Immigration : comment le Danemark a réussi à briser le verrou de la stigmatisation idéologique<!-- --> | Atlantico.fr
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Depuis 20 ans, les Danois sont en accord sur la politique d’immigration à mener de manière transpartisane.
Depuis 20 ans, les Danois sont en accord sur la politique d’immigration à mener de manière transpartisane.
©THIBAULT SAVARY / AFP

Politique de fermeté, les secrets d'un succès

Dans sa nouvelle étude, la Fondation pour l'innovation politique souligne que depuis 20 ans, les Danois sont en accord sur la politique d'immigration à mener de manière transpartisane. Et la France pourrait en tirer des leçons.

Victor Delage

Victor Delage

Victor Delage est Responsable des études à la Fondation pour l’innovation politique.

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Atlantico : Comme vous le soulignez dans votre étudeLa politique danoise d'immigration : une fermeture consensuelle, depuis 20 ans, les Danois sont en accord sur la politique d’immigration à mener de manière transpartisane. Comment ont-ils réussi à casser le moule pour trouver une solution qui soit satisfaisante pour la population ?

Victor Delage : Le Danemark possède une grande tradition d’accueil. C’est le premier État à ratifier la Convention relative au statut des réfugiés de 1951, qui consacre le principe de « non-refoulement » : les réfugiés ne doivent pas être reconduits dans leur pays d’origine s’ils y sont en danger. Dès 1981, les étrangers résidant au Danemark ont pu voter aux scrutins locaux. Mais l’arrivée massive de réfugiés, concomitante aux chocs pétroliers puis à la guerre entre l’Iran et l’Iraq dans les années 1980, va progressivement changer la donne, faisant de l’immigration le sujet d’une préoccupation croissante chez les Danois. Les gouvernements successifs, de droite et de gauche, ont fait le choix de répondre aux craintes de leurs électeurs, ce qu’ils ont fait avec le soutien des populistes.

D’où sont venues les impulsions qui ont mené à ce consensus sur la politique migratoire ?

Ces vingt dernières années, la politique migratoire danoise est peu à peu devenue consensuelle, jusqu’à conduire à une situation où, de la gauche à l’extrême droite, les partis s’accordent sur l’idée de la nécessité de mener une politique d’immigration restrictive. Celle-ci passe par une réduction drastique des flux migratoires, un programme d’intégration exigeant ou encore un accès à la nationalité rendu difficile. Le très fort attachement du peuple danois à l’État providence – une référence dans le monde – explique les raisons de ce consensus sur un sujet aussi brûlant. L’État providence leur garantit la lutte contre les inégalités et une juste redistribution des richesses produites. Son efficience et sa pérennité sont donc conditionnées par les performances économiques du pays et par un haut niveau de cohésion sociale. En ce sens, les Danois font de l’homogénéité nationale une condition sine qua non de l’efficacité de leur système redistributif. Leur volonté de réduire la distance culturelle séparant les immigrés de l’ensemble de la société danoise les a ainsi conduit à restreindre l’immigration et à imposer aux arrivants un programme énergique d’intégration.

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Le Danemark et la Suède sont deux pays nordiques chantres de l'État providence mais le premier a fermé les frontières quand le second a tout ouvert. Au Danemark, le parti populiste historique est au plus bas, quand son équivalent suédois a fait un record lors des dernières élections. L’enjeu migratoire est-il la clé pour les partis traditionnels, notamment la droite, face au populisme ?

Le Danemark et la Suède ont longtemps été enviés pour leur système social généreux, considérés comme deux États modèles en Europe. L’une de leurs caractéristiques historiques communes résidait dans leur homogénéité culturelle. Mais à l’aube de ce nouveau siècle, ces pays ont emprunté deux chemins divergents dans la gestion de leurs flux migratoires : le Danemark a engagé une politique restrictive et intégratrice quand la Suède faisait le choix d’une politique de grande ouverture – malgré un virage de fermeture à partir de la crise migratoire de 2015-2016 –, voyant la part de sa population non occidentale passer de 2% à 20% de la population totale en une vingtaine d’années. Comme le rappelle Tino Sanandaji[1], les gouvernements suédois, fervents défenseurs du multiculturalisme, ont mené la politique migratoire la plus excessive d’Europe, entrainant une sensible augmentation de la délinquance, des trafics de drogue et de la criminalité. Ces positions antagonistes sur la question migratoire se sont traduites dans les urnes. En 2022, alors que les sociaux-démocrates danois ont été réélus, entraînant la débâcle des populistes, en Suède la situation est inverse : les sociaux-démocrates perdent le pouvoir sous la pression d’un parti populiste, les Démocrates de Suède, passé de 1,4% en 2002 à 20,5% aujourd’hui.

Peut-on considérer que, d’une certaine manière, le Danemark a réussi à se libérer du piège du cercle de la raison ?

On pourrait plutôt affirmer que le Danemark incarne le « cercle de la raison », si l’on entend par là un gouvernement qui se dote de politiques publiques efficaces, répondant aux attentes des électeurs et permettant d’atteindre un certain équilibre dans la société. Selon une enquête planétaire de la Fondation pour l’innovation politique[2], les Danois sont au sein de l’Union européenne les plus nombreux à considérer que la démocratie fonctionne bien dans leur pays (81%, contre 51% pour la moyenne européenne et 50% pour la France). De même, la confiance interpersonnelle des Danois est parmi les plus élevées en Europe (56%, contre 30% pour la moyenne européenne et 22% pour la France). Ce n’est pas un hasard si au Danemark, il est tout à fait possible de débattre à propos des externalités positives ou négatives de l’immigration, sans être systématiquement stigmatisé. En témoigne la mise à disposition pour qui le souhaite d’une multitude de données – émigrations, immigrations, naissances, décès, délinquance, chômage, etc., selon les pays d’origine – par Statistic Denmark.

Remarquons enfin que l’immigration n’est pas le seul sujet sur lequel le Danemark va à contre-courant de nombre de ses voisins européens. Il fait partie de ces rares pays auxquels l’attachement à l’équilibre des comptes et à la maîtrise de la dette publique est partagé par la droite comme par la gauche. Alors que la France peine à réaliser la réforme des retraites, au Danemark, l'âge de la retraite évolue avec l'espérance de vie. En 2040, l'âge de la retraite y sera fixée à 70 ans.

Quelles leçons la droite française, aussi bien LR que le RN ou Reconquête !, peut-elle en tirer ?

La réalité est que l’ensemble des partis de gouvernement seraient avisés d’étudier précisément la politique danoise d’immigration. Nos gouvernants ne parviennent pas à assumer l’idée d’un contrôle strict des frontières. C’est pourtant le souhait de deux tiers des Français. Malgré les progrès électoraux du Rassemblement national, la droite elle-même, durant les vingt-trois années pendant lesquelles elle a gouverné depuis 1974, n’a jamais eu la volonté ou le courage de traiter la question migratoire.

Pour la droite française, le cas danois montre pourtant qu’elle doit être l’initiative. C’est bien la droite traditionnelle danoise qui a d’abord assumé le tournant d’un durcissement, sous la pression d’une droite populiste lui apportant à chaque fois son appui parlementaire. Au pouvoir pendant une décennie, entre 2001 et 2011, c’est d’abord la droite danoise qui a rendu beaucoup plus contraignantes les conditions de naturalisation, allongé le délai nécessaire pour obtenir un permis de résidence et renforcé les critères du regroupement familial. On pense notamment à la loi dite « des 24 ans » de 2004, destinée à réduire à la fois le nombre des mariages forcés et l’immigration au titre du regroupement familial. La droite française de gouvernement semble donc confrontée à deux options : continuer à vouloir se démarquer des partis de la droite radicale sur ce défi majeur, au risque d’être inaudible et de subir de nouvelles déconvenues électorales, ou assumer un point de convergence, comme c’est le cas dans d’autres pays européens, en tête le Danemark ou l’Italie.

Quant à la gauche française de gouvernement, la victoire des sociaux-démocrates en 2022 (27,5%), plus confortable encore qu’en 2019 (25,9%), montre que tout n’est pas perdu. Mais pour se relever, elle doit récupérer les classes populaires. Cela passe par une redéfinition de son discours sur l’immigration, avec un possible retour aux sources dans la conception d’une appartenance nationale ouverte. Comme le rappelle Dominique Reynié, l’approche danoise de l’identité nationale repose moins sur des justifications ethniques que sociales et sociétales, puisque les justifications sociales procèdent d’un puissant attachement des Danois à leur État providence[3]. Lorsqu’ils ont gouverné, d’abord entre 2011 et 2015, puis depuis 2019, les sociaux-démocrates danois ont repris et déployé cette politique restrictive et intégratrice, au nom d’un nationalisme social assumé pour préserver l’État providence. La loi controversée sur l’externalisation, visant à transférer la gestion des demandes d’asile dans un pays tiers, le Rwanda, a été adoptée sous le gouvernement social-démocrate de Mette Frederiksen, le 3 juin 2021.


[1] Tino Sanandaji, Les Suédois et l’immigration, deux volumes, Fondation pour l’innovation politique, septembre 2018 (https://www.fondapol.org/etude/suede/).

[2] Dominique Reynié (dir.), Libertés : l’épreuve du siècle, enquête réalisée en partenariat avec la Fondation pour l’innovation politique, l’International Republican Institute, la Community of Democracies, la Konrad-Adenauer-Stiftung, Genron NPO, la Fundación Nuevas Generaciones et República do Amanhã, janvier 2022 (https://www.fondapol.org/etude/libertes-lepreuve-du-siecle/).

[3] Entretien de Dominique Reynié avec Eugénie Bastié, « Dominique Reynié : "Choisir entre l’État-providence et l’ouverture des frontières", Le Figaro, 8 janvier 2023 (https://www.lefigaro.fr/vox/societe/dominique-reynie-choisir-entre-l-etat-providence-et-l-ouverture-des-frontieres-20230108).

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