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La souveraineté a un coût
©©LUDOVIC MARIN / AFP

Souveraineté par-ci, souveraineté par-là

La souveraineté, en France et en Europe, est à la mode. Pas un jour sans qu’elle soit évoquée, pas une difficulté qui ne se traite au travers de ce nouveau mantra : souveraineté énergétique à construire face aux difficultés nées de la guerre en Ukraine, souveraineté numérique face aux géants américains qu’il faut discipliner, souveraineté industrielle pour rapatrier les usines que nous avons inconsidérément fermées, précipitant notre désindustrialisation

Bruno Alomar

Bruno Alomar

Bruno Alomar, économiste, auteur de La Réforme ou l’insignifiance : 10 ans pour sauver l’Union européenne (Ed.Ecole de Guerre – 2018).

 
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Bien sûr, l’on pourrait rappeler que ceux-là mêmes qui ont pris la souveraineté comme étendard, frappés sur le chemin de Damas, en ont été jusqu’à il y a peu les féroces détracteurs, au nom d’un libre échange dont ils promettaient prospérité et paix. Plus encore faudrait-il, derrière les slogans, garder le sens de la mesure : en fait d’ouverture et de fermeture des économies, des nuances entre libre échange intégral et autarcie complète existent.

Qu’il soit permis ici, sans prendre parti au fond, de rappeler qu’en fait d’éthique de responsabilité, parler de souveraineté est loisible. Encore faut-il que les citoyens auxquels les discours portant beau la souveraineté sont destinés soient conscients des conséquences – ils peuvent vouloir les assumer - qu’elle emporte, et notamment de son coût. Prenons deux exemples, au plan macro-économique et sur un plan plus sectoriel.

Au plan macro-économique, la souveraineté, que les économistes approcheraient plutôt au travers du concept mieux maîtrisé de protectionnisme, se paye. Il n’est pas inutile de s’en rappeler alors que le pouvoir d’achat est une priorité de Français qui (re) découvrent les méfaits de l’inflation. Il n’est pas besoin de lire David Ricardo pour comprendre cette chose simple : la fermeture des frontières signifie plus d’inflation, donc moins de pouvoir d’achat. Parfois, cette fermeture est imposée une guerre. Parfois, elle résulte de choix délibérés, au nom de la souveraineté. Ainsi, alors que l’indice américain des prix à la consommation a atteint 8,3% en avril, le Peterson Institute for International Economics (PIIE), a récemment proposé un train de réduction partielle des barrières commerciales imposées par l’administration Trump et maintenues en l’état, évaluant l’effet général sur les prix pour le consommateur américain à -1,3%.

Au plan sectoriel également, une approche en termes de souveraineté a ses coûts, ou ses contradictions quand ces derniers ne sont pas assumés. La situation cornélienne de l’Allemagne en matière énergétique l’illustre. Le domaine numérique également, sur lequel il est intéressant de s’arrêter tant tout l’action européenne récente se revendique de la souveraineté. C’est le cas en matière de régulation. Le Digital services act (DSA) récemment adopté, se présente comme un acte fort d’indépendance européenne à l’égard des grandes entreprises américaines du numérique. C’est louable. Pourtant, en même temps, c’est largement à ces mêmes entreprises que les Pouvoirs publics demandent de jouer les supplétifs pour faire la police des comportements sur le net. C’est aussi le cas en matière de financement. Le Président Pompidou, qui s’y connaissait en matière de souveraineté, ne disait-il pas qu’il ne fallait pas accepter de l’argent de l’étranger ? Pourtant, l’UE, en matière de financement des réseaux de télécommunications, multiplie les déclarations indiquant que les GAFAM – lesquels auront quelques velléités de ne pas faire cela « gratuitement » - auront leur rôle à jouer. Plus largement, alors même que l’UE n’en finit pas de durcir son combat pour la concurrence contre les grandes entreprises américaines jusqu’à l’adoption d’un droit d’exception (le Digital markets act), l’on s’interroge peu sur le rôle essentiel des services digitaux dans la compétitivité de nos autres secteurs. Pour prendre l’exemple de l’automobile, si l’on se félicite que PSA ou Renault emboitent le pas de Tesla en matière de numérisation, a-t-on pensé au coût que représenterait le fait de se priver d’une partie des innovations pensées outre-Atlantique ? 

Protectionnisme/souveraineté ou bien ouverture/libre échange : autant de choix politiques qu’il faut assumer. Sans oublier, comme la fable du chien et du loup de Jean de La Fontaine le rappelle, que tout a un prix, et que ce l’on peut gagner a souvent sa contrepartie.

Bruno Alomar

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