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La neutralité laïque des personnels sociaux, un acquis de plus en plus fragilisé par les affirmations identitaires
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Bonnes feuilles

La laïcité, indissociable d'une liberté intime, se construit toujours dans un cadre collectif. Cette liberté, aucun professionnel de l'action éducative et sociale ne peut se dispenser de la penser. Peut-on grandir, évoluer et s'émanciper sans que soit garantie la liberté de conscience ? Extrait de "Laïcité, émancipation et travail social" de Guylain Chevrier, aux éditions L'Harmattan.

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier

Guylain Chevrier est docteur en histoire, enseignant, formateur et consultant. Ancien membre du groupe de réflexion sur la laïcité auprès du Haut conseil à l’intégration. Dernier ouvrage : Laïcité, émancipation et travail social, L’Harmattan, sous la direction de Guylain Chevrier, juillet 2017, 270 pages.  

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Comment faire société aujourd'hui? Un enjeu bruyant de l’actualité qui nous impose de nous interroger sur notre histoire politique. Cet ouvrage arrive à point nommé, dans le contexte d’une société aux repères chahutés, ce à quoi la laïcité n’échappe pas, tout comme le travail social et les liens qu’il entretient avec elle. Longtemps principe de concorde dans une France sûre d’elle-même, elle est à présent questionnée, sous le signe d’une société qui s’est transformée, avec une population nouvelle, plus diverse, qui en est la marque. Elle est au carrefour d’un avenir dont les bases se posent aujourd’hui avec acuité. 

Le travail social se consacre pour une large part à la lutte contre les exclusions, qui recouvre des formes multiples, avec pour engagement l’amélioration des conditions d’existence des personnes, sur fond d’égalité des chances et de justice sociale. il est aussi partie prenante de la cohésion sociale, donc de l’adhésion à un projet commun de société au regard duquel chacun puisse avoir sa place, la possibilité de se sentir concerné. Ce qui engage la dimension de la laïcité. 

(...)

Le principe de laïcité est régulièrement interpellé dans le débat public où la confusion est souvent de mise. Bien connaître le principe de laïcité pour les travailleurs sociaux, c’est la condition pour l’usager d’être assuré de l’égal accès aux mêmes droits, qu’il s’agisse de l’accès à un dispositif social ou que ce soit en matière d’expression philosophique ou religieuse.

La citoyenneté de l’usager ne reste pas à l’entrée des établissements, elle en est partie prenante, et la liberté de conscience en est partie intégrante. Les futurs professionnels du secteur social et médico-social sont censés être formés à prendre en charge des missions relevant de politiques sociales qui sont de droit public, c’est-à-dire allant dans le sens de la satisfaction d’intérêts collectifs – que ces missions soient exercées par un établissement public ou privé. Dans le secteur public, c’est le droit de l’état qui s’applique aux agents, dans le secteur privé (associatif) c’est le droit du travail qui s’applique aux salariés. Pour autant, on ne saurait oublier que les établissements sociaux ou médico-sociaux ne sont pas des entreprises, mais des institutions qui participent de la réponse à des besoins sociaux. Ces établissements mettent en oeuvre des actions qui ne répondent pas aux critères du marché, mais à la commande de politiques sociales de l’Etat, habitées par l’exigence d’un égal accès aux mêmes droits pour les usagers, incluant l’égalité de traitement. il y a là une responsabilité qu’engage l’action sociale, comme action de la société sur un même fond de droit et de valeurs.

Si les usagers du secteur social sont largement libres d’exprimer leurs différentes appartenances, la neutralité laïque des personnels sociaux est un acquis dont la règle est aujourd’hui questionnée par les affirmations identitaires qui se font jour parmi eux. Cette neutralité des personnels est d’ailleurs, par-delà la laïcité, un principe inscrit dans la déontologie du travail social (code de déontologie de l’assistant social), au regard de ce que l’on désigne sous la notion de distance professionnelle, de nécessité de réserve, pour laisser à la personne toute sa place, en dehors de toute influence extérieure non voulue. Cette situation provoque de nouveaux débats qui font écho à ceux qui traversent notre société. On entend, dans cet ouvrage, éclairer dans ce domaine les enjeux et proposer une réflexion.

Le milieu du travail social, qui accompagne des personnes de toutes origines, est très attaché à la dimension culturelle, voire interculturelle. Cette dimension, qui recouvre l’idée d’un dialogue entre les cultures, ce qui engage parfois le fait religieux et correspond à la prise en compte d’une réalité humaine diverse, fait partie intégrante de la formation comme de la pratique du quotidien du travailleur social. S’il s’agit de partir de la réalité de l’usager ou de la famille avec ses particularismes, dans un esprit d’ouverture à l’autre, c’est d’abord pour créer les conditions d’un même accès
de chacun aux mêmes droits, mais aussi obligations, responsabilités. C’est la condition nécessaire à la conquête de l’autonomie et de tout exercice de la citoyenneté. Le travailleur social ne peut que gagner à une bonne connaissance de la juste place à faire au fait culturel et/ou religieux, pour mieux accompagner l’usager dans l’ensemble de ce qui le concerne, en toute conscience.

(...)

S’agissant des mutations de la société qui remettraient la laïcité en cause, on confond diversité culturelle, réalité sociologique, avec le multiculturalisme comme principe juridique d’organisation de la société, qui acte la séparation des individus sur une base religieuse ou/et culturelle, selon la couleur, la religion ou l’origine, voire l’ethnie. La reconnaissance d’une certaine diversité n’implique pas la nécessité du multiculturalisme et son corollaire, le communautarisme, car ce sur quoi on fait société peut être plus important que ce qui nous différencie, voire nous divise, sans pour autant devoir renoncer à nos identités particulières. A la lumière de l’expérience, apporter une clarification aux relations entre laïcité, neutralité, travail social et diversité des publics s’impose aujourd’hui, autant pour les acteurs du travail social que pour les futurs professionnels dans le cadre de leur formation.

Extrait de "Laïcité, émancipation et travail social" de Guylain Chevrier, aux éditions L'Harmattan.

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