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La sobriété tragique de Cicéron sur la mort de la République romaine
©Cicéron démasque Catilina

Bonnes feuilles

Jean-Noël Robert publie "L’Agonie d’une République" aux éditions Les Belles Lettres. De 133 avant notre ère, lorsque Tiberius Gracchus fut éliminé jusqu’à la mort d’Antoine à Alexandrie, à l’été 30, un siècle de guerres civiles et de violences ont ravagé Rome et l’Italie. Les plus grands généraux, Pompée, César, Antoine… sont parvenus à faire chuter un régime politique que plusieurs siècles avaient réussi à édifier. Extrait 1/2.

Jean-Noël Robert

Jean-Noël Robert

Jean-Noël Robert est latiniste et historien de Rome. Auteur de nombreux livres sur l’antiquité romaine, dont Pompéi, De Rome à la Chine et Les plaisirs romains, il est aussi directeur de collections aux Belles Lettres. 

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« La République est morte. » 

À plusieurs reprises dans sa correspondance, depuis 58, Cicéron délivre son diagnostic avec une sobriété tragique. Dix ans avant l’assassinat de César, le consul de 63 fonde son analyse sur les ravages que cause une violence politique devenue endémique. L’Italie est dévastée, l’insécurité permanente. En 41, les Romains « fermaient boutique et chassaient les magistrats étant donné qu’on n’avait nul besoin d’artisans ou de magistrats dans une ville accablée par la misère et le pillage », note Appien. Pour ne rien dire de la famine qui tord les ventres jusqu’en 36 en raison du blocus imposé par Sextus Pompée, le fils du général vaincu par César à Pharsale. Tacite établit le même constat, à partir de 49. « Pendant vingt années, ce ne furent que guerres ; aucune loi, aucune coutume n’était observée ; les pires crimes restaient impunis, et souvent la mort était le prix de la vertu. » La vertu ! Cette virtus romana, emblème de la République romaine à son heure de gloire. Cette vertu sur laquelle pleurait Brutus sur le point de se donner la mort.

L’assassin de César s’apercevait qu’elle n’était plus qu’un leurre, qu’elle était devenue « l’esclave de la Fortune ». Toutefois, Brutus pouvait-il ignorer que depuis Tiberius Gracchus, l’histoire de la République n’avait enregistré qu’une longue litanie de guerres intestines incessantes ? Seules deux périodes avaient permis la restauration d’un calme relatif : les dictatures de Sylla et de César. Deux dictatures qui ne répondaient plus à la définition du mot ni à l’esprit de la fonction tels que les avaient prévus les institutions républicaines. Deux dictatures qui avaient permis que deux tyrans accaparassent le pouvoir, selon les républicains. Deux dictatures qui ne pouvaient engendrer qu’un pouvoir monarchique, ainsi que Salluste l’avait prophétisé : « Lorsque les citoyens en viendront aux mains entre eux, alors, épuisés et exsangues, ils deviendront la proie d’un roi ou de quelque nation étrangère. » 

En ce qui concerne « les discordes civiles », Cicéron s’efforce de distinguer les contestations des aristocrates des activités terroristes de ceux qui veulent détruire l’État pour s’arroger un pouvoir tyrannique. Mais la frontière s’avère parfois bien mince entre ces deux catégories. Dans l’une de ses Catilinaires, l’orateur en appelle aux souvenirs des Romains qui l’écoutent, au Forum, le soir du 3 décembre 63. Il évoque les horreurs des guerres civiles, les heurts violents des hommes de Marius contre ceux de Sylla, les proscriptions du second, les citoyens sacrifiés, les malheurs endurés par la République… « Et cependant, citoyens, ces mouvements avaient tous un caractère commun : ils visaient, non à détruire, mais à transformer la République ; on voulait, non pas supprimer la République, mais avoir une République où l’on tiendrait les premiers rangs, non pas brûler Rome, mais dans cette Rome, jouir du pouvoir. » Dans un autre discours, Cicéron se réfère à la loi de vi (sur la violence) proposée par Q. Lutatius Catulus Capitolinus et adoptée en 77, « ordonnant d’instruire sans distinction de jour le cas des factieux et des conspirateurs, coupables d’avoir, à main armée, assiégé le Sénat, outragé les magistrats, attaqué la République ». En effet, cette lex Lutatia semble avoir eu pour objectif de réprimer les actes de violence commis par des magistrats et des sénateurs. Mais que pouvait cette loi (et d’autres similaires) contre la confusion qui régnait depuis la nouvelle conception de l’État imposée par Tiberius Gracchus, puis par son frère, pour rendre au peuple sa souveraineté ? Les lois des deux Gracques, votées par les assemblées populaires au mépris de l’opposition des élites avaient laissé souffler un vent de panique dans les rangs sénatoriaux, allant jusqu’à justifier qu’un consul (Opimius) pût supprimer un tribun jure (à bon droit) et à refuser à un citoyen accusé le droit de se défendre en justice. La distribution des terres publiques aux citoyens nécessiteux posait de façon cruciale la question des droits du peuple sur les biens communs, et, plus encore celle de la décision politique : qui peut décider ? Tiberius revendiquait clairement le droit du peuple, membre à part entière de l’État républicain, à disposer de ce qui, en réalité, lui appartient.

Extrait du livre de Jean-Noël Robert, "L'agonie d'une République, La violence à Rome au temps de César", publié aux éditions Les Belles Lettres 

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