La guerre en Ukraine révèle l’échec de la stratégie énergétique allemande et donc de l’UE<!-- --> | Atlantico.fr
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Cette photo montre un panneau de signalisation indiquant l'entrée de l'installation de la conduite de gaz Nord Stream 2 à Lubmin, dans le nord-est de l'Allemagne.
Cette photo montre un panneau de signalisation indiquant l'entrée de l'installation de la conduite de gaz Nord Stream 2 à Lubmin, dans le nord-est de l'Allemagne.
©ODD ANDERSEN / AFP

Crise environnementale

L'offensive militaire en Ukraine a mis en lumière la crise énergétique au sein de l’Union européenne. L'Allemagne est notamment dépendante du gaz russe..

Samuel Furfari

Samuel Furfari

Samuel Furfari est professeur en géopolitique de l’énergie depuis 20 ans, docteur en Sciences appliquées (ULB), ingénieur polytechnicien (ULB). Il a été durant trente-six ans haut fonctionnaire à la Direction générale de l'énergie de la Commission européenne. Auteur de 18 livres.

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La brutale et inadmissible invasion de l’Ukraine voulue par le Vladimir Poutine a révélé l’état périlleux de la situation énergétique de l’UE. C’est l’Allemagne qui nous a entrainés dans cette débâcle, qui nous a rendu prisonniers de l’énergie de la Russie. Pendant des décennies, l’UE a été endoctrinée par les écologistes Allemands (Hans Jonas) qui ont diabolisé l’électricité nucléaire et les énergies fossiles. Et pourtant, ces énergies réprouvées ont forcé le Conseil européen — dans ce qu’il faut bien appeler une forme d’humiliation — à ne pas adopter des sanctions contre l’énergie qui vient de Russie tellement elles sont indispensables à notre économie. Eh oui, l’énergie c’est la vie. Nous avons besoin d’énergie abondante et bon marché, que cela plaise ou non.  

En octobre 2000, la Commission européenne avait publié un livre vert sur la sécurité d’approvisionnement énergétique de l’UE. Elle définissait une stratégie de bon sens qui consiste à ne pas mettre tous les œufs dans le même panier. Premièrement, il convient de diversifier les types d’énergie primaire utilisée. Deuxièmement, il est prudent de diversifier les pays d’où l’on importe ces énergies et troisièmement, même pour une même énergie et un même pays, il est sage de diversifier les routes et moyens d’approvisionnement.

Pendant une quinzaine d’années, ces précautions élémentaires ont prévalu. Mais sous la pression des idées des écologistes allemands qui règnent à Bruxelles/Strasbourg, ces principes de base ont été mis de côté. L’Allemagne — avec la chancelière Angela Merkel convertie à l’écologisme antinucléaire — a imposé à l’UE de viser l’élimination de toutes les énergies fossiles et du nucléaire pour ne plus laisser que les sympathiques énergies renouvelables. Leur stratégie EnergieWende a consisté à lutter contre le changement climatique — traduisez ‘rien que de l’énergie renouvelable’ — et non plus à assurer l’indispensable sécurité d’approvisionnement. Vous pourriez rétorquer que si l’on avait 100 % d’énergies renouvelables, on n’aurait plus à se soucier de la Russie. Sauf que cette volonté de produire plus d’énergies renouvelables ne résulte pas de la lutte contre le changement climatique, car cette quête date de bientôt un demi-siècle. Si depuis les chocs pétroliers de 1973 et 1979 on est parvenu à produire 2,5 % de la demande en énergie primaire au départ de l’énergie éolienne et solaire photovoltaïque, malgré le soutien indéfectible ― et justifié dans un premier temps de la Commission européenne ―, c’est qu’il y a des raisons rédhibitoires qui relèvent de la physique et n’obéissent pas aux directives de l’UE. Nier l’évidence a contribué à conduire à cet échec allemand qui se répercute sur toute l’UE.

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La seconde erreur de l’Allemagne est d’être trop dépendant non pas du gaz naturel (il ne représente que 25 %), mais du gaz russe. En 2019 elle a importé 84 milliards de m³ (Gm³), dont 51 Gm³ de Russie. Le gazoduc Nord Stream 1 qui évite l’Ukraine, la Biélorussie et la Pologne en traversant la mer baltique et qui fonctionne depuis 2011 peut transporter 55 Gm³ et le nouveau Nord Stream 2 autant. Il est terminé grâce à la détermination d’Angela Merkel qui a convaincu le 15 juillet 2021 qu’il fallait achever cette infrastructure. Il faut dire que depuis toujours le SPD qui était en coalition avec madame Merkel et qui dirige à présent le gouvernement a toujours été proche de l’énergie russe. Du temps du chancelier Willy Brandt, on appelait le SPD la cinquième colonne de Moscou. D’ailleurs, ce romantisme russe a conduit l’ex-chancelier SPD Gerhard Schröder à proposer le Nord Stream 1 et l’est encore puisqu’il est nominé pour le Conseil d’administration de Gazprom, raison pour laquelle il vit sous protection. Le land du Mecklembourg–Poméranie-Occidentale où débouchent à Greifswald les deux gazoducs est dirigé aussi par le SPD. Certes, les Verts allemands s’opposaient à ce gazoduc, mais l’accord gouvernemental n’avait pas prévu l’abandon du gaz russe.

Mais il y plus étrange pour une économie aussi importante. L’Allemagne n’a pas construit un seul terminal gazier pour recevoir des méthaniers transportant du gaz naturel liquéfié (GNL) afin de s’approvisionner sur le marché mondial. Les écologistes se sont opposés aux divers projets présentés, car ils y voyaient la perpétuation de l’importation d’une énergie fossile. Pourtant, en 2003, alors que les États-Unis étaient confrontés à un risque de pénurie de gaz naturel indigène — c’était avant le développement du gaz de schiste —, le président de la Réserve fédérale, Alan Greenspan, qualifiait le GNL de « soupape de sécurité ultime ». L’Allemagne ne l’a pas cru. Pas plus qu’au gaz de schiste d’ailleurs. Presque tous les États membres maritimes de l’UE possèdent un ou des terminaux GNL. La France en possède 3, l’Italie également et l’Espagne 7. On voit là aussi la contradiction de la politique américaine qui aspire à ce que l’Allemagne importe son gaz de schiste qu’on a refusé de même prospecter, mais où devrait-il être livré ?

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En paraphrasant Lord Palmerston qui lui évoquait le Royaume-Uni, rappelons que les États n’ont pas d’amis, ils n’ont que des intérêts. C’est vrai pour les États-Unis — évidemment aussi pour la Russie — mais c’est hélas vrai aussi pour les États membres de l’UE entre eux. La péninsule ibérique possède 8 terminaux GNL, mais ils sont inutiles pour le reste de l’UE à cause de la France qui refuse l’interconnexion gazière entre le nord de la Catalogne et Perpignan. Il en est de même pour le gaz algérien qui pourrait arriver par l’Espagne vers l’Allemagne via la France. Nous sommes là en plein dans une des nombreuses contradictions de la politique énergétique de l’UE.

Rappelons l’enthousiasme allemand pour l’hydrogène, enthousiasme que je dénonce dans mon livre « L’utopie hydrogène » et qui a de nouveau conduit l’UE à s’engouffrer dans ce cul-de-sac grâce au fonds de relance « Covid ». Pire ! L’Allemagne se préparait à importer par les gazoducs Nord Stream de l’hydrogène produit en Russie. L’hydrogène n’existe pas dans la nature et doit être produit à partir d’une énergie (le plus souvent à partir de gaz naturel) et bien évidemment cela ne peut se faire qu’avec une perte de rendement, mais en plus c’est de la Russie de Poutine que les Allemands se préparaient à être dépendant d’une prétendue énergie verte.

Le jour même où Vladimir Poutine annonçait la reconnaissance des républiques de Donetsk et de Louhansk (ou Lougansk), le forum des pays exportateurs de gaz était réuni à Doha. Ce genre d’ « OPEP du gaz » qui représente 70 % du marché mondial du gaz (les États-Unis n’en font pas partie) a fait savoir que l’UE ne doit pas compter sur des exportations supplémentaires de leur part. Leurs carnets de commandes sont remplis par des contrats à long terme avec des pays qui ne sont pas obnubilés par la décarbonation. Cela ridiculise la position Jo Biden qui espérait faire dévier des méthaniers qui partent de ces pays… vers l’Allemagne où il n’y a pas de terminal.

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L’énergie c’est la vie. Elle transcende toutes les autres activités. C’est la raison pour laquelle les dirigeants européens n’ont pas pu adopter de sanctions sur l’énergie russe (à l’exception d’une vague référence à des pièces de rechange pour les raffineries pétrolières). Il reste l’annonce d’Olaf Scholz de geler la procédure administrative de certification du Nord Stream 2. L’UE est et restera encore longtemps très dépendante de la Russie pour son approvisionnement en gaz, en pétrole, en charbon et en uranium. On ne crée pas en quelques mois les infrastructures énergétiques qui auraient dû être construites depuis des années.

Il faudra bien que Berlin se résigne à abandonner son l’idéologie verte antinucléaire et anti-lignite (très bon marché). S’ils veulent maitriser un minimum leur dépendance du gaz russe, ils doivent maintenir les centrales qu’ils promettaient de fermer. Ironie de l’histoire, c’est un gouvernement avec des écologistes qui devra le faire. La Belgique se trouve dans la même situation, le gouvernement ― avec des écologistes qui ont imposé depuis 2003 l’abandon définitif et irrévocable de l’électricité nucléaire ― va être contraint en toute logique de prolonger la vie de certaines centrales nucléaires.

Il est temps que l’UE cesse de suivre l’EnergieWende allemande qui devrait plutôt être appelée EnergieVerrat, car il s’agit d’une traitrise et non pas d’une transition. Le reste du monde nous enseigne que l’avenir est à l’énergie abondante et bon marché, c’est-à-dire les énergies fossiles, et la nucléaire tout en faisant jouer la concurrence pour assurer à la fois la sécurité d’approvisionnement et un prix raisonnable.

Dans son livre L’esprit des lois, Montesquieu écrit « Deux nations qui négocient ensemble se rendent réciproquement dépendantes : si l’un a intérêt d’acheter, l’autre a intérêt de vendre. Et toutes les unions sont fondées sur des besoins mutuels ». Cette phrase s’applique parfaitement à notre situation énergétique. La sécurité d’approvisionnement énergétique c’est comme le tango, il faut être deux partenaires qui s’apprécient. Après le délitement de l’URSS — que Poutine appelle la grande catastrophe ―, l’UE avait signé en 1994 avec la Russie le traité de la Charte de l’Énergie pour assurer l’apport technologique de l’UE en échange de l’accès aux vastes gisements russes d’hydrocarbures. Depuis deux ans, des parlementaires européens endoctrinés par l’idéologie verte prétendent que l’UE quitte ce traité international ou qu’elle impose aux autres ses modification au prétexte que la charte protège les investissements dans les infrastructures de production et de transport des énergies fossiles. On aurait pu poursuivre le dialogue constructif commencé en 1994 avec la Russie et ainsi être des partenaires qui se faisaient confiance, de manière à intégrer toujours plus la Russie et donc aussi l’Ukraine dans l’espace économique européen. Ou alors il aurait fallu réduire fortement la dépendance des importations d’énergie russe.

L’UE n’a fait ni l’un ni l’autre. Elle a raté sa stratégie de géopolitique énergétique. Le piège de la décarbonation se referme sur nous. À l’avenir les Ukrainiens se souviendront que c’est l’UE qui a donné à Vladimir Poutine les armes pour les envahir tout en humiliant les dirigeants de l’UE. C’est bien dommage pour nous qui avons cru dans la construction européenne. Nous étions pourtant si bien partis, mais une idéologie écologique aussi destructrice que le communisme a tout cassé.

Samuel Furfari a écrit “Écologisme. Assaut contre la société occidentale”(Éditions VA) et en 2 volumes « The changing world of energy and the geopolitical challenges », éditions KDP.

Samuel Furfari
Professeur en géopolitique de l’énergie
Président de la Société Européenne des Ingénieurs et Industriels

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