La priorité des Américains n’est pas la guerre en Ukraine, la priorité c’est de mettre l’économie en capacité de résister aux Chinois<!-- --> | Atlantico.fr
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Les Américains ont besoin d’argent pour financer leur train de vie.
Les Américains ont besoin d’argent pour financer leur train de vie.
©ALEX WONG GETTY IMAGES NORTH Images via AFP

Priorité des Américains

La vie à crédit, c’est fini. Les Américains ont besoin d’argent pour financer leur train de vie. En moins de dix ans, ils ont perdu les flux d’argent qui venaient des excédents de dollars OPEP ou chinois et même de l’épargne des Européens. L’équilibre financier de la planète en dépend.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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L’« Inflation Réduction act » est un plan de restructuration de toute l’économie américaine qui va bien au-delà de la lutte contre l’inflation.  C’est sans doute l’équivalent du plan Nixon en 1971 qui avait osé détacher le dollar de l’étalon or et réussi à sauver le système de l’inflation. 

La guerre en Ukraine inquiète les Américains, mais sans plus. Ce qui préoccupe les élites dirigeantes, c’est de s’adapter aux mutations qui affectent des économies modernes et qui sont accélérées par la guerre en Ukraine. 

L’Amérique a prospéré grâce aux performances d’une économie financière fondée sur la toute-puissance du dollar. Aujourd’hui ce modèle est battu en brèche, pour plein de raisons. Mais disons que l’Amérique ne pourra plus vivre à crédit parce que les moyens de financer ces crédits sont réorientés ailleurs. 

La majorité des observateurs de la vie économique se braque encore sur l’ampleur des déficits. Déficit budgétaire, déficit extérieur. Ces indicateurs sont importants certes, mais ce qui est incontournable, ce sont les moyens disponibles ou accessibles pour les financer. 

Les professeurs d’économie expliquent rarement que si certains agents peuvent faire des déficits, c’est parce que d’autres font des excédents. Le monde a toujours été partagé entre ceux qui vivent à crédit et ceux qui financent le crédit. Entre ceux qui font des dettes et ceux qui les octroient. 

Il y a même un vieux dicton populaire qui dit que si vous faites des petites dettes, vous serez harcelé par votre banquier pour les rembourser. En revanche, si vous faites d’énormes dettes, vous serez tranquille et vous aurez le pouvoir sur votre banquier qui aura lui plus de soucis que vous... 

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L’Amérique est un pays qui fait d’énormes dettes. C’est dans son ADN. Du coup, personne ne l’embête.

Jusqu’à une époque très récente, les États-Unis ont été les plus gros emprunteurs de la planète. Le déficit de leur balance des paiements courants a atteint jusqu’à 6 % de leur PIB. (Le PIB américain étant de 24 milliards de dollars). 

C’est considérable, et pour les Américains, ce fut une force que de vivre à crédit, grâce à la puissance de leur technologie, à leur intelligence, à leur armée. 

Ils inspiraient confiance. Le dollar inspirait confiance. Surtout après son décrochage de l’or, par Richard Nixon, un coup de génie en 1971 parce que le dollar a renforcé son statut de monnaie mondiale. La circulation monétaire s’est accélérée. le dollar a gardé sa valeur. Le monde entier s’est mis à travailler en dollar. Le coup de génie de Nixon, c’est d’avoir permis à l’Amérique de libeller ses dettes en dollars en sachant que personne ne viendrait leur demander de rembourser ces dollars. 

Depuis cette époque, personne ne refuse d’être payé en dollars. Au contraire. 

Techniquement, les Américains ont donc mis au point une formidable machine à recycler les excédents financiers des pays qui structurellement en avaient.  Les Américains ont mis en place une économie financière redoutable, dont l’activité principale était de recycler des réserves de dollars. Et puis ça s’est vraiment gâté en 2009/2010 avec les subprimes, le monde entier a pris peur. La confiance dans le système mis en place s’est fissuré.   

Jusque dans les débuts des années 2000, l’économie américaine avait trois sources de financement qui paraissaient inépuisables.

D’abord, les Américains ont courtisé les pays de l’OPEP. A partir de 1974, quand les pays de l’OPEP ont quadruplé, le prix du baril et les producteurs de pétrole se sont retrouvés avec des montagnes d’argent. Cet argent était des pétrodollars parce que le monde entier payait en dollars. Les monarchies du Golfe n’avaient pas d’autres solutions que de mettre leur trésor en sécurité en Occident. Ils ont commencé à investir en immobilier dans les grandes capitales, Londres, Paris et New-York, mais aussi sur le marché financier de New-York où ils ont acheté des fonds en dollars. 

Ce recyclage des pétrodollars s’est beaucoup ralenti à compter des années 2000. Notamment après les attentats du 11 septembre. L’Amérique a déclaré la guerre au terrorisme islamique et les hiérarchies du Golfe ont commencé à réfléchir au modèle qu’il leur faudra développer pour survivre dans l’après-pétrole. Elles ont donc investi massivement sur leur propre marché et notamment à Abou Dhabi, Dubaï, Qatar,  Koweït.  Comme par hasard, c’est aussi à cette époque où les relations politiques entre l’Arabie Saoudite sont devenues plus compliquées. 

En bref, la source OPEP comme financement du déficit structurel américain a commencé à se tarir. 

Ensuite, les Américains ont récupéré les dollars stockés en Chine. La première phase de la mondialisation a transformé la Chine en usine du monde et principal fournisseur de produits manufacturés pour la grande distribution américaine (Walmart en tête). La Chine a donc multiplié les excédents commerciaux qui ont, eux aussi, servi à financer les déficits occidentaux. Les Chinois ont donc principalement gardé des comptes en dollars, ils servaient de banquiers à leur clients (c’est classique ), puis à partir des années 2010, au moment de la crise financière, les Chinois se sont mis à investir en actifs de production dans les pays occidentaux, mais aussi sur son propre marché. C’était plus sur que les fonds en dollars. La crise du Covid a stoppé net les usines et la machine chinoise a compensé, le déficit américain s’est complètement arrêté.  

Enfin, les Américains avaient pris l’habitude de s’offrir de l’épargne en Europe. Malgré l’euro, malgré le déficit commercial des pays européens du Sud, les pays du nord de l’Allemagne et les Pays-Bas qui gêneraient les excédents, ont commencé eux aussi à investir en dollars. 

Quand la guerre en Ukraine est arrivée à la surprise générale en Europe, les prix de l’énergie et le ralentissement de l’activité mondiale ont complètement hypothéqué les excédents des pays européens les plus performants, dont l’Allemagne. L’Allemagne a perdu sa machine à générer de la compétitivité et des excédents commerciaux en perdant le gaz russe. Les Américains ont donc perdu une 3eme source non négligeable de financement de leur déficit des paiements courants.

La perte des financements OPEP, chinois et européens, est apparue définitive aux Américains, compte tenu des mutations engagées dans la lutte pour le climat et la technologie digitale. D’où leur changement de modèle. 

Les Etats-Unis continueront d’aider l’Ukraine, mais en évitant les risques de guerre nucléaire.

Les États-Unis vont surtout chercher à trouver des sources alternatives à leur déficit des paiements courants. 

Ils peuvent certes s’installer durablement sur le marché du gaz liquéfié qu’ils veulent vendre aux Européens en remplacement du gaz russe, mais ça va être très complique et très cher. L’Europe va développer ses propres moyens, notamment avec le nucléaire et les énergies renouvelables. 

L’Amérique de Joe Biden va surtout développer ou récupérer sa propre industrie pour limiter ses importations et raccourcir les chaines de valeur.  C’est sans doute le moyen le plus vertueux de freiner ses déficits de paiements courants. C’est l’objet même du plan connu sous le nom de « inflation reduction act» rendu public fin 2022. 

Ce plan engagé sur les dix prochaines années plus de 300 milliards de dollars dans la réduction du déficit et 369 milliards dans l’investissement pour lutter contre le climat, les énergies propres et l’environnement.

Ce plan est monumental. Il revient à booster l’industrie américaine pour réduire les importations de produits manufacturés, attirer les investissements étrangers et notamment les investissements en provenance d’Europe en rendant l’énergie américaine plus attractive, et en pénalisant aussi les fabrications étrangères. Le relèvement des taux d’intérêt étant un moyen d’attractivité supplémentaire pour les fonds d’investissement.

Au bout de dix ans, les économistes américains estiment que la balance des paiements sera rééquilibrée et même qu’elle pourrait être excédentaire. Ils estiment également que l’économie américaine pourrait être la plus décarbonée du monde. 

Ce plan est insensé par son ambition et ses effets dans la société américaine. Après avoir gonflé les moteurs financiers et fait de l’Amérique un champion mondial de l’économie financière, la gouvernance américaine sort de l’économie financière et revient dans l’économie industrielle. L’avance technologique et digitale lui donne même un sérieux avantage sur tous ses concurrents potentiels. 

Ce modèle est une réponse au défi écologique, c’est une réponse à la Chine (dont la puissance repose principalement sur sa capacité à exporter vers l’occident), c’est aussi une réponse à l’Europe.  

La Chine va être obligée de changer de modèle et se tourner vers son marché intérieur, ce qu’elle ne se saura pas faire sans changer son logiciel politique.

L’Europe va être, elle aussi, obligée de changer de modèle. Renforcer son industrie intérieure et se protéger plus qu’elle ne le fait. Mais l’Europe ne sait pas le faire d’autant que certains de ses membres les plus puissants (l’Allemagne) ont formaté leur industrie pour conquérir les pays émergents. Mais ça ne sera plus le sujet. Le sujet en Europe sera de se protéger et de se renforcer. Si tous sont d’accord parce que certains, comme les Anglais depuis le Brexit, refusent de vendre. Pas sur qu’ils gagnent en puissance et en souveraineté. 

Dans cette nouvelle partie de Monopoly mondial qui a démarré, l’Europe n’est pas la mieux placée.

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