La crise ukrainienne marque-t-elle la fin de l'ère de la guerre contre la terreur ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Mémorial improvisé pour les victimes des récentes violences en Ukraine.
Mémorial improvisé pour les victimes des récentes violences en Ukraine.
©Reuters

La terreur et la vertu

Alors que les tensions entre Washington et Moscou continuent de prendre de l'ampleur autour de la crise ukrainienne, les rapports de force internationaux semblent prendre un nouveau tournant.

Pierre Conesa

Pierre Conesa

Pierre Conesa est agrégé d’Histoire, énarque. Il a longtemps été haut fonctionnaire au ministère de la Défense. Il est l’auteur de nombreux articles dans le Monde diplomatique et de livres.

Parmi ses ouvrages publiés récemment, Docteur Saoud et Mister Djihad : la diplomatie religieuse de l'Arabie saoudite, Robert Laffont, 2016, Le lobby saoudien en France : Comment vendre un pays invendable, Denoël, Vendre la guerre : Le complexe militaro-intellectuel, Editions de l'Aube, 2022.

 

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Atlantico : Alors que les tensions entre Washington et Moscou continuent de prendre de l'ampleur autour de la crise ukrainienne, les rapports de force internationaux semblent prendre un nouveau tournant. Peut-on dire que l'on entre dans une nouvelle ère géopolitique après une décennie de "guerre contre le terrorisme" ?

Pierre Conesa : Incontestablement, le monde est entré dans une nouvelle ère.

Les deux décennies qui ont suivi la disparition de l'URSS ont été marquées par un unilatéralisme américain largement soutenu par les Occidentaux y compris dans les pires excès : invasion de l'Irak et de l'Afghanistan, menaces d'interventions en Syrie malgré la catastrophe libyenne... Beaucoup des actions occidentales ont été menées en violation complète du droit international. un des axes constants de la diplomatie américaine a été le Roll Back (le reflux de l'ancienne Russie dans sa périphérie) dont Condy Rice était une des égéries. Moscou l'a parfaitement senti pendant sa période de faiblesse.

La Russie, qui est autant préoccupée par le terrorisme notamment islamiste que les Occidentaux, avait depuis longtemps marqué ses différences. Elle avait déjà démontré le parallélisme des actions (non sans raison) y compris en intervenant pour défendre les Abkhazes comme l'avaient fait les Occidentaux au Kosovo, en privilégiant la diplomatie en Syrie contre la guerre ou dans la crise iranienne. Poutine a rendu aux Russes leur fierté que le comportement occidental avait largement foulé aux pieds et il est décidé à ce que le monde ne soit plus le même (et il n'est pas le seul).

Les thématiques du terrorisme semblent pourtant toujours réelles, notamment dans le cas du conflit syrien. Quelle place est-elle amenée à occuper dans les prochaines années ?

Le terrorisme international a totalement changé de visage puisqu'il tue aujourd'hui dix fois plus de musulmans que de non musulmans (Irak, Pakistan, Syrie, Afghanistan...) parce que la caractéristique dominante des crises qui déchirent le monde arabo-musulman est la guerre sunnite chiite. Le traitement militaire du terrorisme imposé par GW Bush après le 11 septembre était une erreur stratégique à laquelle les Européens n'ont pas su résister (invasion de l'Afghanistan puis de l'Irak) alimentant ainsi le terrorisme interne de musulmans (ex Merah Tsarnaiev....) qui trouvent que les Occidentaux ont une diplomatie du double standard insupportable. Le terrorisme est devenu une menace résiduelle et pas stratégique.

Pour la première fois depuis 1989, les Etats-Unis semblent ainsi se retrouver confronté à de sérieux rivaux, capables de s'opposer directement aux interventions occidentales. Faut-il y voir la fin d'un monde "unipolaire" centré autour d'une seule et simple puissance ? A l'inverse, quelle forme pourrait prendre le monde "multipolaire" souhaité par de nombreux pays émergents (Chine, Russie...) ?

Oui, le leadership occidental est largement contesté par le reste de la planète. Les nations (essentiellement occidentales) qui ont voté la résolution sur l'action militaire en Libye représentait à peine 9 à 10 % de la population mondiale et l'habitude des chancelleries occidentales de parler de la "communauté internationale" pour expliquer leur propres positions est un abus de langage de plus en plus contestable et contesté. En effet, les Occidentaux choisissent les crises dont elles veulent s'occuper pour en faire une crise de l'agenda international en laissant de côté les autres : le meilleur exemple est la Libye où les massacres de Kadhafi étaient incontestablement moins graves que ce qui se passait au même moment au Congo (ex Zaire) et personne ne s'en préoccupait.

De même à propos de l'occupation israélienne des territoires occupés qui dure depuis 47 ans et qui a fait plus de morts palestiniens que la place Maidan, et la colonisation se poursuit. Pourquoi l'Iran nucléaire est-il une menace pire que l'Arabie saoudite salfiste qui a généré les jihadistes contre lesquels nos troupes se battent ? Posez la question aux responsables occidentaux...

Je pense que Poutine va pousser ses avantages jusqu'à forcer les Occidentaux à s'asseoir à la table des négociations selon ses propres conditions. C'est un des termes de la nouvelle diplomatie multipolaire.

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