californien qui dirait se sentir américain ? Selon nous, et sans jugement de valeur, les deux conceptions peuvent être tout aussi identitaires. Elles provoquent et continueront de provoquer des débats sans fin sur les frontières idéales selon les différences culturelles, linguistiques ou religieuses. Ces conceptions affirment un sentiment d’appartenance à une identité construite par les aléas de l’histoire et qui ne peut être le fondement rationnel de droits démocratiques. Comme le notait Murray N. Rothbard :

Une fois que l’on admet qu’un gouvernement mondial unique n’est pas nécessaire, alors où s’arrête-t-on logiquement à la possibilité d’États distincts ? Si le Canada et les États-Unis peuvent être des nations séparées sans être dénoncés comme étant dans un état « d’anarchie » inadmissible, pourquoi le sud ne pourrait il pas faire sécession des États-Unis ? L’État de New York de l’Union ? La ville de New York de l’État ? Pourquoi Manhattan ne pourrait-elle pas faire sécession ? Chaque quartier ? Chaque bloc ? Chaque maison ? Chaque personne ?

Avant une citoyenneté mondiale, européenne, nationale ou régionale, nous allons défendre une citoyenneté de la cité. Rien de très original pour autant : la citoyenneté a souvent été celle des cités. Que ce soit du temps de la Grèce antique ou après la chute de l’Empire romain avec les prospères cités-États de Gênes, Venise, ou encore Genève, la citoyenneté était avant tout locale plutôt que nationale. Le concept même d’État-nation et de ces citoyens est récent. En France, la citoyenneté des villes s’appelait la « bourgeoisie » jusqu’à la Révolution française, où le terme « citoyen » a officiellement remplacé celui de « bourgeois ». C’est donc seulement à partir du XIXe siècle que l’on s’est mis à parler de « citoyen de France » plutôt que de « bourgeois de Paris », « bourgeois de Bordeaux » ou « bourgeois de Lyon ».

La conception communaliste que nous allons défendre peut sembler très éloignée de la conception française de l’État-nation. En effet, l’article premier de la Constitution a inscrit dans le marbre l’indivisibilité de la nation. Le communalisme, qui paraît si peu « français », est pourtant au cœur de l’histoire intellectuelle de la France. C’est Ernest Renan qui imagina la conception française d’une nation comme un «plébiscite de tous les jours ». En opposition à des conceptions fondées sur des peuples préétablis, Renan rappelle qu’une « nation n’a pas plus qu’un roi le droit de dire à une province : “Tu m’appartiens, je te prends”. Une province, pour nous, ce sont ses habitants ; si quelqu’un en cette affaire a droit d’être consulté, c’est l’habitant. Une nation n’a jamais un véritable intérêt à s’annexer ou à retenir un pays malgré lui. Le vœu des nations est, en définitive, le seul critérium légitime, celui auquel il faut toujours en revenir 1 ». Ce texte, enseigné dans les écoles et figurant au programme des examens de la fonction publique française, est devenu l’emblème de la conception française de l’État nation. Dans ce livre, notre conception de la nation est ni plus ni moins celle décrite par Renan : une conception de la nation qui se construit par le bas, par le local, c’est-à-dire par ce qu’on appelle la subsidiarité ascendante.

Tout au long de cet ouvrage, nous allons défendre l’idée qu’il faut redonner du pouvoir aux communes, que ces dernières doivent retrouver leur autonomie et que la démocratie doit avant tout se construire par le local. Pourquoi vouloir chambouler l’État-nation alors que le statu quo actuel a permis d’offrir de nombreux droits aux individus, tels que le droit de vote universel, le droit d’association, le droit de s’organiser en parti politique, le droit de se présenter à une élection, le droit de s’exprimer librement et de critiquer le gouvernement ? Tous ces droits n’étaient pas acquis d’avance, et il y a moins d’un siècle, bon nombre d’entre eux étaient inconnus des nations industrialisées. Ils ont été acquis avec difficulté et il est peut-être risqué de déconstruire cet édifice au profit d’une nouvelle organisation politique, plus locale. De plus, comme pour les légumes, ce n’est pas parce que c’est local que c’est forcément bon. Des dictatures existent dans des micro-États et des petits chefs autoritaires rêvent partout sur la planète d’accaparer le pouvoir.

Extrait du livre d’Ismaël Benslimane et de Raul Magni-Berton, « Libérons nos communes ! Une défense de la subsidiarité ascendante », aux éditions PUF.

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