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La France pour tous : comment la droite pourrait reconquérir le peuple perdu
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Retour vers le peuple

Toute la crise des Gilets Jaunes, durant de longues semaines, a prouvé que Les Républicains ont complètement perdu le contact avec la réalité sociologique de la France.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Sarkozy 2007: 31%; Sarkozy 2012: 26%; UMP 2014 (aux élections européennes): 20%; Fillon 2017: 20%; LR 2019: 8,5%. Ces chiffres racontent l'histoire d'un inexorable rétrécissement de l'électorat qui avait fait gagné la présidence à Jacques Chirac puis à Nicolas Sarkozy. Même en tenant compte du fait que 40% des électeurs de Fillon ont voté en 2019 pour la liste LREM, Macron ayant incarné ces derniers mois l'européisme et le parti de l'ordre, le déclin n'en est pas moins certain: en admettant que lesdits électeurs soient restés chez LR, le parti se serait retrouvé environ aux 15% qu'avait espéré Laurent Wauquiez. Le président en sursis de LR avouait au début de la campagne qu'il n'avait en aucun cas l'intention de reconquérir les catégories populaires, même s'il avait assigné à ses troupes l'objectif de faire une percée dans le monde rural. Il y a ce qu'on dit et ce que révèle les comportements. 

Toute la crise des Gilets Jaunes, durant de longues semaines, a prouvé que LR avait complètement perdu le contact avec la réalité sociologique de la France. Voilà presque trente ans que la famille gaulliste et giscardienne, au lieu de s'opposer à François Mitterrand sur Maastricht, est entrée dans le soutien à une politique monétaire devenue anachronique avec la réunification allemande. Aligner les taux d'intérêts français sur les taux d'intérêt allemands au moment où notre voisin luttait contre une possible inflation liée à la réunification, fut terriblement destructeur pour notre économie, pour nos entrepreneurs et pour les classes moyennes. Par la suite, nos gouvernements ont accepté la destruction de l'esprit d'entreprise français et utilisé le seul remède que leur permettait l'euro: à l'abri des taux d'intérêts européens unifiés, emprunter comme jamais ils n'auraient pu le faire pour une France mal gérée mais dotée de sa monnaie. C'est ainsi que l'emploi et la dépense publique ont maintenu tant bien que mal la France à flot. Jusqu'à ce que le taux d'imposition nécessaire au maintien de cette machine à maintenir la paix sociale devienne insupportable. Trois décennies plus tard, les Gilets Jaunes ont été la manifestation évidente du désastre dont Chirac, Balladur, Sarkozy (malgré ses intuitions de départ), Fillon, Wauquiez se sont faits les complices. Que le parti socialiste ait sombré du fait de cette politique est évident: les législatives de 1993, la défaite de Jospin en 2002, l'incapacité de François Hollande à se présenter une deuxième fois à l'élection en sont quelques exemples. Mais la droite modérée n'est finalement pas en meilleur état car elle a été complice, en 1992, des décisions erronées de Mitterrand. Et elle n'a jamais voulu le regarder en face. Les palinodies de Wauquiez, l'homme vêtu d'un gilet jaune capable d'assurer à la France entière, contre les images, qu'il ne portait pas de gilet jaune, dit simplement le déni de réalité qui a caractérisé l'UMP devenue LR. 
Pour s'en sortir, le prochain chef de la droite modérée devra suivre un principe d'action très simple: la seule manière d'échapper à la concurrence létale avec Emmanuel Macron pour dominer le "parti de l'ordre" est de retourner vers le peuple. Mais pas en populiste: en s'assumant comme de futurs dirigeants comptant sur tous les Français, des plus riches aux plus pauvres, entrepreneurs et fonctionnaires, "nomades" et "sédentaires", pour reprendre la terminologie de David Goodhart (les "anywheres" et les "somewheres"), étudiants, jeunes actifs et retraités pour faire réussir le pays. Trois pistes doivent être immédiatement travaillées: 
- donner un sens - il n'est pas trop tard - au mouvement des Gilets Jaunes. Etre de droite et ne pas voir que le mouvement des Gilets jaunes est un appel à renouer avec le gaullisme ultime, si bien décrit par Arnaud Teyssier dans son dernier ouvrage (De Gaulle 1969), le gaullisme du référendum, de la déconcentration de l'Etat et de la participation, est pour le moins un paradoxe. 
- il faut ensuite réfléchir à une rénovation profonde des institutions européennes et de leur fonctionnement. Une seule question à se poser, comme un leitmotiv: en quoi telle ou telle politique européenne sert-elle la France? Si ce n'est pas le cas, il faut demander des changements de contenu et de cadre à nos partenaires. Et nous ne devons jamais être en situation de nous voir opposer un refus: nous devons faire comme Trump, inclure la possibilité du retrait de tel ou tel pan de la politique européenne si nous nous n'obtenons pas gain de cause. Bien entendu, cela se fera intelligemment, en constituant ce que Macron est incapable de faire, de véritables coalitions favorables à nos intérêts au sein de l'UE. 
- enfin, Les Républicains doivent prendre acte de la fracture éducative et numérique du pays. Le vote pour Marine Le Pen est inversement proportionnel au niveau de diplôme. Le Rassemblement National a cet immense mérite d'être le porte-parole des "sédentaires", des "somewheres" de David Goodhart. il évite, au moins pour l'instant, qu'une partie de la France sombre dans le désespoir, la révolte stérile ou l'auto-destruction. Mais le Rassemblement National n'a pas la clé d'un compromis avec les "Anywheres", le monde dirigeant qui se fait tant de gloire de sa mobilité professionnelle et touristique achetée au prix de la destruction de la mobilité sociale au sein de la nation. Reconstruire le dialogue entre la droite établie et la droite populaire, c'est s'entendre sur un programme éducatif à double détente: la prise en main par l'Etat - pour des raisons de souveraineté - de la transformation numérique, dans l'objectif de faire de nos concitoyens des acteurs de la troisième révolution industrielle; une déconcentration et une autonomie pour l'Education nationale qui aille beaucoup plus loin que ce que fait Jean-Michel Blanquer - il faut renouer avec les intuitions du plus sous-estimé des récents ministres de l'Education, Luc Chatel - en même temps que l'on ouvrira largement le secteur de l'éducation aux initiatives privées, associatives en particulier. Il s'agit de faire de la France ce que Bruno Le Maire avait proposé - avant de trahir sa famille politique en passant chez Macron: une "nation éducative". L'éducation au meilleur niveau pour tous, devrait être un objectif majeur de la droite. 
Ces trois domaines n'épuisent pas le sujet de la capacité de LR ou de la force qui émergera du désastre électoral de 2019 à retrouver le coeur des classes populaires. Mais elles sont le début indispensable.      

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