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La guerre d’après 2017 : pourquoi la droite aura de la peine à survivre à sa victoire prévisible
©DR

Et après ?

Alors que de nombreux observateurs prédisent aujourd'hui une victoire de la droite à l'élection présidentielle de 2017, celle-ci pourrait bien devoir faire face à de sérieux bouleversements dans les prochains mois.

Guillaume Bernard

Guillaume Bernard

Guillaume Bernard, docteur et habilité à diriger des recherches en histoire des institutions et des idées politiques, est maître de conférences à l'ICES (Institut Catholique d'Études Supérieures).

Il enseigne ou a enseigné dans divers autres établissements comme Sciences-Po Paris. Il a rédigé ou codirigé un certain nombre d'ouvrages scientifiques parmi lesquels Dictionnaire de la politique et de l'administration (PUF, 2011) et Introduction à l'histoire du droit et des institutions (Studyrama, 2éd., 2011), ou destinés au grand public, dont L'instruction civique pour les nuls (First, 2e éd., 2015). Il est également l'auteur de La guerre à droite aura bien lieu, (Desclée de Brouwer, 2016).

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Atlantico : Parmi les nombreuses crises que traverse la société française actuellement, la crise de confiance envers le politique n'est pas la moins importante. Pour remédier à cela, les élites politiques avancent régulièrement l'argument des primaires, qu'elles soient de gauche comme de droite. Pourtant, vous qualifiez dans votre livre ce processus comme un "faux-semblant démocratique". Pourquoi ?

Guillaume Bernard : Premièrement parce que la sélection des candidats aux primaires est faite par les partis politiques eux-mêmes. Ils n'émergent pas de la société civile mais sont des caciques et des personnalités directement issues des instances dirigeantes de ces partis. Les primaires veulent donner le sentiment que les électeurs peuvent faire le choix de leur candidat, mais celui-ci ne peut être fait qu’au sein d’une liste imposée. A cela s’ajoute le fait que les différences entre les "gros" candidats sont assez ténues : les primaires, c’est donc plus un choix sur la personnalité que sur les orientations idéologiques (dans l’actuelle primaire de la droite et du centre, ils sont tous peu ou prou libéraux).

Deuxièmement, les petits candidats issus des courants minoritaires dans la direction ou des petites formations extérieures (quand il leur est permis de se présenter) ont peu de chances d'être choisis et servent surtout de caution au processus. On peut évoquer ici le cas d'un Jean-Michel Baylet à gauche en 2011 ou d'un Jean-Frédéric Poisson à droite aujourd'hui, encore que ce dernier a, à l’évidence, plus de différences de fond avec ses concurrents que n'en avait Baylet en 2011. En théorie, c’est lui qui pourrait créer la surprise.

Troisièmement, exceptés les vrais présidentiables potentiels, la plupart des candidats aux primaires sont là pour essayer de mesurer leurs forces, ce qui leur permet de négocier ensuite un positionnement dans une équipe gouvernementale ou dans les instances d'un parti. Le cas archétypique ici est celui de Manuel Valls. Même s'il a fait en 2011 moins de 10%, son ralliement à François Hollande a permis de faire de lui un ministre puis un Premier ministre.

Alors qu'à sa création en 2002, l'UMP avait pour vocation de rassembler sous une même étiquette l'énorme majorité de la droite dite "républicaine", vous affirmez que cette droite modérée est aujourd'hui traversée par une triple fracture interne, "d’ordre sociologique, idéologique et stratégique". Qu'entendez-vous par là ?

À sa création, l'UMP, devenue Les Républicains, a signifié la mort partisane du gaullisme. On avait dans la droite modérée un parti centriste libéral et pro-européen (l’UDF), et un parti néo-gaulliste plus social, partisan d'un État fort et protecteur, un parti plus sceptique vis-à-vis de la construction européenne (le RPR). À partir du moment où la quasi-totalité des hommes politiques de ces deux partis ont fusionné dans l'UMP, il n'y a plus eu de ligne gaullo-bonapartiste dans l'UMP. C’est ainsi que se sont creusées trois lignes de fracture internes à la droite modérée.

Premièrement, en essayant d'être un parti unique à droite, LR réunit des tendances disparates qui traduisent un certain éparpillement idéologique. Il y a une tendance libérale et une tendance plus sociale. Une tendance pro-européenne et une tendance plus eurosceptique, voire souverainiste. Il y a donc des distorsions idéologiques dans ce parti.

Ensuite, il y a aussi une fracture d’ordre sociologique en raison de la distorsion entre la direction du parti et l'opinion publique de manière générale. Par l'alliance des centristes et du RPR, on a eu une direction du parti plus modérée que ne le sont les électeurs, et plus encore les sympathisants. Nous avons donc d'un côté une base droitière et de l'autre une élite plutôt portée vers le centre.

Enfin, la troisième distorsion porte sur les enjeux stratégiques. De qui est-on le plus proche ? Il y a entre 40 et 50% des sympathisants LR qui sont favorables à ce que leur parti trouve un modusvivendi avec le FN (sinon des alliances, du moins des désistements), alors que c'est une position totalement rejetée par la direction, y compris par les tenants de la droite dite "décomplexée" (Jean-François Copé ou Nicolas Sarkozy). Même si le front républicain bat de l'aile, il y a toujours le "ni ni" qui coupe une grande partie de la base de la direction.

Compte tenu de l'état de la gauche actuellement, n'y a-t-il pas suffisamment de place aujourd'hui pour "deux" droites au sein de la droite modérée ? Une telle distinction ne permettrait-elle pas de trancher plus clairement entre les lignes Juppé et Sarkozy, à l'heure où les "procès" en infiltration du corps électoral de la primaire de la droite fleurissent chez les deux camps ?

L'organisation d'une primaire est bien le signe que cette famille politique est éparpillée et n'a pas de chef naturel. Les candidats ont du mal à se différencier parce qu’ils essayent de "ratisser" le plus largement possible (c’est du syncrétisme idéologique) tout en tenant des postures différentes afin d’être plus facilement identifiés (et capter des strates électorales différentes). Les différences entre les candidats sont plus de degré que de nature.

Mais, à la base et parmi les électeurs, il existe incontestablement des sensibilités nettement plus marquées. Il y a au moins deux grandes familles politiques. L'une est l'héritière de l’orléanisme (les libéraux), l'autre est plus sociale et conservatrice (le courant issu du bonapartisme et du gaullisme). On retrouve ces deux tendances au sein de LR. Par son positionnement et ses valeurs, la droite libérale a des velléités de collaborer avec la gauche social-libérale et pourrait très bien former avec elle un gouvernement de "grande coalition", tandis que la droite gaullo-bonapartiste aurait plus de difficultés à le faire.

Ces deux familles continuent de cohabiter plus par rejet du PS d’un côté et du FN de l’autre que par une entente réelle. La logique idéologique voudrait que la droite libérale s'associe avec le centre-gauche, et que la droite bonapartiste se rapproche du FN. Mais il y a une pesanteur et une force d'inertie du système partisan qui explique que cela ne se fait pas.

Il est certain qu'après la présidentielle et les législatives, la droite est susceptible de connaître de fortes tensions internes en fonction des alliances et de l'orientation que prendra le gouvernement.

Dans votre chapitre sur la tripolarisation du paysage politique français, vous dites que la montée du Front national et son affirmation en tant que troisième grand bloc politique rendent plus incertain le "phénomène majoritaire" pour les législatives qui suivront la présidentielle de 2017. Doit-on en conclure que même s'il se heurte encore à son "plafond de verre", le Front national a d'ores et déjà bouleversé la vie politique française depuis quelques années ?

La réponse ne peut être qu’affirmative. La droitisation de l’électorat combinée à l’épuisement idéologique de la gauche, c’est ce que j’ai proposé d’appeler le "mouvement dextrogyre".

Les modes de scrutin de la présidentielle et des législatives ainsi que les habitudes de la vie politique française tendaient à la bipolarisation. En imposant un cordon sanitaire autour du Front national, les différents partis pensaient le cantonner à des résultats subalternes. Malgré cela, les circonstances – la conjonction des crises (insécurités physique et matérielle, économique et sociale, culturelle et morale) – a conduit à sa progression et à la "nationalisation" de ses résultats. Le FN est désormais en capacité d'empêcher l'un des deux autres camps d'avoir une majorité nette, en particulier aux législatives où il pourra imposer énormément de triangulaires.

La principale difficulté pour le prochain président de la République, quel qu'il soit, sera de disposer d'une majorité confortable et stable. C'est pourquoi Alain Juppé a d'ores et déjà déclaré qu'il ne serait pas hostile à une grande coalition avec une partie de la gauche modérée, sachant qu’il ne serait pas nécessairement toujours soutenu par les députés LR les plus à droite. Le FN n’attend que cela puisqu’il espère ainsi un retour à la bipolarisation à son profit.

>>>>> A lire aussi : Pourquoi ceux qui rêvent d’un duel contre le FN feraient bien de se rappeler 1848 et l’écrasante victoire de Louis-Napoléon Bonaparte

Pour expliquer l'émergence de la droite "hors les murs" (Buisson, Zemmour, Menard...), vous avancez l'idée selon laquelle les Français seraient d'accord avec certaines mesures préconisées par le FN, mais uniquement si elles étaient portées par une formation ou des personnalités extérieures au FN. Cette droite "hors les murs" pourrait-elle donc, à terme, supplanter le FN ? Qu'est-ce qui l'en empêche encore aujourd'hui ?

Il y a grosso modo un tiers de l'électorat de la droite modérée et un tiers de celui du FN qui souhaiteraient avoir une autre offre électorale positionnée clairement à droite. Sur le papier, cela représente environ 20% du corps électoral (ce qui, par transfert de voix, mettrait d’ailleurs LR et le FN au même niveau). Ce qui bloque aujourd’hui principalement l’émergence de cette droite "hors les murs", qui existe incontestablement dans l’opinion publique, c’est son défaut d’incarnation.

Ensuite, cette droite hors les murs ne peut, à mon sens, émerger qu’à deux conditions.

La première condition, c'est qu'elle fasse le pont entre le FN et LR. Elle ne peut se contenter d’exister entre eux, d’être une césure, mais doit chercher à incarner l’union ou le rassemblement des droites. Elle doit réaliser un décloisonnement pour favoriser une recomposition. D'ailleurs, c'est ce qui explique selon moi les difficultés de Nicolas Dupont-Aignan à émerger. Tout en ayant rompu avec la droite modérée, il apparaît encore comme étant une "frontière" entre la droite et le FN…

La deuxième condition, c'est qu'il y ait au moins l'une des deux familles politiques de la droite, soit LR soit le FN, qui connaisse une crise interne (sans qu’il y ait besoin pour autant d’une scission radicale) qui se traduise par une hémorragie de ses élus et de ses cadres. Cela peut arriver des deux côtés. Soit parce que Marine Le Pen ne fait pas un aussi bon score que ses militants ne le prévoient à la présidentielle, soit parce que le candidat LR choisi par la primaire n'aurait pas le soutien réel de l'ensemble de la formation. Si Alain Juppé est désigné, toute une partie de l'électorat LR ne se retrouvera sans doute pas en lui et aspirera à ce que cet espace politique entre les libéraux et le FN soit couvert par une offre politique.

Enfin, disons-le clairement : si nombre de personnes au FN souhaitent que Nicolas Sarkozy soit le candidat LR, ce n'est pas parce qu'ils l'apprécient plus qu'Alain Juppé, mais bien parce qu’ils pensent que cela occuperait l'espace politique de la droite hors les murs, et donc limiterait les risques de son émergence qu’ils craignent…

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