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Le Front de gauche a invité, lors de la campagne électorale, la gauche à se « décomplexer ».
Le Front de gauche a invité, lors de la campagne électorale, la gauche à se « décomplexer ».
©Reuters

Valeurs à géométrie variable

Alors que la droite avance le front baissé, redoutant d'être taxée de conservatrice, ringarde, ou réactionnaire, la gauche garde la tête haute. Au pire, on la traite de naïve ou d'angélique, mais les invectives qui lui sont réservées n'ont pas la violence de ceux lancés à la droite. Existe-t-il donc des complexes à gauche ? On pourrait en douter.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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A lire également,  Droite décomplexée : mais de quels complexes parle-t-on ?

Dans un élan mimétique avec la droite, le Front de gauche a invité, lors de la campagne électorale, la gauche à se « décomplexer », elle aussi. On notera toutefois que, à la différence de la droite dont les complexes font l’objet d’une autocritique, la critique venait dans ce cas de sa frange la plus excessive qui lui reprochait de ne pas oser aborder « dans la clarté, le courage et la vérité » les sujets sensibles que sont l’assistanat, l’intégration, la laïcité, le nucléaire.

Poursuivons notre comparaison entre société vivante et organisme biologique. Nous avons vu que, pour qu’une société survive, il lui fallait penser à s’assurer une subsistance, se défendre contre les agressions et entretenir la structure dont elle est faite – l’ordre autour duquel  elle est organisée et qui constitue l’analogue de son squelette. Ce sont les exigences que rappelle la droite. Mais un organisme vivant se sclérose s’il n’est pas à même d’explorer le milieu dans lequel il vit. Il doit aller chercher ses apports dans un monde étranger ; face à l’instabilité permanente du monde vivant,  il ne lui est pas permis de se replier sur lui-même. Il lui faut assimiler l’environnement dans lequel il se développe et dont les évolutions imposent un effort d’adaptation. Nul doute, par exemple, que l’espèce humaine aurait péri si nos ancêtres, les premiers Sapiens, n’avaient pas su remettre en cause leur mode de vie en Afrique de l’Est il y a plus de 250 000 ans pour se lancer dans de grandes transhumances.

C’est sur cet aspect du fonctionnement social que la communauté de gauche met l’accent. Elle  privilégie l’ouverture aux questions nouvelles et s’autoproclame, à ce titre, « force de progrès ». Elle ne cherche pas à conserver l’ordre du passé mais à le faire évoluer vers un futur : elle prend le parti d’introduire dans l’ordre établi une part de désordre créatif au risque du chaos.

Elle adopte donc le parti de l’étranger : celui que l’ordre établi rejette, celui  qui n’est pas encore intégré. Il peut s’agir d’une classe d’individus – et elle se considèrera comme altruiste ; ou cela peut concerner des points de vue - et elle se jugera progressiste.

Altruiste, progressiste : on admettra qu’il n’y a pas lieu d’être complexé.  Et de fait, les complexes de la gauche n’ont pas l’évidence de ceux de la droite. Du moins tant que l’on s’en tient à la définition courante, celle qui assimile le complexe à un sentiment d’infériorité. Mais les psychologues décrivent également  des complexes inverses : complexes de supériorité, complexe d’intelligence.

Ce type de déformation qualifierait sans doute bien, dans un grand nombre de cas, ce qui caractérise la communauté de gauche. Pour s’en convaincre, on se reportera aux débats télévisuels qui ont opposé, il y a peu, pendant la campagne électorale, des représentants prototypiques de la droite aux prototypes adverses.  Dans quel camp se repère, le plus souvent, une attitude hautaine ?

Quoi de plus naturel qu’être fier - au point même d’afficher une certaine morgue - d’être ouvert et généreux ?  Face au pragmatisme d’une droite dont on peut facilement dénoncer la frilosité au changement, les « obsessions sécuritaires », il est plus valorisant d’oser ouvrir la porte sur le grand large et de déployer des idées neuves qui visent à intégrer chacun dans la communauté, à ne laisser personne sur le bord du chemin, bref, à s’émanciper de son héritage historique pour créer l’histoire de demain. En renvoyant au second plan les question économiques, dont les acteurs, au fond, ne songent qu’à des profits égoïstes : le progrès est en marche, il est au service de l’homme, de son accomplissement et de sa liberté.

Les ressources d’une société résultent d’une implication collective que provoquera nécessairement l’amélioration de la condition des individus. A l’inverse de la communauté de droite qui ne fait pas rêver, la communauté de gauche fait rêver et elle attire beaucoup d’intellectuels et d’artistes créatifs – un motif de plus pour la droite d’être complexée.

La sollicitude pour ceux qu’écrase l’ordre, l’altruisme dont se flatte la gauche n’a pourtant pas toujours que de bons effets. On a vu que égoïsme et altruisme pouvaient être considérés comme les deux faces de la même médaille, et qu’on avait tort de ne voir que des défauts dans l’un et des qualités dans l’autre. Trop de bonté est parfois une manière de prendre en otage celui qui se sent redevable, et les psychiatres savant bien les torts qu’infligent à leur progéniture des mères excessivement dévouées. Dans un beau conte philosophique, Italo Calvo met en scène un Vicomte dont les deux moitiés, la bonne et la mauvaise, ont été séparées par un boulet. Au retour de la guerre, il hante son domaine et la population en vient vite  à redouter autant  la bonne moitié, dont l’extrême bienveillance est aussi destructrice que la mauvaise qui ne songe qu’à mal… 

L’histoire nous a donné au siècle dernier de nombreux exemples des méfaits de l’altruisme de gauche. Qu’on me permette de citer ici un souvenir personnel, celui d’un patient algérien déprimé dont les biens avaient été nationalisés et qui déclarait, entre deux soupirs : « Ce qui me chagrine tant, ce n’est pas qu’on m’ait pris ma voiture pour en faire une ambulance, c’est que celui qui la conduit klaxonne à chaque fois quand il passe devant chez moi ! » Une anecdote bien bénigne quand on pense aux ravages provoqués par Mao – pourtant vénéré par tant de français à l’époque - ou d’autres tyrans de gauche.

Malheureusement, les millions de morts provoqués par de bonnes intentions pèsent moins que les mêmes morts consécutives à des intentions à l’évidence mauvaise. La gauche n’a jamais rougi de son passé ni de ses extrémismes : elle n’a toujours eu pour l’humanité que les meilleures intentions. Et elle compte dans ses rangs des intellectuels toujours prompts à dénoncer les erreurs des autres sans trop se pencher sur leurs propres erreurs : elle est l’avenir, elle crée l’histoire et ne la subit pas.

Là où droite et gauche se rejoignent le mieux, c’est probablement dans leur façon de méconnaître ce qui les dérange. On a vu que la droite ne se remettait pas d’avoir ignoré les camps de concentration. Le célèbre phénoménologue Merleau Ponty s’en est ému à la sortie de la guerre : il en faisait un détournement coupable de l’attention qu’il imputait aux intellectuels de l’époque, trop absorbés dans de vaines intellectualisations. Quelques années plus tard, le même Merleau Ponty s’est lancé dans une diatribe contre le livre d’Arthur Koestler, le Zéro et l’Infini, premier texte à décrire  comment le communisme en venait à broyer ses propres fils au cours de parodies de procès. Intellectuel communiste (comme il était de bon ton de l’être dans les années 50), Merleau Ponty a traité les procès de Moscou par le déni,  procédant ainsi exactement comme ceux auxquels il avait auparavant adressé tant de reproches…

A droite comme à gauche, les hommes restent des hommes !

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