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La droite après Les Républicains
©Thierry Zoccolan / AFP

Reconstruction

LR vidé de sa substance.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

Voir la bio »

Hier, j’ai montré dans mon autopsie d’un désastre, que la droite dite de gouvernement était devenue presque exclusivement giscardienne après la défaite de Giscard, dans les années 1980; mais la gauche l’est également devenue, en grande partie. Nous avons vu s’instaurer la concurrence politique entre un parti giscardien de droite et un parti giscardien de gauche. Parallèlement, la mondialisation se mettant en place - et Giscard avait été le premier à se définir comme un président « mondialiste » - elle a, combinée au libre-échange généralisé, à la révolution financière et à la troisième révolution industrielle, fait émerger une société de plus en plus inégalitaire et donc progressivement laminé ces classes moyennes dont Giscard avait fait, dans ses deux ouvrages, Démocratie française (1976) et Deux Français sur trois (1983), la base sociale de majorités politiques centristes. Les partis giscardiens de la droite (RPR-UDF puis UMP puis LR) et de la gauche (PS) se sont progressivement disputés un socle électoral de plus en plus étroit. 

Emmanuel Macron a instinctivement compris, sans le formaliser, qu’il devenait possible de rassembler giscardiens de droite et giscardiens de gauche dans un seul parti, au centre. C’était déjà ce qu’avait tenté François Bayrou, atteignant 18% lors des élections présidentielles de 2007. Dix ans plus tard, Macron s’est rapproché du quart des votants au premier tour, car la décomposition du système politique droite/gauche était plus avancée. Emmanuel Macron est dans une certaine mesure le « dernier des giscardiens » comme on dit « le dernier des Mohicans », à la tête d’un groupe électoral limité en effectif (guère plus de 15% des inscrits) mais pour lequel il est prêt à bloquer progressivement les leviers du pouvoir, en étranglant le débat politique. Emmanuel Macron a inventé le bonapartisme giscardien. 

Aujourd’hui, la situation politique est dominée par l’affrontement entre le parti giscardien d’Emmanuel Macron et son opposé, le parti populiste de Marine Le Pen. Tout est apparemment figé. Deux France se font face, celle des métropoles et celle qu’on appelle périphérique, qui se décline en plusieurs binômes antagonistes: les établis contre les précarisés; les hyper diplômés contre les victimes du « collège unique »; les nomades de la mondialisation (les Anywheres de David Goodhart, avec leur armée de réserve, comme aurait dit Marx, celle des migrants) contre les sédentaires; les plus âgés contre les plus jeunes. Le grand groupe central de Giscard n’existe plus. Il s’étiole avec les années et la crise des Gilets Jaunes nous a signifié l’accélération de ce phénomène. Le dernier des giscardiens n’a d’ailleurs pas hésité à réprimer durement une révolte qui lui paraissait mettre en danger de manière décisive le pouvoir qu’il avait établi. Créant largement le désordre qu’il voulait ensuite réprimé, grâce à la complicité de l’extrême gauche - le Bloc Noir est-il autre chose qu’une milice « d’idiots utiles » de la superclasse (David Rothkopf) mondialisée ? - Macron a ainsi attiré toute une partie de l’électorat LR, persuadé que le président de la République incarnait au mieux le « parti de l’ordre ».  

Reconstruire la droite

Il n’est pas possible d’accepter cette situation. Nous sommes nombreux à penser que la France ne doit pas s’enfermer dans le fatalisme qui est l’envers du progressisme autoritaire mis en œuvre par Emmanuel Macron. L’effondrement électoral de LR est l’occasion de parcourir rapidement les décombres, ramasser ce que nous avons de plus précieux et rebâtir, rapidement, un édifice plus solide. Beaucoup des élus, militants, sympathisants, électeurs LR se braquent dès qu’on leur propose de regarder plus à droite. Ils ne veulent pas rejoindre Emmanuel Macron. Pour autant, le Rassemblement National leur apparaît encore un repoussoir. C’est pourquoi, je leur propose de réfléchir à partir de leur propre référentiel. Je propose même de repartir du triptyque « libéral, centriste, européen », pour nous demander comment il a pu un temps nous séduire au point de permettre la dérive de Chirac, l’autolimitation de Sarkozy et la paralysie de Laurent Wauquiez. Nous allons découvrir que, si nous reprenons possession des mots, nous redécouvrons la possibilité du rassemblement à droite, un rassemblement large, capable de constituer une nouvelle majorité politique. 

La droite des libertés 

Le mot « libéral » est devenu un fourre-tout. Il est en France largement un repoussoir, y compris pour une partie de la nouvelle génération d’intellectuels conservateurs, qui se complait un peu trop dans la dénonciation du libéralisme économique. Au Moyen-Age, libéral renvoyait à la liberté de l’esprit. Au XVIIè siècle, il était synonyme de généreux. Au XIXè siècle, il était adapté par tous ceux qui luttaient pour le parlementarisme et les libertés politiques. C’est au XXè siècle qu’il est devenu purement et simplement synonyme d’individualiste, au point de dériver vers le progressisme et de provoquer cette étrange alliance entre les individualistes et les étatistes qu’est devenu, par exemple, le parti démocrate américain ou que nous retrouvons dans LREM. Nous ne récupérerons pas le mot « libéral » pour notre combat politique mais il faut ressusciter tout ce qu’il véhicule, historiquement de positif. La droite doit devenir le porte-drapeau de toutes ces libertés collectives qui empêche que nous n’ayons le choix qu’entre l’individualisme absolu et l’étatisme du meilleur des mondes. 

Être de droite, aujourd’hui, c’est se préoccuper de favoriser la réémergence de toutes les cellules autonomes qui constituent une société de libertés. C’est refuser que l’État se mêle de plus en plus de réguler l’éducation des enfants jusque dans la famille; défendre les familles, leur laisser les moyens financiers d’élever autant d’enfants qu’elles veulent. C’est favoriser les associations, la reconstitution de tous les corps intermédiaires si malmenés. C’est refuser que l’Etat continue à financer des organisations, par exemples syndicales, qui n’ont plus aucune représentativité et vouloir favoriser l’émergence de nouveaux interlocuteurs. C’est rendre au parlement tout son rôle - dans l’esprit originel de la Vè République. C’est répondre à l’immense aspiration de notre temps pour plus de démocratie locale. C’est recentrer l’Etat sur les missions qui sont les siennes dans une subsidiarité bien comprise. C’est bien entendu faire diminuer absolument la pression fiscale, favoriser les initiatives entrepreneuriales. C’est aussi protéger les libertés sur le territoire français, toujours menacées par des prises d’intérêt extérieures. C’est garantir le stockage sur le territoire français des données concernant la population française, donc établir le principe de notre souveraineté numérique. C’est aussi, bien entendu, lutter contre toutes les dérives eugénistes de notre époque, dont le progressisme est le meilleur allié. C’est refuser l’emprise grandissante du salafisme sur le territoire français et mettre fin à ce biais très anti libéral de la gauche, depuis les Lumières, consistant à brimer systématiquement ce qui est chrétien et favoriser toutes les autres croyances dans l’espoir « d’écraser l’Infâme » comme disait Voltaire. C’est préserver notre passé, notre patrimoine, assurer la transmission de notre langue et de notre histoire parce qu’elle racontent une histoire de la liberté, de son développement dans notre pays. 

La liste des libertés à défendre est loin d’être exhaustive. Il faut surtout imprimer un état d’esprit. Face au parti unique de gouvernement que LREM aspire à devenir, tolérant juste la coexistence de quelques réserves indiennes populistes, il s’agit de défendre la démocratie, l’intérêt qu’il y ait une droite et une gauche, une majorité et une opposition. Et, ce qui est décisif, à droite, c’est de réengager le dialogue entre nos différentes familles: les conservateurs et les libéraux, les souverainistes et les populistes, les gaullistes et les fédéralistes européens doivent apprendre à reparler les uns avec les autres, au lieu de se laisser intimider par les oukases de la gauche. Il suffit de relire les propos très durs que de Gaulle tenait sur le danger d’une immigration incontrôlée et du regroupement familial, son refus d’une société multiculturelle, pour se rendre compte que la droite de tendance LR a oublié son origine et s’est laissé intimider pendant trente ans par tous ceux qui, lui interdisant le dialogue avec le Front National, ne voulaient pas qu’elle s’installe durablement au pouvoir. 

La droite du rassemblement social

Les partis politiques sont une invention géniale des pères fondateurs de la démocratie. C’est un point sur lequel, très clairement, de Gaulle s’est trompé en théorie - en condamnant le régime des partis - même s’il a redécouvert en pratique l’importance d’avoir un parti de rassemblement pour tout président. Le parti politique a cet avantage qu’il fait échapper une société à la lutte des classes. Les partis qui ne rassemblent qu’une classe sociale ont peu de chance de pouvoir gouverner. C’est d’ailleurs pourquoi ni LREM ni le Rassemblement National n’ont d’avenir dans un débat démocratique reconstruit autour de forces politiques solides et intégrant les classes sociales. Il y a et il y aura toujours des bourgeois qui votent à droite et d’autres qui votent à gauche; des ouvriers qui votent à droite et des ouvriers qui votent à gauche. La législation sociale de la seconde moitié du XIXè siècle, en Europe, doit beaucoup plus au bonapartisme de Napoléon III, au conservatisme et au catholicisme social qu’au socialisme politique, qui n’était pas encore né.  C’est parce qu’elle a toujours été plus favorable à l’économie de marché, à la libre entreprise et à la création de valeur que la gauche que la droite a créé les conditions de l’amélioration de la condition ouvrière et de l’élargissement des classes moyennes. 

L’économie ne suffira pas pour recréer les classes moyennes, les villes moyennes dont le pays a besoin. Avant la croissance économique, il y a l’élévation du niveau éducatif. C’est sans aucun doute le domaine qui doit être au centre des préoccupations de la droite. L’héritage de Valéry Giscard d’Estaing, c’est la désastreuse réforme Haby, la création du collège unique, qui pèsent sur notre éducation nationale comme un carcan. la crise des Gilets Jaunes a servi de révélateur saisissant à cet égard. Elle a mis face à face les « hyper diplômés » passés par l’école post-réforme Haby et des Gilets Jaunes souvent jeunes retraités qui avaient encore bénéficié de l’école primaire et secondaire d’avant. Il y a bien des plateaux de télévision où nous avons vu de jeunes technocrates jargonnant se faire pulvériser par la langue « claire et distincte » de Gilets Jaunes ayant reçu une solide éducation secondaire. Tel est bien le problème de notre système éducatif actuel. L’augmentation continuelle du nombre de bacheliers n’a pas produit une société plus instruite. Elle sécrète exactement la même quantité de personnes bien formées qu’autrefois - même si elles souffrent d’une culture générale moins solide - qui ont survécu à la grande casse de notre système scolaire grâce à la transmission familiale. Elle suscite aussi toute une armée de demi-instruits, qui obtiennent certes des diplômes d’enseignement supérieurs mais qui forment les bataillons de faire-valoirs et d’électeurs de la « superclasse » par leur disponibilité à recracher du slogan idéologique facile: ouverture, transparence, vivre-ensemble, multiculturalité, tous ces pont-aux-ânes du monde contemporain. 

L’enjeu est gigantesque car nous allons devoir à la fois rouvrir les vannes de la transmission d’un héritage, d’un passé, d’une langue si défigurés dans la plupart des réformes éducatives des quatre dernières décennies. Et nous avons aussi à former, massivement, nos concitoyens à la révolution numérique, à l’autonomie que permet le nouvel entrepreneuriat. La France a un énorme potentiel. Encore faut-il que l’on s’empare du défi éducatif. L’Education Nationale ne suffira pas. Elle serait même étouffante si on ne comptait que sur elle. Une droite de rassemblement revenue au gouvernement et soucieuse de recréer de la cohésion sociale devra non seulement donner beaucoup d’autonomie aux établissements du système public mais elle devra aussi autoriser, faciliter la création de nombreuses initiatives éducatives privées, capables de répondre non seulement au besoin de financement du secteur scolaire mais permettant aussi la diversité pédagogique et l’expérimentation de nouvelles méthodes. 

La droite du rayonnement français

Quand les gens ont tout oublié de Giscard, l’une de ses déclarations qui survit est celle où il avait expliqué que la France pèserait de moins en moins dans le monde et qu’il faudrait s’y adapter. On est à la source de tous les fatalismes contemporains. Combien de fois avons-nous entendu répéter que la France était devenu trop petite dans un monde toujours plus compétitif? Ah? Expliquez-moi alors pourquoi le Danemark et les Pays-Bas se sont mieux adaptés à la nouvelle donne économique que la France ou, même l’Allemagne! Expliquez ces miracles économiques que sont Israël et la Corée du Sud. Dites-nous pourquoi la Finlande est en tête de la plupart des évaluations internationales sur l’éducation; pourquoi la ville-modèle, du point de vue de l’organisation et de l’innovation, est Singapour. 

Dans les années 1970, un tel énoncé faisait froncer les sourcils. Aujourd’hui, il est carrément erroné. La révolution numérique redonne un énorme avantage aux organisations petites et moyennes. Je peux, aujourd’hui, créer mon entreprise à partir de mon smartphone, qui me donne accès à bien plus d’informations que ce que permettait l’unique ordinateur du Pentagone au début des années 1960. La question de l’indépendance de la Catalogne ou de l’Ecosse aurait été absurde, économiquement parlant, dans les années 1960. Aujourd’hui, dans le monde de la troisième révolution industrielle, elle devient sérieuse. Évidemment, il y a ces géants de la collecte des données, qui ont émergé, tels les GAFA. Mais cela ne rend que plus évident combien les nations sont importantes. Les Etats nationaux sont suffisamment puissants et flexibles (à la différence d’une lourde machinerie comme celle de l’UE) pour protéger la souveraineté numérique de leurs populations. 

Il faut surtout sortir de l’idée que nous faisons l’Europe, comme on dit, pour peser plus ensemble. C’est à la rigueur une retombée positive dans certains domaines. Mais l’important est d’abord d’utiliser tout le potentiel de rayonnement et de puissance de notre pays. La France est un pays qui compte. L’UE ne peut plus avancer si nous décidons d’en bloquer des dossiers: cela donne une force de levier extraordinaire pour obtenir la réforme de la construction européenne dans le sens des intérêts français. Évidemment, cela veut dire que nous savons parler aux....petits pays de l’Union pour qu’ils soutiennent nos vues ou pour leur proposer de faire aboutir leurs propres souhaits - encore une fois, « small is beautiful ». Cela signifie aussi que nous engageons dès maintenant une réflexion sur ce qui fonctionne bien et ce qui est paralysant dans l’UE telle qu’elle existe. Nous n’avons pas de temps à perdre dans un monde où les nations les plus dynamiques avancent à un rythme effréné. La France ne peut plus s’enfermer dans des processus de décisions longs et paralysants. S’il faut renoncer à 70% de la législation d’inspiration européenne pour pouvoir avancer plus vite ou mieux nous protéger dans la mondialisation, nous devons ouvrir le débat avec nos partenaires. 

Il nous faudra aussi nous souvenir que la France n’est pas qu’une puissance européenne. Nous partageons avec la Grande-Bretagne le fait d’être présent sur tous les continents. Nous parlons une langue dont le poids démographique dans le monde ne va cesser de se renforcer, en particulier grâce à l’Afrique. Historiquement, les grands moments français de l’histoire sont venus lorsque nous savions établir un équilibre entre notre vocation européenne et notre vocation mondiale. Nous sommes encore l’une des économies les plus performantes au monde, nous disposons de l’arme nucléaire, d’un siège au Conseil de sécurité de l’ONU et d’une des principales langues du monde. Nous avons toutes les raisons d’être fiers de notre pays et de lui imaginer un immense avenir. Il est vrai qu’il nous faudra, pour cela, mettre fin à l’utopie immigrationniste, reprendre la maîtrise des frontières de l’Europe et, si l’Europe n’avance pas dans ce domaine, des nôtres. Une France qui se dissout dans le grand magmas de la libre circulation des personnes, des biens et des capitaux, est bien entendu promise à l’insignifiance. il nous faut désormais limiter quasi-complètement l’immigration (à l’exception de quelques individus très bien formés, pour nos besoins économiques); réguler le libre-échange; et reconstituer le capital français. 

Droite des libertés, droite du lien social, droite du rayonnement français: il n’était pas possible, ici, de faire autre chose que d’esquisser des pistes. Mais la tâche à réaliser est immense. Elle est très différente de ce que prône LREM. Et il n’y aura pas trop de toutes les droites: entrepreneuriale et souverainiste, conservatrice et populaire, pour imaginer ensemble un avenir à notre pays. C’est à droite que doit être surmonté, rapidement, le clivage entre giscardiens et populistes.

Retrouvez la précédente analyse d'Edouard Husson sur Les Républicains et la droite

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