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Jean-David Zeitoun a publié « La Grande Extension : Histoire de la santé humaine » aux éditions Denoël.
Jean-David Zeitoun a publié « La Grande Extension : Histoire de la santé humaine » aux éditions Denoël.
©JEFF PACHOUD / AFP

"La grande extension : histoire de la santé humaine"

L'amélioration de la santé humaine est une anomalie à l'échelle de l'évolution. En deux siècles, notre longévité a doublé. La pandémie est une illustration des dysfonctionnements des sociétés humaines et notamment de leur rapport à l'environnement. Jean-David Zeitoun a publié « La Grande Extension : Histoire de la santé humaine » aux éditions Denoël.

Jean Petaux

Jean Petaux

Jean Petaux, docteur habilité à diriger des recherches en science politique, a enseigné et a été pendant 31 ans membre de l’équipe de direction de Sciences Po Bordeaux, jusqu’au 1er janvier 2022, établissement dont il est lui-même diplômé (1978).

Auteur d’une quinzaine d’ouvrages, son dernier livre, en librairie le 9 septembre 2022, est intitulé : « L’Appel du 18 juin 1940. Usages politiques d’un mythe ». Il est publié aux éditions Le Bord de l’Eau dans la collection « Territoires du politique » qu’il dirige.

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S’il est une espèce d’experts es-expertise qui a connu une croissance quantitative, inversement proportionnelle à la qualité des propos tenus, depuis mars 2020, c’est bien celle des spécialistes de la santé, de la médecine et de tous domaines voisins. On sait désormais où tout cela a pu conduire : un bavardage permanent dont on ne mesure même plus les UBM (Unités de bruit médiatique) où les Diafoirus de plateaux télés ont rivalisé de propos de comptoirs, plus attachés à contredire leurs collègues qu’à informer intelligemment les Français. Raison de plus pour s’intéresser à des travaux rares qui privilégient la recherche et la connaissance, le format long et la mise en perspective, contre les approximations et autres raccourcis des « Docteurs Je sais tout ». L’ouvrage de Jean-David Zeitoun, « La Grande extension. Histoire de la santé humaine » publié chez Denoël en mai 2021 appartient à cette catégorie de livres qui vous apportent une somme considérable d’informations. À lire, confiné ou pas, pour clouer le bec aux « cons finis ».

Jean-David Zeitoun, 42 ans, est gastro-entérologue à Paris. Il est aussi docteur en épidémiologie clinique. Il partage son activité professionnelle entre une partie de son temps en cabinet et une autre à l’hôpital. Médecin, titulaire d’un master de Sciences Po Paris en santé publique, l’homme est chaleureux, d’une vivacité intellectuelle communicative. Il fait partie de cette catégorie humaine qui a le don de rendre intelligents ses interlocuteurs. Une de ses collègues à Sciences Po Paris, en charge aujourd’hui d’une responsabilité importante en région Nouvelle-Aquitaine, rapporte à son sujet : « Nous étions tous d’un bon niveau dans ce master de Sciences Po, mais il y en avait un parmi nous qui était nettement au-dessus du lot tout en étant très sympa, c’était Jean-David ».

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De quoi traite « La Grande extension » ? Tout simplement de l’histoire de la santé. Et pas de celle de la médecine. L’auteur le dit d’emblée dans l’introduction de son livre : « L’histoire de la santé n’est pas l’histoire de la médecine car la santé n’est déterminée qu’à 10-20% par la médecine ». Et, un peu plus loin : « Les histoires de la médecine centrées sur le soin ne permettent pas de compréhension d’ensemble de l’extension de la santé humaine ». Il s’agit donc bien, dans cet ouvrage, d’une « histoire sociale », autrement dit d’une approche holiste de la santé humaine. Il est tout sauf négligeable d’entamer la lecture des 352 pages du livre de J.D. Zeitoun à partir de ce point de vue. Quatre grandes parties structurent le texte. La première traite de l’ère microbienne. Pour faire simple elle part de la préhistoire et s’achève avec la Seconde guerre mondiale. La deuxième concerne la deuxième moitié du XXème siècle. J.D. Zeitoun la qualifie « d’ère médicale ». La troisième partie traite des trois problématiques de la santé au XXIème siècle et la dernière, au titre inquiétant, aborde « la rétrogression ».

Jusqu’en 1750, rappelle Jean-David Zeitoun, l’être humain occidental, depuis qu’il a quitté la grotte de Lascaux, autrement dit depuis la préhistoire, ne doit pas espérer vivre, en moyenne, plus de trente ans. La mortalité infantile est considérable, la violence des sociétés humaines, les guerres et les épidémies fonctionnent comme trois extraordinaires « faucheuses » qui coupent et arasent les courbes démographiques. Le double combat mené pour la désinfection d’une part et l’alimentation d’autre part va, enfin, amorcer une progression lente mais régulière de l’espérance de vie. Érudit, fouillé, le texte évoque toute une série de courants moteurs au XIXème siècle pour imposer des normes hygiénistes aux sociétés. On connait en France le fameux rapport de Louis-René Villermé qui résulte de plusieurs grands travaux de recherche entre 1822 et 1830 et qui correspond, peu ou prou, à la naissance de la santé publique en France. On connait moins, chez nous, le « Mouvement sanitaire » porté par un avocat anglais de Manchester, Sir Edwin Chadwick entre 1880 et 1890. Alors que ce qui se met en place ici est considérable en termes d’effets et de conséquences sur la santé des populations occidentales. Zeitoun, dans ce chapitre, a cette phrase, d’une troublante actualité : « Les humains sont mauvais pour anticiper les problèmes mais moins mauvais pour réagir ».

Progrès sanitaires d’abord, découvertes scientifiques ensuite

Il ne faut pas croire que les progrès en matière de santé publique se sont déroulés sans à-coups et sous les applaudissements de l’ensemble de la profession médicale. Sur ce point, le « covidiots » ont eu des ancêtres qui les ont largement précédés dans la sottise. L’auteur évoque John Snow et ses travaux remarquables contre le choléra, lancés dans un scepticisme général. Bien plus triste le destin d’un médecin juif hongrois exerçant à Vienne, qui a sauvé la vie de milliers de femmes : Ignas Semmelweiss. Il va mourir dans un asile en 1855 à l’âge de 47 ans. Jeune praticien, accoucheur, il a lutté contre la fièvre puerpérale qui tuait de très nombreuses femmes après leur accouchement.  Il imposa, dans son service, sous les critiques de ses pairs, aussi médiocres médecins que foncièrement antisémites, de faire bouillir les tissus qui servaient de « champs » pour les accouchements, les désinfectant du même coup. Autre préconisation « audacieuse » : que les soignants se lavent les mains… Semmelweiss eut le temps de voir le taux de mortalité s’effondrer dans son service avant d’être forcé de quitter Vienne et de rentrer en Hongrie, pour y mourir abandonné de tous. Tant il est vrai que les institutions et les pouvoirs constitués ont parfois le génie de maltraiter les « gens de bien ». Que dire aussi des conflits entre le Français Louis Pasteur et l’Allemand Robert Koch ?  Jean-David Zeitoun les qualifie tous les deux de « géants de la théorie des germes ». Mais leur rivalité était telle que la géopolitique n’en était pas très éloignée. Bien sûr, la grippe espagnole fait l’objet d’un traitement particulier dans le livre, ne serait-ce que parce qu’en moins de vingt mois elle a décimé 1,1% de la population européenne, soit 2,64 millions d’habitants : plus que le nombre de soldats français et allemands tués ente 1914 et 1918.

À partir de 1945, tout change. La pénicilline, bel exemple de sérendipité, découverte par Fleming en 1928, a été introduite dans les protocoles de soins en 1941. On se souvient que pendant les grandes batailles de la Seconde guerre mondiale les docteurs US, aux combats, en usèrent systématiquement sur les graves blessures. La streptomycine, autre médicament miracle (« wonder drugs » en anglais), a été isolée en 1943. La seconde moitié du XXè siècle est celle, nous dit Zeitoun, de « l’ère médicale ». Tout change, à une vitesse phénoménale, aussi bien dans la lutte contre les maladies cardio-vasculaires avec la technique du « pontage coronarien » que dans celle contre les cancers. Au point qu’au tournant du millénaire, il est commun de penser que les médicaments vont être en mesure de nous guérir de toutes les maladies.

Le poids du facteur humain et celui des maladies chroniques

Mais il se trouve que la santé n’étant pas réduite à la seule médecine, la troisième période, celle que nous vivons depuis 2000, porte considérablement la marque du facteur humain. Jean-David Zeitoun le dit fort bien à propos du cancer du poumon qui tue entre 5 et 6 millions de personnes chaque année sur la planète : « Le cancer du poumon est spécial tant il est lié à un facteur de risque extérieur qui est le tabac. La grande majorité des cancers du poumon doivent leur existence à la fumée de cigarette. Si le tabac n’existait pas, le cancer du poumon n’existerait presque pas. Il serait environ dix fois moins plus présent ce qui en ferait un cancer rare. Peu de cancers sont aussi dépendants d’une seule cause ». Il existe pourtant désormais d’autres périls : les maladies chroniques. Le tabac, l’alcool, la sédentarité et le surpoids sont les quatre risques qui expliquent une part importante des quatre maladies considérées comme chroniques aujourd’hui : maladies cardiovasculaires, cancers, pathologies respiratoires et diabète. Et comme si cela ne suffisait pas, les maladies mentales, dont la schizophrénie, de plus en plus présentes en Europe, par exemple, concernent désormais 7 millions d’individus. Les maladies de la douleur telles que le « mal de dos » figurent aussi parmi les maladies chroniques récentes. On estime aux USA que les dépenses médicales qu’elles génèrent annuellement dépassent, aujourd’hui, 88 milliards de dollars, soit le troisième poste de dépenses médicales.

Une pandémie qui nous parle de nous

Alors voici le temps de la « rétrogression ». Celui où l’espérance de vie a cessé de connaitre une progression constante. Jean-David Zeitoun documente remarquablement bien cette partie en se référant aux travaux d’Anne Case et Angus Deaton, deux chercheurs qui ont travaillé sur la dégradation du système de santé nord-américain. Ils ont montré comment, entre 1999 et 2013, les populations afro-américaines et « latinos » d’âge moyen d’abord et les plus de 65 ans, ensuite, indistinctement de la couleur de leur peau ou de leurs origines, ont  vu baisser leur espérance de vie. Principales causes : l’alcool, les opioïdes et les suicides. À leur sujet Case et Deaton parlent de « morts de désespoir ». C’est bien là que la dimension sociale de la santé prend le pas sur la seule science médicale.

La relation est immédiate ici avec ce que vit la planète depuis près de deux ans désormais avec le SARS-Cov-2. De nos jours, nous dit Zeitoun dans sa conclusion, deux enjeux majeurs pèsent sur la santé humaine : le risque environnemental et le risque comportemental. « La pandémie de Covid-19 est un produit de l’Anthropocène. Elle nous parle de nous » écrit Jean-David Zeitoun. Et d’énumérer cinq vérités devenues évidentes depuis un an. Premièrement, celle de ses causes qui n’ont rien d’accidentelles puisqu’elles sont liées à la débâcle de la biodiversité. Deuxièmement la pandémie insiste sur deux constantes de l’histoire humaine : le déni et l’oubli. Troisièmement, la pandémie nous provoque en visant nos fragilités. Quatrièmement les humains ont découvert combien leurs sociétés manquaient de flexibilité. Mais, et c’est sur cette cinquième vérité, optimiste, qu’il faut conclure : la pandémie a aussi montré ce qu’il était possible de faire. J. D. Zeitoun écrit : « Chacun a pu être impressionné par l’adaptation brutalement efficace du complexe médico-industriel. Les hôpitaux et les soignants se sont réinitialisés et les systèmes n’ont pas craqué. Les industriels ont réorienté leur activité pour lancer des programmes de développements vaccinaux par centaines. Plusieurs vaccins très protecteurs ont été validés en moins d’un an alors que les commentateurs prétendaient que c’était impossible ».

Pour un « Mouvement sanitaire mondial »

L’auteur plaide, in fine, pour le déclenchement d’un « Mouvement sanitaire mondial » et espère que la pandémie va y contribuer. Il rejoint ainsi tous ceux qui estiment que la lutte contre la pandémie doit forcément être planétaire et universelle. Au-delà, ce qui est en question c’est non seulement l’extension de la durée de la vie, c’est surtout l’extension de la santé. Tout comme S. Jay Olshansky, Jean-David Zeitoun, considère que « nous ne devrions pas être obsédés par notre longévité, mais plutôt nous concentrer sur ce que contient la vie ». Question forcément philosophique qui revient à s’interroger sur le sens de nos existences./.

Jean PETAUX

Politologue

On trouvera un échange très éclairant entre Jean-David Zeitoun et l’auteur de cette critique sur la chaine YouTube de la Librairie Mollat

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