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La droite plombée par sa névrose Sens Commun
©AFP

Droite courbe

Laurent Wauquiez a rappelé à l'ordre Sens Commun, jeune courant au sein de LR issu de la Manif pour tous. Très influent depuis lors notamment pendant la campagne présidentielle, il est le symbole d'une droite qui n'en finit plus de se chercher.

Jean-Thomas Lesueur

Jean-Thomas Lesueur

Titulaire d'un DEA d'histoire moderne (Paris IV Sorbonne), où il a travaillé sur l'émergence de la diplomatie en Europe occidentale à l'époque moderne, Jean-Thomas Lesueur est délégué général de l'Institut Thomas More

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François Huguenin

François Huguenin

Le Conservatisme impossible, libéraux et réactionnaires en France depuis 1789, Paris, La Table Ronde, 2006. Réédition augmentée Histoire intellectuelle des droites, Paris, Perrin, coll. « Tempus », 2013.
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Atlantico : L'agitation qui entoure depuis quelques jours Sens Commun, groupe qui a apporté un soutien remarqué à la campagne de François Fillon et mouvement influent au sein du parti Les Républicains (malgré sa taille réduite), n'est-elle pas le symptôme d'une droite qui ne parvient pas à s'assumer comme conservatrice, et laisse donc le champ libre sur ce terrain à des courants tels que Sens Commun ?

Jean-Thomas Lesueur Comment un courant qui s’assume comme conservateur pourrait être « le symptôme d'une droite qui ne parvient pas à s'assumer comme conservatrice » ?!... Sens commun n’a été que la forme politique qu’a pris le « réveil conservateur » qu’a connu notre pays ces dernières années. J’ajoute qu’à mes yeux, Sens commun n’est pas « ultra »-conservateur ou « réactionnaire » ou « obscurantiste » ou je-ne-sais-quoi… C’est tout un vieux monde politique, médiatique et intellectuel qui prétend cela. Il est tellement spontanément disons « progressiste », il incarne tellement naturellement à ses propres yeux le « camp du Bien » qu’il n’imagine pas qu’on puisse être plus à droite que disons Alain Juppé…

Le problème de ce « réveil conservateur », incontestable sur le plan intellectuel, nettement plus difficile sur le plan politique (comme on l’a vu avec la campagne présidentielle de François Fillon et comme on le voit à ce qui arrive à Sens commun), est double : il n’existe pas de tradition conservatrice structurée et pérenne en France sur la longue durée, qui l’aurait installé et légitimé dans le paysage politique ; il pèche par ailleurs par esprit chimérique et par paresse intellectuelle…

François Huguenin : Oui. Mais je ne tirerai pas sur l’ambulance. Sens commun a dérangé depuis sa création et sans être très convaincu de la fécondité de sa stratégie, j’ai toujours trouvé utile et courageux qu’une voix comme la sienne se retrouvât dans le débat public institutionnel. C’est une droite qui pose des questions sur notre modèle de société, sur la France que nous voulons. Il est idiot de prétendre que ce mouvement a pesé négativement sur la campagne Fillon : ce dernier s’est d’abord affaibli en proposant un programme économique apparaissant comme ultralibéral et brutal, puis s’est torpillé par ces nauséabondes affaires d’argent. Mais, la récente déclaration de Christophe Billan laisse une impression d’improvisation, de flou, de confusion. Bien sûr, il est toujours légitime de vouloir discuter avec tout le monde. Bien sûr, la diabolisation du FN par la droite n’a réussi qu’à le faire monter. Mais avant de parler d’alliance avec une droite hors les murs, il faudrait savoir de quoi on parle. Marion Maréchal Le Pen a quand même été aux côtés de sa tante et de M. Philippot pendant des années ! Elle n’a pas rompu avec le FN ! Or pour moi, c’est très clair : depuis 34 ans le FN discrédite l'amour de la France par ses excès, ses raccourcis, ses ambiguïtés. Aujourd'hui, il instrumentalise certains milieux cathos (à vrai dire largement consentants). Ce n’est pas parce que la droite n’a pas réussi à construire un discours qui fasse reculer le FN et que Sens commun a échoué à l’infléchir que maintenant il faut aller parler de rapprochements sans avoir posé sur le fond ce qui doit être posé : est-ce que le projet du FN est proche de celui d’une hypothétique droite conservatrice ? Je ne crois pas. Il est au moins aussi proche de celui d’une gauche populiste. 

On est généralement conservateur par opposition au progressisme, mot qu'on n’entend jamais dans la bouche de nos responsables politiques et qui a contrario revient souvent dans les propos des membres de Sens Commun. Quelles sont les freins qui font que le conservatisme a du mal à s'assumer comme moteur politique de la droite depuis des années ?

Jean-Thomas Lesueur : Je crois que cela vient, en profondeur, du premier point que je viens de noter. Si vous regardez, à grandes enjambées, l’histoire des idées et des mouvements politiques depuis la révolution, il n’y a pas de tradition conservatrice en France, comme il y en a une au Royaume-Uni ou aux États-Unis par exemple. 

1789 a donné Tocqueville et Maistre, pas Burke – c’est-à-dire une très belle école libérale (longtemps ignorée d’ailleurs), un puissant courant réactionnaire (qui a eu de grands mérites littéraires mais assez peu efficace pour la conquête du pouvoir une fois la révolution faite !), mais pas de mouvement conservateur. Il y a eu des moments conservateurs et des figures conservatrices mais pas de mouvement durable, inscrit dans le paysage et qui n’a pas besoin de justifier de son existence tous les matins. Le conservatisme a été comme un fleuve souterrain de la vie politique et intellectuelle française. La question de la monarchie ou du ralliement à la république a occupé une bonne partie du dix-neuvième siècle et le début du vingtième et a sans doute empêché une telle émergence. Ajoutez à cela (je vais vite) la mauvaise conscience de Vichy, le gaullisme qui gouverne à droite en ne se disant ni de droite, ni de gauche et des responsables politiques, à partir des années soixante-dix, peu versés dans le travail intellectuel (c’est un euphémisme !) et vous avez la droite d’aujourd’hui.

Je veux dire un camp qui ne se définit que par ce qui le distingue marginalement de son adversaire et qui se débat dans le piège que lui a tendu la gauche il y a trente ans en favorisant l’apparition du Front national. Vous connaissez la formule : « la droite, c’est la gauche plus la bonne gestion ». En période troublée, et nous entrons assurément dans une période troublée de bouleversements sociaux et culturels profonds, c’est évidemment un peu court… Le conservatisme n’est pas un recours aujourd’hui parce qu’il n’est pas un acteur structurant de la vie politique française.

François Huguenin : La France est malade de son histoire et de sa Révolution. Depuis 1789, le camp du Progrès est celui du Bien. Celui de la résistance est celui du Mal. De fait deux postures intellectuelles se sont développées à droite : une posture libérale qui a de plus en plus été impuissante à contrecarrer celui de la gauche car elle s’en est rapprochée idéologiquement ; une posture réactionnaire (incarnée en son temps par l’Action française), rejetant d’abord en bloc l’héritage révolutionnaire, puis sombrant dans un populisme démagogique (des Ligues au FN). Entre les deux, le conservatisme a été proprement impossible. Et de fait, être conservateur en France c’est un peu tout et n’importe quoi entre réactionnaire, libéral, nationaliste, gaullien, social… De fait dire qu’on est conservateur en France ne parle à personne, et il y a sans doute autant de conservatismes que de conservateurs. Cela n’aide pas à la lisibilité.

Sur quelle base sociale pourrait aujourd'hui se construire un mouvement de droite libéral et conservateur ?

Jean-Thomas Lesueur Je vous répondrais d’abord en développant le second point que j’ai souligné plus haut : l’esprit chimérique et la paresse intellectuelle. Certains me trouveront sévère mais je pense que les acteurs du « réveil conservateur » dont j’ai parlé, se sont un peu enivrés de certaines de leurs démonstrations de force dans la rue et de certaines conquêtes intellectuelles ou médiatiques. Nombre d’acteurs de la mouvance conservatrice se sont auto-convaincus à partir de 2012 ou 2013 qu’il existait une « majorité conservatrice » dans le pays, que la France était « à droite », que la France périphérique, oubliée, silencieuse qu’ils prétendaient incarner, était majoritaire… C’est une chimère. Les conservateurs en France sont une minorité, une grosse minorité peut-être, mais une minorité.

Second élément du diagnostic : la paresse intellectuelle. J’entends par là que, convaincus que leur sensibilité était majoritaire, ces responsables ont cru qu’il suffisait de sautiller en répétant les mots « droite, droite, droite » pour attirer les électeurs à eux. Mais la grande masse des électeurs, au-delà des cercles mobilisés et convaincus, s’en fichent pas mal ! Regardez certains candidats à la présidence des Républicains qui n’ont que le mot « droite » à la bouche et ne parlent que de « l’avenir de la droite » ! Mais les Français n’ont que faire de l’avenir de la droite, c’est de l’avenir de la France (et du leur) qu’ils souhaitent qu’on leur parle…

Alors, pour répondre à votre question, je pense qu’un mouvement conservateur n’a quelque chance de ré-émerger que s’il parle aux Français des sujets qui les préoccupent et leur apporte des solutions qui leur parlent. Autrement dit, ce mouvement devra faire du conservatisme comme monsieur Jourdain faisait de la prose : sans le dire. Sur l’éducation, l’identité, la culture, le travail, les territoires, une certaine écologie, la technologisation du monde et du vivant, il a assurément des ressources, des vues, des propositions à faire valoir qui répondent pour partie aux aspirations de l’époque. Qu’il y travaille sérieusement, qu’il les rende audibles pour le plus grand nombre et fortes non pas parce qu’elles sont conservatrices mais parce qu’elles sont bonne pour le pays, et les Français lui donneront peut-être sa chance…

La spécificité d'un groupe comme Sens Commun (ou le PCD de Jean-Frédéric Poisson), qui alimente officieusement les critiques au sein de l'appareil LR sont ces fondations catholiques. Quels sont les lignes d'achoppement entre un mouvement de droite qui revendique de suivre la doctrine sociale de l'Eglise et un parti qui cherche son identité comme c'est le cas actuellement des Républicains ?

François Huguenin : Un mouvement qui revendique la DSE doit être à la fois conservateur sur les questions éthiques, familiales, éducatives, et par rapport à l’amour du pays. Mais également social sur les questions économiques, la réalité de la pauvreté. Mais aussi soucieux de la liberté religieuse et politique, dans une période troublée où certains s’assoient volontiers sur notre état de droit (l’Eglise combat pour les droits et la liberté partout dans le monde). Une attitude chrétienne ne peut se laisser enfermer ni dans l’absolu du libéralisme, ni dans celui du socialisme, mais pas non plus dans celui d’un conservatisme. Les chrétiens en politique doivent plaider à temps et à contre-temps pour la protection des plus faibles : les plus pauvres que les nécessaires réformes ne doivent pas laisser sur le carreau mais accompagner plus que les autres ; les personnes en fin de vie qui doivent être protégées de l’idéologie de l’euthanasie ou les femmes fragilisées qui ne doivent pas être les victimes de la marchandisation du désir d’enfant ; les migrants qui, en dépit de la légitimité de l’autonomie de décision des Etats en la question, ne peuvent être traités en bouc-émissaires et doivent être respectés dans leurs dignité. En fait la pierre d’achoppement est là : normalement, les chrétiens sont là pour éveiller les consciences que les appareils et les stratégies personnelles préfèrent voir endormies. Une voix chrétienne me paraît difficilement compatible avec des postures idéologiques ou partisanes. Ceux qui se lancent en politique doivent en être conscients.  

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