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La démocratie peut-elle encore résister à la crise ?
©Reuters

L'Edito de Jean-Marc Sylvestre

En France, comme ailleurs, c’est le principe même de la démocratie qui est en danger. La question est de savoir comment elle doit résister à la crise : protéger cet outil de liberté et de progrès et l’empêcher de craquer partout.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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La démocratie ne fonctionne pas bien mais nous n'avons pas d’autres moyens sauver la liberté de chacun. Le fonctionnement de la démocratie est en difficulté dans la plupart des grands pays occidentaux qui sont inventeurs de ce système. Et ceux qui la défendent avec le plus de conviction sont parfois ceux qui la fissurent ou la mettent en risque. 

Qui est responsable ? Les hommes politiques eux-mêmes, qui ont fait de la politique un travail, le système constitutionnel qui a tendance à nécroser le fonctionnement du pouvoir et empêcher l’équilibre pacifique entre le pouvoir politique et les contrepouvoirs.

Les explications sont nombreuses et résonnent allègrement dans  les amphithéâtres de Sciences Po. Les diagnostics s’amoncellent aussi chez les libraires avec l’arrivée d’une moisson d’essais sérieux ou cyniques, partisans ou inquiétants par des personnalités de la société civile ou des intellectuels qui descendent dans l'arène pour alerter ou inquiéter les foules : Éric Zemmour, Alain Finkielkraut, Nicolas Hulot, Jacques Attali, Michel Onfray, Thomas Piketty, Bernard-Henri Lévy...

A priori, ceux qui vendent des mauvaises nouvelles, des ruptures ou des retours sur le passé se vendent presque mieux que tous ceux qui essaient de semer des solutions et de l’espoir et font commerce de réalisme et de pragmatisme.

Les intellectuels et les chercheurs français sont partagés. Il y a ceux, nombreux, qui considèrent que le monde court à la catastrophe et qu’il faut faire machine arrière, et vite. C’était mieux avant ! Avant l’euro, avant l’Europe, avant les nouvelles technologies. On connait la chanson.

Et puis il y a ceux, moins nombreux mais tout aussi convaincants, qui pensent que l’on ne changera pas le monde mais qu’il faut épouser et accompagner les évolutions, les assumer et en tirer toutes les opportunités possibles. En chinois, la crise se traduit par "opportunité".         

Le monde politique se partage aussi entre ces deux grandes familles. Les anciens et les modernes. Et la ligne de partage passe au travers des grandes familles traditionnelles. La gauche est coupée en deux. La droite est coupée en deux.

Face à cette situation, le système démocratique est incapable de dégager des majorités fortes et responsables, capables de faire bouger les choses. La politique protège en permanence le statut quo en essayant, le moins possible, de bouleverser les situations acquises. Cette situation délétère, sans lignes directrices, a trouvé dans la mutation des structures économiques des raisons de s'enraciner.

La démocratie s’est révélée incapable de générer un pouvoir susceptible de dégager les moyens pour sortir de la crise. La raison en est simple.

Pendant un demi-siècle, de l’après-guerre à l’an 2000, la démocratie a fonctionné assez bien parce que la croissance économique permettait aux responsables politiques de délivrer les promesses qu'ils faisaient pour être élus.

Pendant toute la IVe République, et pendant la Ve jusque dans les années 1990, les candidats au pouvoir présentait une offre politique qui correspondaient à la clientèle qu’ils voulaient séduire. Cette offre politique était faite de promesses, de cadeaux et de "toujours plus", pour reprendre le livre célèbre de François de Closet.

A partir des années 1975/1980, les chocs pétroliers ont un peu changé les conditions d’exercice du pouvoir. Les prix de l’énergie ont cannibalisé le pouvoir d’achat, limer les moyes et rendus les promesses politiques plus difficiles à délivrer. D’autant que pendant les trente glorieuses, les responsables politiques ont mis en place un modèle social extrêmement généreux. Ils ont signé des "traites" sur le très long terme avec des systèmes de retraites ou d’allocations qui se sont révélés de plus en plus difficiles à rémunérer.

A partir de l’an 2000, qui commence en 1980/90, le monde change. Les frontières s’effondrent, les hommes, les produits et les capitaux circulent librement ou presque. La mondialisation modifie la géographie des richesses et bouge les systèmes de production. L’économie se retrouve dans le cadre d’un système unique et mondial de fonctionnement : le système d’économie de marché. Dans ces années-là, la révolution technologique, mais pas seulement,  va encore accélérer les changements.

Le résultat au niveau du management politique est très simple. Le cadre classique de l’Etat-Nation a été débordé par les effets de la mondialisation. En clair, une décision politique, prise à l’issue d’un processus démocratique légitime ne s’applique qu'à l’intérieur des frontières. Alors que la vie quotidienne d’un pays dépend à plus de 50% des échanges et des influences extérieurs. Le pouvoir politique ne peut plus s’exercer face aux marchés sauf à travailler avec les marchés.

Le monde politique se retrouve aujourd'hui sans argent pour honorer les promesses électorales, à l'image de François Hollande ou Alexis Tsipras. Les citoyens, les entreprises et les opinion publiques ont besoin de produits, de services, de partenaires qui sont étrangers au pays et sur lesquels les décisions politiques qui sont prises n’ont pas d'empruntes légales.

Tous ceux qui, aujourd'hui, viennent nous dire que l’on peut se passer des autres, que c’était mieux hier, se trompent complètement. Nous ne pouvons pas nous passer de pétrole ni des produits fabriqués en Chine. Nous ne pouvons pas nous passer des 100 millions de touristes que nous recevons chaque année, nous ne pouvons pas nous passer de voyager. Et sur les 5 millions de Français qui se sont expatriés, beaucoup regrettent de ne pas avoir pu mener leur projets dans leur propre pays. Les riches partent parce que le poids de la fiscalité est trop élevé. Les jeunes diplômés partent parce qu’ils ne trouvent pas de boulot. Et dans ceux qui n’ont pas de diplômes, beaucoup tournent en rond dans leur village parce que l’écosystème n’est pas en mesure d’attirer de nouvelles usines pour remplacer celles qui ont été délocalisées.

La France fabrique des fonctionnaires pour faire tourner l’appareil d’Etat, les collectivités locales et l’hôpital. La France fabrique des chômeurs, exporte des BAC+7 et importe des BAC-5 qu’elle ne réussit pas à intégrer. Kafkaïen ! Depuis 1990, la France a été incapable de s’adapter à la mondialisation, à l’économie de marché et au progrès technologique.

En bref, la classe politique  a été incapable de formater un système de production performant et capable de financer le développement de ce pays, d’affronter la compétitivité et le monde tel qu’il est.

Aucun responsable politique n’a eu assez de courage ou de force pour imposer des réformes structurelles qui s’imposaient. Aucun n’a su faire la pédagogie de ces réformes qui auraient donné du grain à moudre à toute la société.

La société s’est figée dans des problèmes sociétaux ou d’identité. Elle s’est fracturée dans des polémiques graves mais négatives sur la protection de ses valeurs. Et pendant ce temps, elle s’est calfeutrée dans ses avantages acquis.

Imaginez une France prospère, sans chômage, avec une classe moyenne qui n’aurait pas de problème pour payer son loyer ou ses traites. Imaginez une France avec un avenir à offrir à ses enfants. Dans cette France-là, les problèmes de cohabitation entre les communautés ne seraient pas aussi brulants et les questions d’identité et de valeurs ne feraient évidemment pas le jeu quotidien des banlieues.

La démocratie ne pourra évidement survivre que si le personnel politique arrête de mentir sur la situation économique, sur la façon de produire de la richesse, sur les contraintes qui sont les nôtres et auxquelles, quoi que l’on fasse, nous n’échapperons pas.

Les scénarios de rupture qui nous sont proposés, à droite comme à gauche, sont inapplicables. Ils font rêver un moment mais l’opinion publique n’en veut pas. En Grèce, en Espagne, et sans doute en France, la majorité des peuples ne voudra pas se couper de l’Euro, de l’Europe, des entreprises, des banques et des marchés. La majorité des peuples ne voudra plus jamais refermer les frontières.

En revanche, la majorité des peuples occidentaux ne veut sans doute plus qu’on lui raconte des histoires. Ils veulent les vrais chiffres, les faits réels et surtout la cohérence entre ce qui est souhaitable et ce qui est possible. Si l’offre politique moderne ne passe pas par la transparence et par la vérité, elle ouvre la voie à tous les populismes et tous les extrémismes. C’est-à-dire que l’on va accélérer, une fois encore, le risque d’étouffer la démocratie.  

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