La logique allemande du marchandage : rouler moins vite pour chauffer les maisons<!-- --> | Atlantico.fr
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Les centrales nucléaires allemandes pourraient être prolongées.
Les centrales nucléaires allemandes pourraient être prolongées.
©LENNART PREISS / AFP

EnergieWende

La politique énergétique est victime d’un marchandage idéologique. Les citoyens risquent de payer cher une énergie qui aurait dû être bon marché, et certains pourraient même avoir froid cet hiver à cause de l’EnergieWende allemande, une politique allemande faite de marchandages, qui a été imposée à l’ensemble de l’UE. En prendre conscience était la première étape. Il faut à présent agir et arrêter de rêver à une transition énergétique rapide.

Samuel Furfari

Samuel Furfari

Samuel Furfari est professeur en géopolitique de l’énergie depuis 20 ans, docteur en Sciences appliquées (ULB), ingénieur polytechnicien (ULB). Il a été durant trente-six ans haut fonctionnaire à la Direction générale de l'énergie de la Commission européenne. Auteur de 18 livres.

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L’Allemagne pionnière de la fracturation hydraulique 

« Les services géologiques nationaux [allemands] continuent d’accompagner de manière constructive l’exploration et la production industrielle de pétrole et de gaz naturel en Allemagne au sein du “Verbund Kohlenwasserstoffgeologie”. Dans le cadre de cette coopération contractuelle, l’Office régional de recherche sur les sols de Basse-Saxe conseille les services géologiques et les autorités minières sur toutes les questions géoscientifiques liées à la recherche et à l’extraction de pétrole et de gaz naturel ainsi qu’au stockage souterrain. […] Les quantités de gaz situées dans les grès rouges peu perméables et concentrées dans la région de Söhlingen et Schneverdingen sont toujours considérées comme un grand potentiel pour la base de réserves nationales ». C’était en 2001 que l’Office régional d’étude des sols de Basse-Saxe écrivait cela dans son rapport « Sondage géologique de la Basse-Saxe ». 

À l’époque, l’entreprise ExxonMobil était active en Allemagne dans le domaine de la fracturation hydraulique pour exploiter des poches de gaz piégées dans le grès. Ce n’est pas tout à fait le même type de gisement que le gaz de schiste, mais c’est la même technologie qui est utilisée. Mais la pression des écologistes a eu raison d’eux, et finalement tout a été abandonné.

En un rien de temps, comme si tout était organisé, un raz-de-marée anti-gaz de schiste a déferlé sur l’Allemagne et tout aussi rapidement sur l’UE. Les ONG environnementales allemandes ont d’ailleurs bénéficié de soutien de la part des sociétés qui ont promu le gazoduc Nord Stream 1. Drieu Godefridi écrit qu’« en Allemagne, les grandes organisations environnementales WWF, BUND et NABU ont créé une fondation « environnementale » — Naturschutzstiftung Deutsche Ostsee — avec la société Nord Stream AG. Elle a été dotée de 10 millions d’euros par Gazprom, comme le prétend Nord Stream AG. Ces organisations environnementales allemandes WWF, BUND et NABU étaient d’ailleurs, au même moment, de farouches opposants au nucléaire civil allemand et à l’exploitation du gaz de schiste en Europe.

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Le marchandage des Verts consistait donc à obtenir l’arrêt de l’énergie nucléaire en échange de l’acceptation du gazoduc Nord Stream et de l’opposition aux terminaux GNL. Il est peu probable que l’industrie allemande dans son ensemble ne le savait pas. Elle porte donc une lourde responsabilité, tout comme l’ensemble de la classe politique allemande. Si cela ne concernait qu’eux, ce serait grave, mais comme ils ont convaincu la Commission européenne et l’UE de les suivre dans le verdissement de la politique énergétique, c’est une erreur sans précédent dans l’histoire de la construction européenne.

Science contre gouvernement

Dans le cadre du traité Euratom, traité qui vise à promouvoir l’utilisation civile de l’énergie atomique, l’Allemagne, comme de nombreux États membres de l’UE, avait investi dans cette énergie. En 2000, elle produisait 170 térawattheures (TWh) d’électricité (30 % de la production totale) à partir de 22 gigawatts (GW) de centrales nucléaires. En 2019, elle n’a produit que 75 TWh (12 % de la production allemande) à partir de 9,5 MW, le reste de la capacité étant arrêté parce que les écologistes des années 1980 ont inventé l’EnergieWende expressément pour arrêter la production d’énergie nucléaire. Ces Grünen ont convaincu une grande majorité d’Allemands que l’énergie dont ils avaient besoin serait bientôt 100 % renouvelable, propre et bon marché, même si cela impliquait d’importer du gaz naturel de Russie pendant une période annoncée comme courte. A force de compromis, la chancelière Angela Merkel a renié la science qu’elle maîtrisait autrefois, puisqu’elle avait obtenu un doctorat en physico-chimie. Elle a mis de côté ses connaissances pour rester au gouvernement.

Le marché de vaches

Le Süddeutsche Zeitung vient de rapporter que les Verts bavarois, probablement en coordination avec la direction du parti à Berlin, se sont prononcés en faveur d’une prolongation de six mois de la durée de vie de la centrale nucléaire Isar 2. Il semble qu’il y ait une condition à cette décision : vérifier par un test de résistance si l’industrie bavaroise souffrira trop cet hiver si le gaz russe est trop peu disponible. Des décisions similaires seront probablement prises pour les centrales nucléaires de Neckarwestheim 2 (dans le Bade-Wurtemberg) et d’Emsland (en Basse-Saxe). Il est piquant de rappeler que l’opposition farouche à l’énergie nucléaire était à la base de la création du mouvement écologiste allemand, et que c’est ce même parti qui, face à la dure réalité des faits, doit accepter de ne pas fermer les trois dernières centrales nucléaires.

Mais qu’obtiendront les Grünen en échange de cette reddition peu honorable ? Selon le Wall Street Journal, les discussions actuelles portent sur un grand marchandage. Les Verts accepteraient la prolongation des trois dernières centrales nucléaires du pays, chose inimaginable il y a encore peu de temps, au point que le gouvernement de Olaf Scholz a déclaré s’opposer à la décision de la Commission européenne sur la taxonomie acceptant du bout des lèvres l’énergie nucléaire. En échange, ils obtiendraient l’abandon de l’absence de limitation de vitesse sur les autoroutes — l’abandon d’un tabou tout aussi inimaginable jusqu’à récemment. Le FDP libéral va avaler une couleuvre aussi grosse que les Grünen. Ce Kuhhandel (« échange de vaches » en allemand) montre que nous sommes dans le domaine de la politique idéologique, loin de la rationalité. 

La chaleur, principale énergie finale

La guerre en Ukraine révèle enfin au grand public et aux politiciens — y compris l’UE — l’un des points cruciaux de la politique énergétique. L’énergie la plus importante en volume est la chaleur. En fait, 70 % du gaz naturel de l’UE est utilisé à des fins thermiques et non pour la production d’électricité. En Allemagne c’est plus puisque seulement 6 % du gaz naturel est brulé en centrales électriques. Certes, dans la situation catastrophique que risque de vivre l’Allemagne, ne pas utiliser ces 6 % est nécessaire c’est pourquoi le marchandage peut fonctionner. Mais ce ne sera pas suffisant.

La crise énergétique révèle que les panneaux solaires, les éoliennes et les centrales nucléaires n’ont aucun sens si l’énergie thermique est négligée. Dans l’UE, près de la moitié de l’énergie finale utilisée est de la chaleur, l’électricité ne représentant que 22 %. Comme tout le monde, les Allemands ont besoin d’énergie thermique pour chauffer leurs maisons et leurs services en hiver et pour faire fonctionner les fours industriels, un besoin qui a été satisfait jusqu’à présent par la combustion du gaz naturel. Mais ce combustible est également un matériau de base pour l’industrie chimique allemande, qui ne peut se passer du méthane. 

La logique des politiciens allemands est donc que pour satisfaire les besoins thermiques fournis par le gaz naturel, ils vont prolonger les centrales nucléaires qui produisent de l’électricité et réduire la vitesse sur les autoroutes pour utiliser moins d’essence et de diesel qui ne servent pas au chauffage ! C’est de la politique de marchandage loin de la rationalité. 

La France et la Belgique comme l’Allemagne

C’est ce genre de marchandage qui a coûté à la France sa place dans la course géopolitique à l’énergie nucléaire. François Hollande, pour former son gouvernement avec les écologistes, a promis de réduire la part de l’énergie nucléaire à 50 % de la consommation électrique française, détruisant ainsi la confiance des acheteurs internationaux potentiels qui étaient intéressés par la technologie française basée sur une longue et exceptionnelle expérience. La Pologne — le seul pays satellite soviétique sans énergie nucléaire — achètera probablement des centrales nucléaires américaines, et non françaises. Dans la même logique de marchandage, Emmanuel Macron a pris la décision de fermer la centrale nucléaire de Fessenheim, alors qu’elle était pleinement opérationnelle. 

Ce type de marchandage est actuellement en vigueur en Belgique, où dans un processus surréaliste, alors qu’aucune solution alternative n’existe, le monde politique tergiverse sur l’urgence de prolonger les centrales nucléaires existantes. Engie négocie âprement avec le gouvernement belge pour la prolongation de deux centrales en échange d’un soutien financier, alors qu’il n’y a aucune raison de fermer les six centrales du pays. Mais le marchandage est aujourd’hui la base de la stratégie politique en matière d’énergie.

Le marchandage sur les restrictions 

Dans le même temps, la Commission européenne a proposé aux États membres de décider sur une base volontaire, et s’il ne devait pas être suffisant ce serait sur une base contraignante, de limiter la consommation de gaz naturel de 15 %. Ce combustible, si détesté il y a quelques mois, est aujourd’hui si précieux qu’il faut le préserver. Mais le Portugal, l’Espagne la Grèce et l’Italie (voir la lettre du ministre Cingolani au vice-président Frans Timmermans ) ont fait savoir qu’ils ne demanderaient pas à leurs concitoyens de se sacrifier pour aider les Allemands, qui portent la responsabilité première dans cette crise énergétique. Au final, la proposition est entrée en vigueur ce 9 août, mais avec de nombreuses dérogations et diverses échappatoires. Il s'agit surtout d'un effet d'annonce pour rassurer la population inquiète.

Les Grünen allemands, mais aussi Angela Merkel, ont négligé de diversifier leurs approvisionnements en gaz russe, mais surtout ils ont refusé de construire un seul terminal gazier pour pouvoir s’approvisionner en gaz naturel liquide (GNL) sur les marchés internationaux, contrairement aux pays que nous venons de citer, même si l’Italie aurait dû construire plus de terminaux (mais là aussi, l’opposition des Verts l’a emporté). L’Espagne a construit le premier terminal GNL d’Europe dans le port de Barcelone en 1969. Elle en compte aujourd’hui sept sur la péninsule, dont un à Gijon (Asturies) qui n’est même pas utilisé tant le marché est bien approvisionné, et un autre sur l’île de Tenerife. Le reste du gaz provient d’Algérie par deux gazoducs. L’Espagne a suivi dans le passé une stratégie de diversification basée sur l’énergie du futur que l’Allemagne a sciemment ignorée. Il est regrettable que le gouvernement espagnol actuel avec les communistes de Podemos ait choisi l’EnergieWende de l’Allemagne comme modèle.

La Commission européenne ne doit pas s’attendre à ce que l’Europe du Sud se sacrifie pour les écologistes allemands, malgré l’article 122 du traité de Lisbonne qui parle de solidarité « notamment dans le domaine de l’énergie » (sic).

Elle ne doit pas non plus s’attendre à la solidarité de la Hongrie, dont le ministre des Affaires étrangères vient de se rendre à Moscou ce 21 juillet pour négocier des livraisons supplémentaires de gaz russe. Cette visite intervient quelques jours après que le Premier ministre hongrois Viktor Orban a déclaré que l'UE a commis une erreur avec les sanctions. Tout cela va exacerber les relations avec Bruxelles, qui n'a pas hésité à parler de bloquer les fonds destinés à la Hongrie... dans le cadre d'un marchandage.

Que les Allemands assument

Lorsque vous devez payer vos factures d’énergie exorbitantes, rappelez-vous que cela est dû à l’idéologie allemande appelée EnergieWende, qui vise à tuer l’énergie nucléaire et les combustibles fossiles, stratégie suivie totalement ou en partie aussi par votre gouvernement. La crise en Ukraine ne fait qu’exacerber ce problème, mais ce n’est pas Vladimir Poutine qui a inventé la crise dans laquelle l’Allemagne nous a plongés. Les prix de l’énergie ont commencé à augmenter dès septembre 2021, cinq mois avant le début de la guerre (voir mon article dans Atlantico). Nous sommes victimes de la politique allemande de l’EnergieWende et de son corollaire, l’importation de gaz russe. 

Normalement, à part l’Allemagne, il ne devrait pas y avoir de rationnement dans le reste de l’UE, car le mix énergétique est bien diversifié. Que les Allemands, qui ont imposé la marche forcée vers les énergies renouvelables, en assument à présent les contraintes et les éventuels blackouts qui en seront la conséquence. 

Qu’ils commencent à comprendre que limiter la vitesse sur l’autoroute ne chauffera pas leurs maisons.

5 propositions pour une énergie abondante et bon marché 

L’énergie est une chose sérieuse. Hélas les politiciens démagogues et « marchands de vaches » en ont pris le pouvoir dans l’UE. Que cette crise serve à le leur faire comprendre que les fondateurs de l’UE avaient raison lorsqu’il disait qu’il n’y aurait pas d’avenir sans énergie abondante et bon marché. Il faudrait à présent  abandonner tous les marchandages verts du passé et  :

  1. poursuivre le fonctionnement des centrales nucléaires existantes, en particulier en Belgique et en Allemagne qui voulaient les arrêter toutes,

  2. relancer le développement de la recherche nucléaire comme l’exige le traité Euratom, 

  3. la Commission européenne devrait mettre à jour son programme indicatif nucléaire de 2016 (une obligation imposée par l’article 40 du traité Euratom),

  4. la Commission européenne devrait proposer une directive favorisant l’exploitation des ressources de gaz et pétrole de schiste

  5. l’UE devrait abandonner ou renvoyer ses objectifs irréalistes et couteux de décarbonation (Fit 55), en particulier la politique allemande de promotion de l’hydrogène qui ne pourra se faire qu’avec plus de gaz naturel comme je le montre dans mon livre « L’utopie hydrogène ».

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Les derniers ouvrages de Samuele Furfari sont « Énergie tout va changer demain. Analyser le passé, comprendre l’avenir » et « L’utopie hydrogène»

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