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Les applications de reconnaissance faciale sont en train de coloniser notre quotidien.
Les applications de reconnaissance faciale sont en train de coloniser notre quotidien.
©Reuters

Shazam face

FaceFirst, DeepFace (Facebook), FaceNet (Google)... Pour reconnaître les visages, les nouvelles applis repèrent automatiquement un certain nombre de points sur les images comme les extrémités des yeux, des narines ou les commissures de lèvres.

Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia

Jean-Gabriel Ganascia est professeur à l'université Pierre et Marie Curie (Paris VI) où il enseigne principalement l'informatique, l'intelligence artificielle et les sciences cognitives. Il poursuit des recherches au sein du LIP6, dans le thème APA du pôle IA où il anime l'équipe ACASA .
 

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Atlantico : Il existe aujourd'hui de nombreuses applications de reconnaissance faciale. En quoi peut-on dire que celle-ci est plus présente dans nos quotidiens qu'on ne le pense ? Quels en sont les principaux exemples ? Pour quelles applications ?

Jean-Gabriel Ganascia : Rappelons d’abord que la reconnaissance des visages a quelque chose de magique : même après quelques années d’absence, nous identifions une personne d’un coup d’œil, sans savoir exactement ce qui fait que nous la reconnaissons ou croyons la reconnaître. Bien sûr, si elle s’est laissée pousser la barbe ou si elle s’est coupée les cheveux, ou encore si elle a décidé de changer la couleur de ses yeux, il arrive que l’on soit pris d’un doute. Il se peut aussi que l’on se trompe en croyant à tort reconnaître une personne. Mais, ces hésitations restent somme toute relativement rares. Jusqu’à peu, il y avait quelque chose d’impondérable dans cette reconnaissance. Or, aujourd’hui, on est capable de construire des machines qui opèrent cette reconnaissance avec une grande fiabilité. On a trouvé de nombreuses applications dont l’identification d’une personne pour le contrôle des passeports aux frontières, ou le déverrouillage des téléphones portables qui "reconnaissent" le visage de leur maître. Certains imaginent que le nom des personnes reconnus soit projetée sur notre champ de vision par réalité augmentée ou même sur les lunettes à écran comme les Google Glass de sorte qu’on les identifie avec précision.

Quels enjeux économiques se cachent derrière le développement de la reconnaissance faciale par les grandes entreprises du numérique ? A quoi pourront éventuellement servir des bases de données établies à partir de la reconnaissance faciale ?

Pour reconnaître les visages, les ordinateurs repèrent automatiquement un certain nombre de points d’intérêt sur les images, par exemple, les extrémités des yeux, des narines, les commissures de lèvres, etc. Ensuite, les proportions respectives entre ces points d’intérêt sont calculées puis comparées avec celles qui ont été extraites des photographies d’un grand nombre de visages. Plus il existe de points d’intérêt, plus la reconnaissance est fiable. Mais, bien entendu, pour être en mesure de reconnaître le visage d’une personne avec ces techniques, il faut que la photographie de cette personne ait été préalablement enregistrée dans une base de données. Comme les acteurs de l’internet que l’on range sous le sigle des "GAFA" disposent d’un grand nombre de photographies annotées avec le nom des personnes, ils procèdent sans difficulté à la mise en œuvre de la reconnaissance des visages. Songeons à toutes les photographies accumulées par les réseaux sociaux comme Facebook, Google+, Picasso, ou iPhoto pour Apple, voire Flickr... Ces acteurs se trouvent donc en situation privilégiée sur les marchés de la reconnaissance des visages. Celle-ci peut avoir des fins policières, par exemple pour le contrôle de l’identité aux frontières. Pour les GAFA, cela a surtout des objectifs commerciaux : comment mieux servir un client qu’en le reconnaissant ? Cela aide à cibler ses désirs et à proposer la publicité idoine, avec un meilleur taux de retour...

Concrètement quels sont les risques liés au développement de ces technologies de reconnaissance faciale pour les citoyens ? En quoi doit-on rester prudent?

Bien évidemment, le principal risque est policier. Où que nous soyons, dans la rue, dans les transports, dans les magasins ou dans les bâtiments publics nous serons reconnus automatiquement... et donc suivi à la trace sans même avoir besoin d’allumer son téléphone portable, de payer avec sa carte de crédit ou de glisser son passe Navigo dans un portillon automatique... Qui plus est, ce n’est plus l’Etat seul qui disposera de ces informations, mais des sociétés privées qui seront libres de les revendre à qui leur semblera bon.

Aux Etats-Unis des lois sur la protection des données biométriques ont été mises en place, notamment pour encadrer la collecte de ces données liées à la reconnaissance faciale au Texas et dans l'Illinois. Qu'en est-il en France ? Ces applications de reconnaissance faciale sont-elles déjà encadrées par la loi ou y a-t-il un retard en la matière ?

Les lois changent considérablement d’un pays à un autre ; c’est vrai en général ; et c’est tout particulièrement vrai pour le droit à l’image qui est central pour tout ce qui touche à la mise en place des algorithmes de reconnaissance des visages. En effet, comme nous l’avons vu, pour reconnaitre des visages, il faut en posséder la photo annotée. En Europe, certains pays comme la Norvège interdisent toute prise de vue qui ne reçoit pas le consentement explicite de la personne photographiée. Au Royaume-Uni, la notion de droit à l’image n’existe pas, ce qui fait que les caméras de surveillance fleurissent sans contrôle dans les villes. En France, la situation est intermédiaire : on peut prendre une photographie d’une personne dans un lieu public, sans lui demander son autorisation. On peut éventuellement l’exploiter, à condition que cela ne lui cause pas de tort. Du point de vue juridique, cela s’apparente à la photographie d’un bien : le propriétaire n’a aucun droit sur les images que l’on prend de ses possessions, à condition qu’aucun usage illégale n’en soit fait. Lorsque l’image d’une personne est prise, celle-ci ne peut s’opposer à son utilisation que si cela porte atteinte à son droit au respect de la vie privée. Qui plus est, il existe des exceptions pour les personnes publiques ou pour les images saisies dans le cadre d’activités professionnelles : dans ces cas, les personnes sont moins bien protégées. Bref, la situation en cette matière demeure encore assez ambigüe en France et dans de nombreux pays, mais pas partout...

Quelles limites doit-on mettre à la reconnaissance faciale ? Et comment pourrait-on mieux encadrer ces technologies ? 

Avant d’énoncer les limites éthiques que l’on devrait imposer à la reconnaissance faciale, indiquons qu’il existe, d’ores et déjà, des limites technologiques que l’on ne franchit pas aisément. Si l’on reconnaît assez bien un visage sur une photographie de face, sans chapeau, ni voile, ni lunette, il devient plus délicat de le reconnaître avec tous ces accessoires, et plus difficile encore de profil ou de trois quarts, ou encore tronqué. Pour toutes ces raisons, la reconnaissance de visages dans un foule n’est pas possible actuellement. Du point de vue éthique, il serait certainement important de recueillir le consentement de la personne dont ou souhaite reconnaître le visage. Plus précisément, il faudrait s’assurer qu’elle consente à ce que les images d’elles soient exploitées pour la reconnaissance de son visage. Mais, cela ne suffit pas : il faudrait aussi qu’il y ait accord sur les différentes situations dans lesquelles une personne accepte d’être reconnue, car on peut accepter que son visage soit reconnu pour entrer dans sa banque, mais pas dans les autres magasins... Une telle régulation permettrait d’éviter que l’on procède à des utilisations abusives de la reconnaissance des visages qui conduirait, par exemple, à identifier automatiquement les participants à une manifestation politique... En effet, on ne peut qu’être effrayé des conséquences que de telles utilisations feraient peser sur nos libertés publiques.

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