La pénurie de main d’œuvre dans la restauration et le tourisme est-elle due à la réforme de l’assurance chômage de 2021 ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Un serveur sert des clients à la terrasse du café "Les Deux Magots", à Paris, le 19 mai 2021.
Un serveur sert des clients à la terrasse du café "Les Deux Magots", à Paris, le 19 mai 2021.
©LUCAS BARIOULET / AFP

Manque de bras

À l'approche de la période estivale, on constate une pénurie de main-d'oeuvre dans de nombreux secteurs. Ceux de la restauration et du tourisme sont particulièrement touchés.

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue

Alexandre Delaigue est professeur d'économie à l'université de Lille. Il est le co-auteur avec Stéphane Ménia des livres Nos phobies économiques et Sexe, drogue... et économie : pas de sujet tabou pour les économistes (parus chez Pearson). Son site : econoclaste.net

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Atlantico : On constate une pénurie de main d’œuvre dans la restauration et le tourisme. Dans quelle mesure est-elle due à la réforme de l’assurance chômage de 2021 ?

Alexandre Delaigue : Beaucoup de secteurs connaissent des pénuries d’emplois. Néanmoins, quand on regarde la réforme de l’assurance chômage, dès le début on pouvait constater qu’elle contenait un certain nombre de changements qui sont très défavorables pour les personnes qui exercent une activité saisonnière. Il était possible d’envisager que cela aboutirait à ce que beaucoup de gens abandonnent l’idée d’avoir une activité saisonnière ou au moins que cela désorganise assez fortement l’ensemble.

De nouvelles règles sur l’éligibilité au chômage pour les saisonniers sont entrées en vigueur. Désormais, il faut avoir travaillé 6 mois pendant les 24 derniers mois afin de pouvoir bénéficier d’allocations chômage. Avant, la période était de 4 mois. Mais les contrats saisonniers sont souvent des contrats de 2 mois. Les personnes qui travaillaient en juillet – août auparavant si elles ont fait deux été, elles n’ont plus droit à l’assurance chômage. Les travailleurs spécialisés dans les activités saisonnières, les moniteurs de ski pendant l’hiver et maîtres-nageurs l’été où qui vont travailler dans le secteur du tourisme mais qui vont être extras dans la restauration pendant l’été où il y a de nombreux mariages et qui le reste du temps auront une activité bien moindre, pour toutes ces personnes qui ont un métier spécialisé et dont l’activité est forcément saisonnière comme les ouvriers agricoles, le métier consistait avant à exercer leur activité en faisant le nombre de mois qui permettaient de bénéficier du chômage le reste du temps et donc d’alterner périodes de travail, périodes de chômage de cette manière.

De nouvelles règles d’éligibilité sont donc en vigueur. De même pour recharger ses droits au chômage. Aujourd’hui, la durée minimum de travail pour recharger ses droits au chômage est de 6 mois ou 910 heures alors qu’avant il fallait 150 heures de travail. Cela fait qu’il est beaucoup plus difficile d’avoir cette équation dans laquelle on exerce une activité saisonnière pendant quelques mois dans l’année et le chômage pendant le reste du temps.

Ces mesures, qui avaient pour objectif de réduire le recours au travail précaire, les contrats courts et l’activité précaire,  ont en réalité un effet pervers. Beaucoup de gens qui exerçaient une activité saisonnière n’ont plus les mêmes possibilités. Ils ont donc changé d’activité. Ils ont renoncé à exercer une activité saisonnière. Pour les employeurs, cela devient impossible de recruter du personnel.

Avec la réforme, il y a un système de bonus-malus pour les entreprises qui ont un gros recours aux contrats courts. Le secteur de l’hôtellerie-restauration  a été épargné par ce système. Mais les entreprises, qui ont beaucoup recours à ce type de contrat court, ont subi une pénalité qui était censée limiter le recours au travail précaire.

Le résultat paradoxal est que les entreprises dont le métier nécessite d’avoir recours à beaucoup de contrats courts ne peuvent plus exercer leur activité.

L’objectif était de réduire le recours au travail précaire et aussi de faire faire des économies à l’assurance chômage tout en présentant le dispositif dans le cadre de la lutte contre la précarité. Ces régimes coûtaient assez chers. Ces régimes subventionnaient les secteurs qui ont recours au travail précaire.

Depuis octobre 2021, la réforme de l’assurance-chômage sanctionne en effet les activités professionnelles discontinues. Est-ce que c'est vraiment cela qui a pu jouer dans les problèmes de recrutement ? Jusqu'à quel point ?

Beaucoup de choses ont changé en même temps. Il n’y a pas que la réforme de l’assurance chômage.

Mais à titre d’exemple, il y a de nombreux pays où le problème se pose de la même manière. Et il y a plein de secteurs d’activité qui ont du mal à recruter. Aux Etats-Unis, la restauration a eu énormément de mal à recruter car ils ont licencié énormément de personnes au moment du confinement lorsque l’activité s’est arrêtée. Maintenant, ils réembauchent. Mais de nombreux travailleurs indiquent que la restauration ne les intéresse plus, que les conditions de travail sont difficiles et qu’ils ne sont pas très bien payés. Le fait que tous les employeurs essaient de réembaucher en même temps fait grimper les salaires.

Pour une bonne partie de gens qui travaillent dans ce type de secteur de l’hôtellerie-restauration ou pour des personnes qui exerçaient des métiers saisonniers comme moniteur de ski, il y a tout de même eu deux années pendant lesquelles elles n’ont eu aucune activité. Même sans la réforme de l’assurance chômage, un certain nombre de personnes ont décidé de quitter leur emploi.

L’assurance chômage a certainement joué mais d’autres facteurs ont aussi eu leur importance.

Il y a d’autres pays qui n’ont pas eu de réforme de l’assurance chômage et dans lesquels il y a aussi eu des problèmes de recrutement. Le coût d’accordéon de plein d’activités liées au Covid a forcément joué. Un grand nombre de personnes ont été licenciées. Et en même temps, plein de gens doivent être réembauchés au même moment. Automatiquement, cela a créé un embouteillage.  

Si l'assurance chômage n'est pas complètement en cause, quelles sont les autres raisons ?

Il y a déjà les circonstances particulières de la période actuelle. La demande repart aussi très fort après avoir été très faible. Il y a un gros redémarrage de la demande et de l’activité touristique. Beaucoup de choses ont changé en même temps.

Dans ces activités saisonnières, il n’est peut-être pas tout à fait normal que cela soit l’assurance chômage qui les subventionne.

La solution serait peut-être que les employeurs, s’ils veulent attirer du personnel,  améliorent les conditions de travail qui sont assez difficiles dans ces secteurs-là, avec des salaires plus élevés.  

Dans une économie de marché, si vous voulez acheter quelque chose et que vous n’en trouvez pas assez, il faut proposer, il faut payer plus.

Si impact de la réforme il y a eu sur les saisonniers, est-ce que cela veut dire que la réforme était mauvaise pour autant ?

Cette réforme de l’assurance chômage a été faite avec un double objectif. D’un côté, réduire les coûts (pour l’assurance chômage) en poussant les gens à travailler en rendant l’indemnisation du chômage difficile pour inciter les gens à travailler plus. Cela peut être très positif ou alors, au contrainte, dégrader les conditions lorsque les gens sont au chômage en les poussant à accepter les offres qui leur seront proposées.

On peut constater que le chômage diminue. Le chômage est très faible en France. Il est possible de regarder le verre de ces réformes comme à moitié vide ou à moitié plein.

Si vous voulez regarder le verre à moitié plein, il est possible de considérer que le chômage est plutôt faible, qu’il s’agit plutôt de pénuries d’emploi et que la réforme a réussi à réduire le chômage.

Si vous souhaitez regarder le verre à moitié vide, il est possible de constater que les conditions de vie pour les gens qui avant avaient une activité saisonnière sont devenues vraiment plus difficiles. Les gens qui paient la facture sont les personnes qui ne peuvent plus faire ces métiers-là. Un certain nombre de ces activités vont peut-être devoir disparaître ou augmenter les prix.

Dans le contexte économique actuel avec la fin du Covid et avec le début du nouveau mandat d’Emmanuel Macron, pourraient-il y avoir des perspectives positives vis-à-vis des pénuries de main-d’œuvre et cette application de l’assurance chômage, notamment à travers l’objectif du plein emploi ?

Les perspectives d’emploi pour les mois à venir ne sont pas déterminées par la réforme de l’assurance chômage mais par les conditions macro-économiques, l’inflation, le fait que la BCE ait décidé de lutter contre l’inflation et en fonction de l’appui politique budgétaire ainsi que du résultat des élections législatives.

La réforme de l’assurance chômage est un peu une goutte d’eau par rapport à ces éléments macro économiques qui sont beaucoup plus importants et déterminants. La réforme de l’assurance chômage jouera sur le plus long terme. Elle va surtout jouer sur la structure générale de l’emploi et sur la forme que va prendre l’emploi plus que sur le niveau de l’emploi réel.   

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