La politique menée par Emanuel Macron pour imposer sa réforme des retraites n’est-elle pas significative de l’essence même du macronisme : faire entrer la France dans une société européenne globale et mondialisée ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron lors d'un discours au Parlement européen.
Emmanuel Macron lors d'un discours au Parlement européen.
©BERTRAND GUAY / POOL / AFP

Vision du chef de l'Etat

Dans le cadre de sa visite aux Pays-Bas, Emmanuel Macron a présenté sa vision de l’Europe.

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy est philosophe, analyste du discours politique et des idéologies.
 
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Dans son discours prononcé hier à Amsterdam, devant la Communauté française, le Président de la République a à nouveau légitimé son choix d’imposer à la France sa réforme des retraites, tout en la plaçant à demi-mot et pour la première fois dans la perspective d’un dessein plus vaste : participer à la construction d’une société européenne. C’est pourquoi a-t’il dit, « nous avons à faire face à des angoisses qui vont avec les changements de notre époque ». Considérant que « des réformes difficiles qui soulèvent parfois des protestations » sont plus mal acceptées par les Français que dans d’autres pays européens, il a ironisé : « parce qu’en France on pense qu’il n’y en a que dans notre pays ».

Violemment critiquée par la majorité de la population mais soutenue par une petite minorité, la politique présidentielle demeure mal comprise. Comment l’interpréter avec ce qu’elle manifeste  dans la réforme des retraites, dont Emmanuel Macron a voulu fait l’emblème de son double quinquennat ?

Doit-on voir par-delà la « pensée »  technocratique, souvent dénoncée, une feuille de route un cap, une ambition, une volonté, en vue de défendre l’intérêt général et supérieur de la nation?

Le Président s’en est défendu devant les Français, après avoir fait usage du 49.3 et avoir échappé à peu de voix près au vote de défiance à l’égard de son gouvernement. Les arguments qu’il emploie donnent-ils sens et cohérence au macronisme et à ce qu’il impose au pays?

Quelle est la raison supérieure qui légitimerait le fait qu’Emanuel Macron ait choisi, au fond, d’utiliser le rapport de force entre les 30% environ de la France qui l’a élu pour son programme et qui soutient ses choix, contre la majorité du pays, les 80% de Français environ, qui rejettent sa proposition de loi sur la réforme des retraites?

Maxime Tandonnet le 7 avril dernier s’en étonnait ici même : « 82% des Français estiment que le pouvoir ne tient « aucun compte » de leur avis (enquête CEVIPOF sur la confiance 2023). La crise démocratique bat son plein. Ne pas s'en apercevoir relève du déni, de l’aveuglement ou de l’hypocrisie. ».

Je pense au contraire que loin d’être aveugle ou hypocrite, le Président de la République, en-dehors d’un solide narcissisme, est mu par une volonté farouche. Il poursuit avec détermination un projet qui, non seulement lui tient à coeur, mais pour lequel les Français, bon gré ou mal gré, l’ont élu.

Bien sûr il manque à Emanuel Macron une qualité essentielle pour qui veut gouverner un pays : le sens du peuple. S’il l’avait eu il n’aurait pas « joué perso » en faisant de sa proposition de réforme des retraites un casus belli. Conséquences : contestations, émeutes populaires et feux de poubelles, l’Elysée a dû annuler la visite du roi d’Angleterre. Résultat : le Président de la France a doublement affaibli son image : au plan diplomatique en politique extérieure, et pour ce qui est de la politique intérieure, en concentrant désormais sur sa personne un profond et définitif rejet de la majorité de la population. De ce point de vue, on peut dire qu’il paye le courage de sa détermination à vouloir  changer le pays avec « ceux qui ont le sens des responsabilités » contre ceux qui, dit-il, « ne proposent pas de compromis » et ne veulent « aucune réforme » .

Force est donc de constater qu’Emmanuel Macron a fait le choix de gouverner contre le peuple  mais aussi contre les principes mêmes qui fondent la démocratie républicaine française depuis 1789. On le constate, dans cette période de crise sociale et politique, qui se cristallise sur le choix présidentiel de faire voter la réforme des retraites en utilisant le 47.2 puis le 49.3, tout en refusant de prendre en compte le sens d’un tel choix dans l’exercice de la démocratie. Cela revient à refuser les conséquences, pour le pays, de vouloir réformer coûte que coûte, sans avoir une majorité absolue à l’Assemblée, et sans tenter d’en réunir une par le dialogue. On peut en conclure que le Président de la République a choisi sciemment le moyen le plus court qui lui permette d’enjamber la volonté populaire, alors même que celle-ci s’exprime depuis plusieurs mois avec une grande virulence à la gauche de l’Assemblée nationale, chez tous les syndicats unis, mais aussi dans les sondages, et dans la rue.

Peu lui importe. Il le dit clairement aux Français le 22 mars quand il affirme péremptoire : « J’ai été réélu et ma majorité est relative mais c’est une majorité ». En parlant et en pratiquant de la sorte, Emanuel Macron a bien conscience d’utiliser la légalité institutionnelle au mépris de la légitimité démocratique, il en a même fait, on peut le dire, une tactique politique. Alors que l’exercice de notre Vème République française repose sur deux grands axes de légitimités indissociables : la légitimité issue de l’usage des institutions et la légitimité issue du dialogue avec le peuple. Conséquence : quand le pouvoir refuse le dialogue, il casse la pratique démocratique et détruit pour une part le bon fonctionnement des institutions. Mais le Président actuel n’en a cure, puisqu’il en fait un moyen au service de ses fins.

Ce n’est pas un hasard si en 2017 notre actuel Président s’est fait élire en surfant sur l’effondrement idéologique des partis républicains traditionnels auxquels sa campagne a finalement donné le coup de grâce en s’appuyant sur les partis se situant aux deux extrémités de l’échiquier politique. Emmanuel Macron a alors manipulé à son profit les idéaux antiparlementaristes de La France Insoumise et le « ni droite, ni gauche » du Rassemblement National. Ajouté à cela le dégoût suscité par la fin quinquennat, anormalement calamiteux, et le tour était joué.

Notons que François Hollande, sous l’influence des écologistes entre autre, avait déjà commencé par faiblesse et par manque de hauteur, à détricoter la France et ses institutions, y compris la Constitution, en y supprimant le mot « race » ce qui était déjà une absurdité wokiste, avant même que le mot ne passe dans le langage commun. Ce « président par accident », n’avait pas vraiment la stature d’un présidentiable, mais il s’était doublement fait élire par défaut (faute de candidat au Parti socialiste) et par idéologie anti-sarkozyste.

Emmanuel Macron, son fils spirituel en politique, poursuit le travail de démontage de la France : il veut faire entrer le pays dans le XXIème siècle. Son objectif est d’en finir avec le modèle de l’Etat-nation d’une France qui se meure dans la mondialisation de l’économie. Mais le peut-il s’il réduit « la politique à une technique d’ajustement à la globalisation », [1] comme le rappellent Stéphane Rozès et Arnaud Benedetti dans un excellent article qui reprend la thèse du livre du Président de Cap : Chaos, essai sur les imaginaires des peuples ?

Notre jeune Président « disruptif » n’a jamais caché un certain sentiment de rejet contre cette société française de « gaulois réfractaires » qui résistent à l’évolution techno-européiste dont il est porteur et qu’il veut imposer au pays : « Oui on va continuer à avancer à marche forcée »[2]. La casse sociale, économique et culturelle de la France n’est pour lui qu’un mal nécessaire. 

Emanuel Macron se pose en défenseur d’un vaste « mouvement européiste » qui conduit à l’effacement progressif de la distinction entre classes moyennes et classes pauvres, et qui par là-même inaugure la formation d’une nouvelle société globale. Avec la constitution à l’échelle mondiale d’une population massifiée formant l’immensité d’une classe sociale intercontinentale. Cette nouvelle société mondialisée concentre, en outre, richesses et pouvoirs dans les mains d’une nouvelle élite, pour une part déjà mondialisée. L’élite comme toujours est à l’avant-garde de cette grande transformation des sociétés européennes. Cette mutation progressive, entraînée par la mondialisation de l’économie, se traduit dès aujourd’hui par l’effacement du pouvoir politique des Etats-nations. Elle se traduira demain par l’effondrement progressif des « vieilles sociétés »nationales.

On reproche aux nouvelles élites politiques issues du parti du Président - ministres, élus etc… - d’être arrogants, sûrs d’eux-mêmes : « Ils ont un profond sentiment de supériorité :  ils savent » dit Jean-Louis Debré, qui, non sans raison, les critique lors de son passage au Grand Rendez-Vous de Sonia Mabrouk, dimanche dernier. Il y a chez les macronistes un refus -partagé par la NUPES- du dialogue avec ceux qui ne pensent pas comme eux.

C’est parce que pour exister politiquement et trouver une majorité après son élection en 2017, E. Macron a dû trouver des bonnes volontés, d’une part dans la société civile : enthousiasmées et entraînées par son mouvement En marche, qu’il a ensuite formées à son idéologie. Et il a su d’autre part, rallié à lui la plupart des orphelins nés de l’effondrement du Parti Socialiste de F. Hollande et de la mort politique de Dominique Strauss-Khan, puisant ainsi dans les contingents formatés du socialisme finissant.

Tous sont évidemment convaincus par l’esprit de rupture, l’esprit proprement révolutionnaire d’un jeune homme qui s’est d’abord positionné contre le monde politique d’avant, contre les vieux partis de droite et de gauche mais aussi contre une société française qu’il jugeait vieillissante et sclérosée et qu’il se proposait de réformer, aux forceps si nécessaire.

Mais ce faisant, tout ce petit monde sûr de lui, prend des risques qu’il ne semble pas mesurer. En particulier lorsqu’ayant le pouvoir en France on joue « la foule » contre « le peuple », comme le fait le Président, alors même que c’est son refus d’écouter l’opinion, d’entendre la rue et de dialoguer avec les syndicats qui conduit de facto « le peuple » à se transformer pour une part « en foules ». E. Macron a tort de croire qu’il peut reproduire le scénario qu’il a déjà joué lors de la crise des gilets jaunes. La stratégie à trois coups qui lui permit alors d’enterrer le mouvement de protestation insurrectionnel des ronds-points : 1) mépris et refus du dialogue 2) répression par la violence pour obtenir le rétablissement de l’ordre 3) collecte des cahiers de doléance et Convention citoyenne, ne pourra pas fonctionner cette fois-ci. Le mouvement protestataire contre la réforme des retraites, encadré et représenté par l’Alliance syndicale, soutenu par une très grande partie de l’Assemblée nationale revêt une autre ampleur politique et sociale qui marquera pour longtemps le pays, quelle qu’en soit l’issue à court terme.

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Historienne des idées et philosophe politique.

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