La lutte contre l’extrême-droite peut-elle suffire à ressouder la France et l’Allemagne ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron prononce un discours lors du Festival européen de la jeunesse "Fête de l'Europe" devant l'église de Dresde, en Allemagne, le 27 mai 2024.
Emmanuel Macron prononce un discours lors du Festival européen de la jeunesse "Fête de l'Europe" devant l'église de Dresde, en Allemagne, le 27 mai 2024.
©RONNY HARTMANN / AFP

Couple franco-allemand

En visite d’Etat outre-Rhin lundi 27 mai, Emmanuel Macron a prononcé un discours à l’église Notre-Dame de Dresde, un lieu hautement symbolique. Il a tenu à alerter : « L’extrême droite, ce vent mauvais souffle en Europe, c’est une réalité, alors réveillons-nous ! ».

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud

Christophe Bouillaud est professeur de sciences politiques à l’Institut d’études politiques de Grenoble depuis 1999. Il est spécialiste à la fois de la vie politique italienne, et de la vie politique européenne, en particulier sous l’angle des partis.

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Atlantico : A l’occasion de sa visite d’Etat en Allemagne, Emmanuel Macron a appelé à « se réveiller » face au « vent mauvais » de l’extrême droite « qui souffle en Europe » et a mis en garde face au « moment illibéral que nous vivons », dans un discours prononcé devant des jeunes Européens, le 27 mai. La lutte contre l’extrême droite affichée par Emmanuel Macron lors de sa visite d’Etat en Allemagne peut-elle suffire à injecter une nouvelle énergie à la relation franco-allemande ? N’est-ce pas une unité a minima ?

Christophe Bouillaud : Il y a tout de même un grand paradoxe de la part d’Emmanuel Macron à aller en Allemagne clamer haut et fort que l’extrême droite est un danger. En effet, en Allemagne, toutes les forces politiques sont désormais bien conscientes du danger que représente l’Alternative pour l’Allemagne (AfD), le principal parti de l’extrême-droite allemande. Des leaders et des militants de ce dernier sont sans plus guère de doute désormais des néo-nazis bien solides dans leurs convictions. La direction de l’AfD, sentant le danger, a d’ailleurs dû interdire à sa propre tête de liste de faire campagne pour les élections européennes tant les indices sont forts de la présence de telles convictions néo-nazies chez lui. Par ailleurs, les informations sorties dans la presse d’outre-Rhin montrent que ce parti est très largement infiltré par des agents travaillant pour la Russie ou la Chine. Face à toutes ces révélations, l’opinion publique allemande s’est réveillée, a manifesté, et finalement, les perspectives électorales de l’AfD sont moins bonnes que prévues. 

En France, on ne peut pas dire que notre extrême-droite connaisse le même sort. Le pouvoir macroniste oscille entre la reprise des propositions de l’extrême-droite dans sa récente loi sur l’immigration et le choix de Jordan Bardella comme sparing partner de Gabriel Attal pour relancer la campagne électorale de la majorité présidentielle. La « dédiabolisation » souhaitée par Marine Le Pen depuis son arrivée à la tête du RN semble complètement actée du côté du pouvoir macroniste au-delà de quelques propos de circonstance destinés à rappeler aux électeurs que, tout de même, ce n’est pas très prudent de voter RN pour protester. Le résultat de ce mouvement inverse des deux côtés du Rhin va être qu’au soir du 9 juin, l’extrême-droite allemande n’aura sans doute guère de quoi pavoiser et que l’extrême-droite française pourra le faire. C’est probablement la France qui sera le pays de l’Union qui enverra le plus grand contingent de députés d’extrême-droite à Bruxelles. Il faudra d’ailleurs peut-être ajouter aux élus du RN, ceux de Reconquête si ce parti passe la barre de 5%. 

Surtout au-delà de ces trajectoires divergentes des deux systèmes politiques dans leur rapport avec leur grand parti contemporain d’extrême-droite – exclusion durable ou inclusion en cours -,  pour que le discours d’E. Macron ait un sens, encore faudrait-il savoir comment lutter contre l’extrême-droite. Comment agir non pas sur les conséquences, en gérant plus ou moins bien l’émergence d’un grand parti d’extrême-droite, mais sur les causes qui ont fait que ce parti est devenu grand. Pour l’instant, Emmanuel Macron n’a rien à proposer sur ce point. Il le peut d’autant moins qu’il est au pouvoir depuis 2017 en France et qu’en 2024, jamais l’extrême-droite n’a été aussi forte dans l’électorat. Difficile dans ce cas d’apparaitre comme celui qui apporterait un remède de fond à l’expansion de cette dernière. 

Du coup, nos voisins allemands vont bien sûr approuver le discours de Macron, mais n’y verront pas autre chose que des belles paroles sans effet. D’ailleurs, il me semble que la presse allemande insiste moins sur cet aspect de lutte contre l’extrême-droite que sur le caractère néo-gaullien du discours de Macron, avec son appel à une défense autonome de l’Europe et à l’intransigeance face à la Russie de Poutine. Elle note aussi le très fort appel à un renforcement du budget européen et à une réorientation de la politique commerciale de l’Union vers plus de protectionnisme. 


En quoi les divergences entre la France et l’Allemagne ont-elles été mises sous le tapis à l’occasion de cette visite d’Etat ? 

Une telle visite d’Etat est surtout destinée à souligner symboliquement l’amitié entre les deux pays, et n’est pas le moment pour de grandes décisions ou encore moins de grandes querelles. Cependant, Macron en se faisant le promoteur d’une défense européenne autonome des Etats-Unis, et en insistant sur la menace russe, se positionne toute de même bien de manière implicitement critique de l’attitude du chancelier Scholz. Dans le jeu politique allemand, il joue désormais du côté du camp interventionniste en Ukraine : la CDU-CSU dans l’opposition et les Verts dans la coalition gouvernementale, contre le chancelier SPD. Il faut bien en effet se rendre compte que toutes les forces politiques allemandes ne sont pas sur la même ligne. Du coup, Emmanuel Macron peut tenir sa ligne sans se brouiller avec toute la classe politique allemande, bien au contraire. 

C’est toutefois sur la politique commerciale et budgétaire de l’Union européenne que les contrastes franco-allemands vont rester les plus vifs.  


Quelles peuvent être les conséquences de ces non-choix et de cette focalisation sur l’extrême droite pour l’avenir de la relation franco-allemande et pour la politique européenne à l’aune des élections du 9 juin prochain ?

Sur un plan très général, tant que la France et l’Allemagne ne se seront pas mises d’accord sur une nouvelle vision de l’avenir économique de l’Union européenne, et n’auront pas entraîné les autres pays sur leur ligne,  cette dernière continuera à vivoter dans l’héritage du Traité de Maastricht : monnaie commune, mais absence de budget fédéral et obligation pour chaque Etat membre de se comporter en « fourmi » entrainant de fait l’absence de relance européenne par les dépenses publiques massives à la manière américaine, japonaise ou chinoise ; vision libre-échangiste des échanges commerciaux mondiaux et de la circulation des capitaux ; concurrence intra-européenne minimalement encadrée par des standards européens.  Cet héritage ne convient plus du tout à notre époque de gros temps. A force, il finira par couler le projet européen et la relation franco-allemande.

Cependant, il est possible que ce soient les événements qui forcent les dirigeants français et allemands, et européens en général, à sortir de ce schéma daté. Cela a déjà été le cas pour la crise du COVID dans une large mesure, et pour les premiers mois de la guerre en Ukraine. La suite des événements peut tout simplement obliger nos dirigeants à choisir. La réaction des dirigeants européens face au  résultat des élections européennes donnera déjà une indication sur la capacité d’adaptation de ces derniers. Face aux scores importants de l’extrême-droite aux élections européennes, peut-être sauront-ils enfin s’attaquer aux causes de ces scores, largement liées au déclin économique relatif de l’Europe et de ses classes moyennes et populaires.

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