La France, un enfer libéral ? Mais pourquoi tant de haine du libéralisme (et de méprise totale sur la nature réelle de notre système…) ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Les recettes publiques atteignent un niveau de record (53,5% du PIB en 2022, contre 35,9% en 1960) et parmi elles, les prélèvements obligatoires sont au plus haut (45,4% du PIB en 2022, contre 30,3% en 1960 - INSEE).
Les recettes publiques atteignent un niveau de record (53,5% du PIB en 2022, contre 35,9% en 1960) et parmi elles, les prélèvements obligatoires sont au plus haut (45,4% du PIB en 2022, contre 30,3% en 1960 - INSEE).
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Rien compris au film

À gauche comme à droite, beaucoup semblent être persuadés de vivre dans un environnement ultra-libéral. Comment expliquer une telle perception au regard de la réalité fiscale, sociale et réglementaire française (ou même européenne) ?

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan

Erwan Le Noan est consultant en stratégie et président d’une association qui prépare les lycéens de ZEP aux concours des grandes écoles et à l’entrée dans l’enseignement supérieur.

Avocat de formation, spécialisé en droit de la concurrence, il a été rapporteur de groupes de travail économiques et collabore à plusieurs think tanks. Il enseigne le droit et la macro-économie à Sciences Po (IEP Paris).

Il écrit sur www.toujourspluslibre.com

Twitter : @erwanlenoan

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Christophe Seltzer

Christophe Seltzer

Christophe Setlzer est directeur général chez GenerationLibre think tank.

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Atlantico : Vu la quantité d'impôts payés par les citoyens et les entreprises, la France peut-elle être considérée comme un enfer libéral ?

Erwan Le Noan : Clairement, non. La France n’est pas un pays où le libéralisme domine. Les recettes publiques atteignent un niveau de record (53,5% du PIB en 2022, contre 35,9% en 1960 - INSEE ; c’est-à-dire que pour tout euro produit en France, les collectivités publiques en perçoivent plus de la moitié) et parmi elles, les prélèvements obligatoires sont au plus haut (45,4% du PIB en 2022, contre 30,3% en 1960 - INSEE). Les dépenses publiques y sont aussi formidablement élevées, à 58,3% du PIB en 2022 (contre 34,7% en 1960 – INSEE). A ces statistiques s’ajoutent une multiplication de normes qui ne cessent de prescrire, d’interdire, de réglementer la vie quotidienne des citoyens.

Plus encore, comme l’a bien dénoncé l’avocat François Sureau récemment devant l’Académie des sciences morales et politiques, ces règles sont venues instaurer un régime juridique dans lequel la protection de la liberté des individus s’est réduite, au profit de décisions contraignantes et de procédures dérogatoires qui se multiplient, nous faisant progressivement évolué dans une société où la critique des institutions garantes des droits foisonne et où l’esprit démocratique semble décliner lentement, dangereusement, mais sûrement. Les enquêtes qui montrent l’attraction des propositions politiques autoritaires vis-à-vis d’une part croissante de l’opinion sont ainsi édifiantes (voir les enquêtes de la Fondapol par exemple).

Autrement dit, le poids de l’État et des collectivités publiques n’a cessé de croître et l’esprit démocratique a décliné. Si l’on souhaite être absolument cynique et détaché de tout attachement à la liberté, il faut considérer que ce mouvement est peut-être légitime et le résultat d’un choix politique délibéré, mais en aucun cas il ne peut être associé à un système libéral, qui devrait reposer sur une limitation des interventions publiques, une promotion de la concurrence et une garantie croissante de la liberté et des droits de l’individu.

Christophe Seltzer : En France, le niveau de la dette comme ceux des prélèvement obligatoires, de la dépense publique et de la redistribution pointent parmi les plus élevés de l’OCDE tandis que la production normative atteint des sommets – d’où le choc de simplification défendu Gaspard Koenig dans la pré-campagne présidentielle de 2022. La France est bien l’un des pays les plus étatistes du monde occidental : une forme de communisme qui a – jusqu’à présent- fonctionné, tout en préservant paradoxalement le droit de propriété et la libre entreprise.

Du point de vue de ses institutions, la France est un régime césariste, entièrement tournée autour de l’institution présidentielle : le gouvernement d’un seul, appuyé tant bien que mal sur la logique du fait majoritaire. Notre Ve République est l’un des régimes les moins parlementaires de toutes les démocraties libérales. Elle est aussi l’un de pays les plus centralisés du monde, ne laissant que très peu d’autonomie à ses territoires.

Du point de vue des libertés publiques, bien que dans le peloton de tête mondial des pays les plus libres, la France restreint lentement mais surement un certain nombre de droits fondamentaux dans le sillage du terrorisme islamiste et de la pandémie de Covid-19 (droit de manifester, liberté d’association,…) comme s’en alarmait encore François Sureau en début de semaine devant l’Académie des sciences morales et politiques.

Du point de vue des libertés personnelles, malgré les récentes avancées (mariage homosexuel, PMA pour les couples de femmes), la France reste aussi très conservatrice, imprégnée d’une confusion entre le droit et la morale : un jacobinisme bioéthique dénoncé par le juriste Daniel Borrillo. Malgré sa tradition républicaine, et contrairement à des pays dont le degré de religiosité reste plus élevé, la France n’a toujours pas légalisé le cannabis, dépénalisé l’usage des drogues, autorisé la GPA ou l’aide active à mourir.

Comment expliquer une telle perception ? Pourquoi tant de haine du libéralisme ?

Erwan Le Noan : La perception d’une France dominée par le libéralisme échevelé mérite certainement de longues analyses, mais il est peut-être possible de la résumer à trois facteurs.

Le premier, c’est une perception erronée des réalités économiques et sociales. Le sujet des inégalités est éclairant : la France semble obsédée par la lutte contre les inégalités alors que celles-ci sont historiquement basses et qu’elle est un des pays développés où non seulement elles sont les plus faibles (ce que montre à la fois l’INSEE et les statistiques de Thomas Piketty) mais où, en outre, le système de redistribution est à cet égard l’un des plus efficaces (« avant transferts, les ménages aisés ont un revenu 18 fois plus élevé que celui des ménages pauvres, contre 1 à 3 après transferts » indique l’INSEE). Cette mauvaise perception tient à une « obsession égalitaire » que j’ai longuement commentée dans un livre récent.

Autre sujet : l’idée selon laquelle la France serait victime de la mondialisation, alors que les études montrent que si notre pays s’est désindustrialisé, c’est d’abord en raison des évolutions technologiques et de la consommation (Banque de France ; DG Trésor), mais aussi parce que nous avons perdu en compétitivité (REXECODE), de notre propre fait ! En la matière, il est certainement plus simple (notamment pour les dirigeants) de rejeter la responsabilité de nos faiblesses sur les autres et des facteurs externes plutôt que de regarder la vérité en face...

Le deuxième facteur tient à la perception d’un déclin de l’efficacité de l’action publique : les usagers comme les fonctionnaires sont mécontents, considérant que la qualité des services publics s’est dégradée. L’école est en grave déclin (comme l’a récemment montré l’étude PISA), les universités ne brillent pas dans la compétition internationale, les hôpitaux sont en difficulté, les prisons sont délabrées, les policiers ne sont pas satisfaits de leurs conditions de travail, etc. Cet état de fait est un incontestable. Il ne s’explique pas par le libéralisme mais bien plutôt par les défaillances de l’étatisme, par le réflexe de la dépense publique et par l’obsession pour l’augmentation des moyens plutôt que l’amélioration de la qualité de service. Si nos services publics déclinent gravement, mettant en péril la cohésion nationale, c’est parce qu’aucun gouvernement n’est parvenu à (ou n’a essayé de) les réformer pour leur permettre de rester performants !

Un dernier facteur, enfin, relève d’une dominance dans l’opinion d’idéologies et d’un discours politique étatistes, qu’on pourrait qualifier au mieux d’idéalistes ou de naïfs. D’abord, il y a en France la conviction que l’État est une institution semi-magique, semi-divine (ne parlons-nous pas d’État « Providence » là où nos voisins le qualifient de responsable du bien-être : welfare, bienestar ?), qui pourrait changer le monde par la seule force de sa volonté – et, dans la Ve République, même par celle d’un seul homme, son Président. Ensuite, les idéologies critiques du libéralisme font implicitement la promesse que, face au chaos du monde, si elles étaient mises en œuvre, elles permettraient d’atteindre une forme d’état stationnaire, de réaliser un monde harmonieux et paisible. Faisons le communisme pour des lendemains qui chantent, imposons l’État autoritaire pour apaiser toutes les tensions ! Ces discours qui refusent l’incertitude de l’existence sont totalement illusoires : la réalité humaine est faite de diversité, d’imprévision, de créativité. Ils sont même dangereux car, comme elles se heurtent à la réalité humaine, ces doctrines sont contraintes quand elles sont mises en œuvre d’avoir recours à l’oppression et la répression.

Christophe Seltzer : Malgré une tradition intellectuelle et politique libérale riche, les élites politiques françaises restent très étatistes.

A gauche, c’est au nom d’un idéal socialiste qui s’est ne s’est converti que très tard, et partiellement, à l’économie de marché. Pourtant, un « socialisme libéral » (Monique Canto-Sperber) comme un « socialisme de l’excellence » (Jean-Marc Daniel) est possible, incarné trop furtivement par Michel Rocard et Jacques Delors et hélas trahi par Emmanuel Macron.

A droite, c’est au nom d’une forme de souverainisme bonapartiste qui ne pense pas tant une économie libérale que la défense de baisses d’impôts et de coupes dans le budget de l’Etat moyennant une très forte planification économique – loin d’un Alain Madelin, candidat à la présidentielle de 2002 autour d’un programme libéral à 360 degrés, tant institutionnel, politique qu’économique. 

Que ce soit au nom du socialisme, de la République ou de la nation, les Français communient dans une mystique transcendantale de l’Etat et du culte du chef. Je suis convaincu que l’hyper présidence et l’hyper centralisation du pouvoir politique constituent les obstacles fondamentaux pour nous défaire de cet infantilisme étatiste – sauf à voir l’émergence d’un candidat populiste à la prochaine présidentielle du type Javier Milei- nouveau président argentin.

Confondent-ils capitalisme financiarisé et mondialisé avec libéralisme ? 

Christophe Seltzer : Le libéralisme est une dispersion maximale du pouvoir politique comme économique (en meme temps), comme l’explique l’économiste Claude Gamel dans « Esquisse d’un libéralisme soutenable ». Il ne s’agit donc pas de distinguer le marché du libéralisme, au contraire.

Alors que l’emprise fiscale et réglementaire de l’Etat en France s’accroit dans tous les domaines, sa capacité d’action s’érode logiquement – le too big to fail, jusqu’à quand ?

La crise financière de 2008 n’a hélas pas été suffisamment expliquée comme le résultat de « capitalisme de connivence » plutôt que celui d’un excès de capitalisme. Si des acteurs privés ont spéculé, c’est parce que des politiques de l’administration comme des politique de la banque centrale américaines les y ont encouragé. Le principe de l’irresponsabilité financière avalisée par des autorités publiques trop interventionnistes. 

A mon sens, si la France connait des problèmes en matière de santé, de travail, d’éducation, de retraites, de logement, … ce n’est pas parce qu’il y a des super riches ou trop d’immigrés, ou en raison de l’existence d’un commerce international : tous ces faits n’ont rien de nouveau historiquement ni d’original géographiquement. C’est d’abord parce que nous adoptons de mauvaises politiques publiques.

Voici quelques propositions d’envergure mais réalistes défendues par le think tank GenerationLibre : donner de l’autonomie aux établissements scolaires publics pour leur permettre d’être à nouveaux attractifs, libérer le marché du logement d’un maquis fiscal illisible et de contraintes réglementaires trop fortes, simplifier le système socio-fiscal des aides et de l’impôt sur le revenu pour en faire un revenu universel clair, non paternaliste, et non désincitatif à l’activité.

Erwan Le Noan : De façon générale, la compréhension du libéralisme est assez difficile en France. Dans le débat public, il semble en outre n’être perçu que comme une doctrine économique, oubliant toute sa dimension politique. Il en est de même du capitalisme, dont la définition n’est pas bien claire. L’un et l’autre, mais surtout le libéralisme, sont au demeurant souvent augmentés d’un préfixe, visant à les disqualifier : « néo », « hyper », « ultra ». Cela étant, quand un message n’est pas bien compris, c’est peut-être qu’il a été mal exprimé. Il faut donc que les libéraux travaillent activement pour mieux promouvoir leur doctrine de liberté et d’accomplissement de l’individu.

Les Français perçoivent probablement le libéralisme comme un régime sans foi ni loi, dans lequel règne la loi de la jungle et où triomphent l’avidité, la concentration des pouvoirs économiques et politiques, la sauvagerie des purs rapports de force. Au mieux, cela révèle une profonde méconnaissance de ce qu’il est ; au pire, notamment de la part des élites, une profonde mauvaise foi ; car ces éléments sont aux antipodes du libéralisme qui est fondé sur la compétition saine, la règle de droit et la liberté des individus.

Qu'est-ce que le libéralisme a apporté à notre société ? Pourquoi est-ce le seul modèle applicable en démocratie pour permettre l'émancipation et l'ascension sociale des individus qui la composent ?

Erwan Le Noan : Un premier élément de réponse serait d’aligner les statistiques, de richesse, de liberté, etc. Un autre serait de désigner les exemples matériels qu’il apporté : l’éducation (qui lui est consubstantielle), le confort, la santé, etc.

Il est peut-être plus efficace de regarder le libéralisme par comparaison.

Comparaison historique d’abord. Le progrès économique et social n’a jamais autant progressé que depuis que le monde vit dans un régime libéral, ouvert par les Lumières et la Révolution industrielle. Par exemple, avec et grâce à lui, la pauvreté s’est considérablement réduite et les peuples sont sortis de la misère, dans une tendance accélérée par la mondialisation : entre 1990 et 2013, le nombre de personnes vivant dans l’extrême pauvreté (c’est-à-dire avec moins de 1,9 dollar par jour) a baissé de 1,1 milliard, alors même que la population mondiale progressait dans le même temps de 1,9 milliard (World in data).

Comparaison géographique et politique ensuite : les régimes qui, dans l’histoire ou aujourd’hui, tentent de faire sans le libéralisme n’ont jamais produit que la paupérisation économique, la misère sociale, la dépression morale et l’oppression politique. Sans exception. Qu’on regarde l’URSS hier, le Venezuela aujourd’hui.

Il faut à ce titre insister sur un point : le libéralisme est un système qui promeut le savoir. Il est une quête perpétuelle et continue de connaissance. C’est lui qui a fait se déployer l’information, qui a permis à l’édition de prospérer, qui a fait rayonner les universités, qui a fait croître la recherche et ainsi progresser l’humanité. C’est lui qui a promu les arts, la science, la culture. A l’inverse, les régimes autoritaires, eux, n’ont jamais eu intérêt à ce que les masses accèdent au savoir et toujours, au contraire, recherché à asservir les artistes.

Comparaison historique, enfin : avant ce régime, imparfait (mais il ne prétend pas l’être), les populations européennes vivaient dans des systèmes d’Ancien Régime, avec une pauvreté immense, des inégalités énormes et surtout sans perspective de mobilité et de réussite. Le régime libéral a ouvert ce droit extraordinaire : l’opportunité pour chacun de choisir sa vie et de réussir matériellement. Cela ne fait pas tout le sens d’une existence, mais ce n’est pas rien. Le libéralisme n’est pas parfait, c’est vrai, mais aucun n’a fait mieux.

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