La COP21 sans les manifestations citoyennes risque-t-elle d'être livrée à la seule influence des lobbies ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Le gouvernement a décidé d'annuler les marches pour le climat.
Le gouvernement a décidé d'annuler les marches pour le climat.
©Reuters

Déséquilibre

A la suite des attentats du vendredi 13 novembre (et des 130 morts qui en résultent), le gouvernement a décidé d'annuler les marches pour le climat, prévues à l'ouverture et à la fermeture de la COP 21. Ce faisant, la voix de la société civile, acteur des négociations, est rendue moins audible.

François Gemenne

François Gemenne

François Gemenne est chercheur en sciences politiques, au sein du programme politique de la Terre. Il est enseignant à l'université de Versailles-Saint Quentin, et à Sciences Po Paris.

Spécialiste du climat et des migrations.

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Atlantico : Dans l'idée de protéger la population d'attentats potentiels, après le traumatisme du vendredi 13 novembre, Laurent Fabius a annoncé l'annulation des marches pour le climat, dans le cadre de la COP 21. Dans quelle mesure cette intervention, si elle reste compréhensible, peut représenter un risque pour les négociations ? Faut-il craindre une prise en otage de la COP 21 par les lobbies ?

François Gemenne : Il faut raison garder : l'annulation des marches pour le climat n'a pas été réalisée pour protéger les manifestants d'un risque terroriste. Il s'agit d'éviter de mobiliser trop de forces de l'ordre, qui ont pour l'heure d'autres chats à fouetter et d'autres sujets d'inquiétude que l'encadrement d'une manifestation.

Beaucoup d'événements qui impliquaient la société civile, notamment au Bourget, sont maintenus. Néanmoins, il est certain que l'annulation des marches est une mauvaise nouvelle. Il existe de fait un risque pour les négociations : que celles-ci aient lieu dans une espèce de bulle déconnectée de la société civile et par conséquent déconnectée des réalités du terrain et avec un déficit démocratique . Tout l'objet des marches pour le climat visait à rappeler le soutien de la population ; sa demande pour un engagement réel et important lors de la COP 21. Il est certain que si cette pression populaire ne peut pas s'exercer, que s'il n'y a pas cette publicité donnée à la COP 21, le risque est évidemment d'assister à des négociations dans une bulle, qui pourraient donner lieu à ce que la négociation puisse se faire un peu sur n'importe quoi. C'est pourquoi ce contrôle démocratique de la société civile et si important.

On l'a constaté au G20 qui a eu lieu en Turquie les 15 et 16 novembre passés (qui n'a pas du tout été médiatisé en raison des attentats). Des pays comme l'Inde ou l'Arabie Saoudite ont bloqué sur un point important : le caractère révisable, tous les 5 ans, de l'accord. Il est donc très important qu'une importante publicité s'organise autour de la COP 21, puisque nous n'irons probablement pas vers un régime de sanction. La seule sanction qui existera sera populaire. L'enjeu de ces marches c'était justement de parvenir à mettre la pression sur ces acteurs, leur rappeler qu'ils sont surveillés. C'est en cela que leur annulation présente un risque.  Il faudra que la société civile trouve donc d'autres moyens que celui de manifester de République à Nation. Ils sont nombreux : on peut s'attendre, par exemple, à des mobilisations en lignes, sur les réseaux sociaux ou à l'exemple de Nicolas Hulot et sa vidéo. Nous ne sommes peut-être plus dans une époque de manifestation de masse dans la rue. Ce n'est en tout cas plus la seule manière de montrer le poids de la société civile de façon pertinente. On peut témoigner de sa mobilisation via des pétitions sur Internet ou les réseaux sociaux. Il revient à la société civile de trouver comment peser autrement sur les négociations : l'annulation des marches n'est pas une bonne nouvelle mais elle n'exclut pas cet acteur du débat.

Quel impact les manifestations auraient pu avoir sur les décisions finales ? Quel que soit le résultat, le principe d'empêcher une voix ne remet-il pas en doute toute la légitimité de l'organisation ?

Les décisions finales, pour qu'elles soient de bonnes décisions, se doivent d'être engageantes. Ce qui veut dire qu'elles doivent être courageuses et, potentiellement, amener des sacrifices et des coûts immédiats. Le but de ces manifestations consistait à dire aux dirigeants le soutien de leur population dans la poursuite de cet objectif, dans l'opération de ces choix importants, probablement délicats et douloureux.

Si la société civile est absente ou invisible, le risque que les accords pris ne soient que des accords à l'eau-tiède et des demi-mesures est réel. Cela correspondrait à la recherche d'un consensus, la volonté de ne fâcher personne. Je doute qu'on puisse parler d'une remise en doute de l'ensemble des négociations pour autant : cela reste une négociation politique, au départ. Beaucoup d'autres négociations ne laissent pas la moindre place à la société civile : c'est une richesse de celles sur le climat et de la COP 21 que d'accorder ce poids à la société civile. Or, il va de soi que cette place doit être aménagée à la lueur des événements qui ont eu lieu ce vendredi 13 novembre. Il est tout à fait compréhensible que soient mises en place des logiques de sécurité qui ne permettent plus la tenue de manifestations de masse. Je trouve néanmoins que le gouvernement a été assez raisonnable et a fait tout son possible pour maintenir un maximum d'événements impliquant la société civile. C'est le cas au Bourget, au Grand-Palais. De ce fait et en l'absence de volonté manifeste d'éloigner la société civile des débats, de la faire taire et de négocier dans une bulle, je ne crois pas qu'on puisse taxer la COP 21 d'une quelconque perte de légitimité, ce serait lui faire un mauvais procès. Par ailleurs, ce sont des considérations de sécurité qui ont été comprises, tant par les ONG que par la société civile. Personne n'a hurlé.

Au-delà de l'annulation des marches, de la présence des lobbies et des entreprises ; à quel résultat final doit-on s'attendre ? Les Etats les plus pollueurs vont-ils véritablement revenir sur leur programme de croissance ?

Le résultat auquel il faut s'attendre sera celui d'un accord global, impliquant un très grand nombre de pays. Par conséquent, il risque de manquer d'ambition : il y a toujours un choix à opérer entre le niveau de participation et le niveau d'ambition. Plus il y aura de participants, plus le niveau d'ambition sera faible et ; manifestement ; on va préférer un plus fort niveau de participation. Cela sera sans doute davantage le cas après les attentats de Paris : on va préférer une espèce d'énorme union mondiale, un peu comme une grande photo de famille, et on cherchera à ne vexer personne. Or, pour pouvoir faire des choix engageants, il faut fâcher des gens. Il est impossible de contenter tout le monde à la fois. Il serait sot de blâmer les terroristes de Daesh pour cet échec néanmoins, puisque c'était déjà la tendance avant les attentats. Il y a, cependant, davantage de chefs d'Etat qui ont annoncé leur venue à la suite des événements tragiques du 13 novembre. Ils devraient être aux alentours de 130, désormais. Il s'agit de témoigner leur soutien à la France et au peuple français… Cela confirme cette idée d'unité mondiale, cette fausse idée de communauté internationale qui va masquer des intérêts très contradictoires et très divergents.

Il est difficile de dire qui saura tirer le plus profit des accords, mais il est évident qu'une grosse partie de ces négociations se jouera entre la Chine et les Etats-Unis. Ils ont déjà préfiguré l'accord en négociant une déclaration commune en novembre dernier. De ce fait, ils donneront le la, durant les négociations de la COP 21. Il y a deux lectures à cette déclaration : certains, les plus optimistes, y voient un signal de bonne volonté avant la COP 21 et estiment que les Etats-Unis et la Chine reconnaissent leurs torts communs. Les autres, plus pessimistes, estiment qu'ils cadenassent les négociations. Il est trop tôt pour dire quelle lecture prévaut. Nous le saurons mi-décembre.

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