La guerre du Sud : l’autre réalité de la progression russe en Ukraine<!-- --> | Atlantico.fr
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Un membre des forces de défense territoriale ukrainiennes observe les dégâts causés par un bombardement dans la deuxième ville d'Ukraine, Kharkiv, le 8 mars 2022.
Un membre des forces de défense territoriale ukrainiennes observe les dégâts causés par un bombardement dans la deuxième ville d'Ukraine, Kharkiv, le 8 mars 2022.
©SERGEY BOBOK / AFP

Guerre en Ukraine

Si la situation dans le Nord et l’Est du pays - où se sont concentrées les forces ukrainiennes - peut donner l’impression d’un enlisement russe, la progression des forces russes dans le sud de l’Ukraine donne une autre image du conflit

Jean-Vincent Brisset

Jean-Vincent Brisset

Le Général de brigade aérienne Jean-Vincent Brisset est chercheur associé à l’IRIS. Diplômé de l'Ecole supérieure de Guerre aérienne, il a écrit plusieurs ouvrages sur la Chine, et participe à la rubrique défense dans L’Année stratégique.

Il est l'auteur de Manuel de l'outil militaire, aux éditions Armand Colin (avril 2012)

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Jérôme Pellistrandi

Jérôme Pellistrandi

Le Général Jérôme Pellistrandi est Rédacteur en chef de la Revue Défense nationale.

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Atlantico : On évoque assez largement une forme d’enlisement russe dans le nord et l'est de l’Ukraine mais les combats ont aussi lieu au sud. Quelle est la situation au sud ? La progression de l’armée russe y est-elle différente ?

Jean-Vincent Brisset : Il y a deux grandes villes dans le sud de l’Ukraine : Marioupol et Odessa. Marioupol est entièrement tombée semble-t-il. Mais à Marioupol comme ailleurs on ne voit pas de grandes attaques frontales, de démolitions importantes, comme on a pu en voir dans d’autres conflits (notamment en Syrie) alors que le matériel adéquat y est. Il semble donc effectivement que les choses se passent sans utilisation lourdes de machines dans le sud.

A l’est (principalement dans le Donbass) et dans le sud, les populations sont plus russophones. Il est évident que la résistance des populations dans ces régions n’est pas aussi solide qu’ailleurs.

Le territoire du sud est-il plus favorable au déploiement des Russes (notamment en raison de la proximité de la Crimée) ?

Jean-Vincent Brisset : Cela se passe sans doute mieux car l’élongation logistique est assez faible. A partir de la Crimée, désormais russe, le matériel a pu être prépositionné, les distances sont relativement faibles, les convois d’approvisionnement ne sont pas à découvert sur de longues distances. Ce qui semble apparaitre dans ce conflit est que les Russes pensaient obtenir la chute définitive de Kiev en trois jours et remplacer le gouvernement, ce qui n’a pas fonctionné. Ils ont opéré avec des divisions pratiquement « consommables » qu’on lance à toute vitesse et qui écrasent tout sur leur passage mais que l’on n’a pas besoin de ravitailler. Les résistances sont plus fortes que prévues, les ravitaillements en sont donc plus compliqués. C’est pour cette raison que les choses sont plus faciles dans le sud où les Ukrainiens sont, en plus, menacés par une potentiellement seconde armée russe arrivant par le front de l’est. 

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S'emparer des rives de la mer Noire et des villes de Marioupol et d’Odessa est-il un objectif stratégique pertinent pour la Russie ?

Jean-Vincent Brisset : Marioupol moins car la mer d’Azov est une mare russia mais Odessa c’est LE débouché maritime de l’Ukraine. Pour le moment, j’imagine que le trafic est pratiquement nul mais en cas de partition de l’Ukraine, ce qui risque d’arriver, au moins dans les faits, pendant les moins qui viennent, cela créera une asphyxie maritime de l’Ukraine. 

L'objectif est-il donc d'obtenir le plus de territoire possible lors d'un possible accord de fin de conflit ou en tout cas de facto ?

Jean-Vincent Brisset : Je ne pense pas que ça soit leur objectif de départ mais je pense que face à la situation, ils doivent se réinventer des objectifs. De nombreux observateurs, dont je fais partie, sont surpris de l’importance des faiblesses russes : le renseignement, la puissance aérienne, la logistique, la planification, le combat interarmes, etc. Si Poutine découvre qu’il a été mal renseigné, que les données des analystes lui sont mal parvenues, il risque de s’énerver. 

On évoque la mort d’un général russe haut-gradé ces derniers jours. Est-ce la preuve là encore d’un dysfonctionnement de l’armée russe ?

Jean-Vincent Brisset : Dans les conflits mêmes modernes, pour les pays où l’on retrouve une solidité militaire au niveau du pouvoir, comme la Russie, les généraux de haut-niveau vont près de la ligne de front. C’est donc normal qu’il y ait de la casse.

Face aux déséquilibres des forces entre Ukraine et Russie est-il normal que les Ukrainiens ne puissent tenir tous les fronts et que par exemple le sud soit moins solide ?

Jean-Vincent Brisset : Il faut bien avoir conscience que le nombre de militaires présents sur le terrain est à peu près le même de chaque côté : 150 000 soldats russes et au moins autant pour l’armée ukrainienne après mobilisation. Cela dit, tenir le front sur 2000 km est très compliqué. La ligne de front est en forme de tenaille, nord, est, sud et la moitié de l’armée ukrainienne est au milieu de la tenaille. Derrière, il reste des profils moins bien entrainés. Il est relativement logique que le front de l’est ne cherche pas à avancer car si les russes arrivent à avancer au nord et au sud, il pourrait encercler les ukrainiens. 

On constate une plus forte percée de l’armée Russe au sud de l’Ukraine que dans le nord du pays, est-ce réel ? 

Jérôme Pellistrandi : En effet, l’armée russe fait de légers progrès tactiques au Sud en comparaison du Nord. Il n’y a pas de grand raid blindé pour prendre tel ou tel territoire. Mais tout cela est à nuancer. Partis de la Crimée, ils n’ont pris qu’une seule ville importante : Kherson. Ils essaient de franchir la ville de Mykolaïv qui est sur la route d’Odessa et comme la ville se défend, ils tentent de la contourner. Cette avancée plus importante au sud est due à des unités plus effacées et à un meilleur commandement. Il semblerait que sur le front Nord le commandement soit moins bon. Un autre point est à souligner, au Sud le climat est moins rigoureux que dans le Nord de l’Ukraine. Dans cette partie c’est encore l’hiver, il neige, il y a de la boue et la température est moins clémente. 

Quel est l’objectif de Poutine sur ce front Sud ? 

Jérôme Pellistrandi : L’objectif est d’obtenir une continuité continentale entre la Crimée, le Donbass et la Russie. Marioupol les empêche pour le moment d’avoir une continuité complète et d’avoir le contrôle sur la mer d’Azov. En se dirigeant vers Odessa, l’objectif est de retirer à l’Ukraine son accès à la mer et dans une négociation l’exportation des denrées ukrainiennes seraient obligés de passer par le territoire contrôlé par les Russes. Il y a un véritable objectif derrière cette percée. Aujourd’hui, la crainte d’une opération amphibie pour se saisir d’Odessa est aussi réelle.

Les Ukrainiens ont-ils des problèmes à tenir ce front ? 

Jérôme Pellistrandi : Bien entendu, mais globalement ils arrivent à coordonner leur défense sur les différentes lignes. Ce n’était pas évident et ils ont été obligés de perdre du terrain. Ils sont bien plus efficaces que ce qui était envisagé initialement.

Quelles conséquences pour l’Ukraine si les Russes occupent toute la partie sud du pays ? 

Jérôme Pellistrandi : Si les Russes capturent Odessa, c’est toute la fiabilité de l’État Ukrainien qui serait remise en cause. En empêchant l’Ukraine d’avoir accès à cette façade maritime le pays deviendrait un état-croupion. Et cela poserait un problème pour la Moldavie et pour la Roumanie car les troupes russes seraient à ses frontières.

Plus largement, pour occuper la totalité du grand territoire ukrainien, il faudrait surtout que la Russie occupe la rive ouest du Dniepr avec des territoires encore sous contrôle ukrainien. L’objectif de Poutine n’est pas seulement le Donbass c’est toute l’Ukraine. Il est dans une voie sans-issue. 

Obtenir un maximum de territoire au sud serait-il un accord de fin de conflit ? 

Jérôme Pellistrandi : Pour négocier il faut avoir des arguments. Au départ, l’idée était de ne pas négocier et de défaire l’Ukraine en quelques jours. Ici, c’est beaucoup plus compliqué pour les Russes, ils n’ont pas saisi les grandes villes à part Kherson, ils ont des territoires incontrôlés et d’autres occupés. Qui dit occuper des territoires dit répression. La difficulté pour Poutine est de voir la meilleure manière de faire une fuite en avant.

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