La carte des régions, version Assemblée nationale : des concessions politiques pour un gain nul en termes d’efficacité<!-- --> | Atlantico.fr
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Le débat sur la réforme territoriale a débuté à l'Assemblée nationale.
Le débat sur la réforme territoriale a débuté à l'Assemblée nationale.
©Reuters/Charles Platiau

Puzzle

Le débat sur la réforme territoriale a débuté à l'Assemblée nationale et une nouvelle version de la "carte des régions" a été proposée par les députés. Peu d'apports sur le fond, pour une forme qui reprend de très près les premières propositions déjà loin de faire l'unanimité.

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Boeuf

Jean-Luc Bœuf est administrateur général. Auteur de nombreux ouvrages, son dernier livre : les très riches heures des territoires (2019), aux éditions Population et avenir. Il est actuellement directeur général des services du conseil départemental de la Drôme (26)

 

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Atlantico : Dans la perspective du débat sur la réforme territoriale qui a débuté mardi 15 juillet au soir à l'Assemblée nationale, les députés du Parti socialiste ont élaboré une nouvelle carte comptant 13 régions, contre 14 dans le projet initial du gouvernement. Le Centre resterait seul tout comme les Pays de la Loire et la Bretagne resteraient deux régions distinctes. Cette nouvelle proposition permettrait-elle davantage d'efficacité relativement à la première ou s'agit-il simplement d'une concession politique ?

 Jean-Luc Bœuf. En portant un regard de quelques mois sur l’actuelle réforme proposée, il est à craindre que la carte proposée par les députés PS soit considérée comme une simple concession de circonstance. En effet, la réforme proposée par le chef de l’Etat a déjà été remise en cause par les sénateurs en première lecture. Ce qui montre la défiance des sénateurs à deux mois de leur renouvellement qui s’annonce « délicat » pour la majorité sortante de la Chambre haute – et c’est un euphémisme ! Il appartient donc à l’Assemblée nationale de proposer une solution de sortie ; laquelle doit être acceptée par le Parlement. Et le tout pour que les élections locales  prévues avant la fin 2015, selon le calendrier annoncé par le gouvernement il y a quelques semaines, puissent se dérouler.

Le problème ne vient-il pas du fait que l'on utilise le mauvais échelon pour réaliser cette réforme ?

La difficulté de cette réforme tient à deux choses. La première est de partir du découpage des régions plutôt que de partir des besoins des territoires. La deuxième est de conduire cette réforme en même temps que la réforme de la suppression annoncée des conseils généraux dans leur forme actuelle. Les besoins des territoires sont de disposer d’échelons d’interventions accessibles, lisibles et soucieux des deniers publics. Or force est de constater que la réforme projetée ne supprime pas les doublons puisque seront redéléguées des compétences à d’autres échelons, un peu comme la future métropole du Grand Paris aux futures  ex-agglomérations. Pour ce qui est de la lisibilité des interventions de régions qui regrouperont chacune des dizaines de milliers d’agents publics, elle sera largement mise à mal par une technocratie particulièrement lourde. Quant aux deniers publics, les réorganisations se traduisent toujours par des dépenses avant de procurer des gains, sauf à toucher à la ressource humaine. Or on vient ici buter sur le statut de la fonction publique qui rend difficile les évolutions en profondeur. Quant à la suppression annoncée des conseils généraux elle risque de se réduire à des (nouveaux) transferts massifs de compétences (collèges, voirie, social) tout en maintenant la coquille départementale (pour cause de révision constitutionnelle nécessaire).

Etant donné la nécessité de remettre en cause les intérêts locaux, une réforme territoriale efficace a-t-elle une chance d'aboutir sans une volonté politique forte ?

La volonté politique est évidemment l’ingrédient clé de la réussite d’une telle réforme ! De ce côté-là, les interventions répétées du Président de la République depuis plusieurs mois seraient un signal fort. Mais il est à craindre que la volonté politique ne suffise plus, pour différentes raisons. Tout d’abord, la volonté politique marquée au plus haut sommet de l’Etat doit trouver un écho favorable, notamment auprès de ses relais de terrain. Ensuite, il convient de s’interroger si la réforme proposée l’est au moment adéquat du quinquennat. Or, tous les pouvoirs exécutifs de la Cinquième République en ont fait l’expérience : il est plus aisé de réformer en début de mandat. Enfin, on peut se demander si cette réforme est celle dont la France a aujourd’hui besoin alors que notre pays ne sort pas de la récession entamée en 2008. Qu’est-il besoin de mettre à bas un appareil territorial qui va nécessiter des moyens financiers supplémentaires alors que, justement, les économies sont plus que jamais nécessaires pour résorber le déficit public qui se dirige lentement mais surement vers les 100% du PIB.

Est-il possible d'établir une carte en partant des régions existantes ? Comment faudrait-il s'y prendre pour parvenir à une meilleure carte ?

Pour parvenir à un découpage optimal, la question de la tabula rasa est (presque aussi) vieille que les institutions elles-mêmes. C’est ce à quoi aboutissent les Révolutionnaires de 1790 lorsqu’est institué le département. Il s’agissait alors de trouver le découpage qui permettrait une organisation rationnelle, accessible, et qui mette fin aux provinces. Cela débouche sur la célèbre phrase que l’on prête à Thouret selon laquelle "80 petits roquets valent mieux que 15 gros chiens loups". La difficulté congénitale des 22 régions actuelles est d’être les descendantes ‘un découpage administratif qui trouve ses racines dans la France des années 1930, reprise par Vichy et confortée par le découpage de 1955. Entendons-nous  bien : ce découpage d’alors convenait bien à une économie administrée telle que l’était la France planiste de la Reconstruction. Mais c’est en 1982-86 que le virage a été raté lorsque les régions ont été transformées, d’un coup de baguette magique – celle du suffrage universel direct – en collectivités territoriales de plein exercice. Avant que ne soit donnée la parole au peuple, il eut fallu s’interroger sur les véritables ressorts de la régionalisation. Serait apparue dans ce cas la question des métropoles. Les métropoles partent d’un constat simple, celui du lieu de création de richesse économique et de l’effet d’entrainement sur les territoires d’alentour. C’est ainsi qu’apparaissent alors les métropoles telles que Toulouse, Bordeaux, Nantes, Le Havre, Lille, Strasbourg, Lyon, Montpellier et Marseille, sans oublier Paris naturellement. On en est à dix régions entraînées par leur métropole. Si l’on rajoute la question des régions non suffisamment motrices mais auxquelles l’Etat reconnait une vocation d’aménagement du territoire, on arrive à 12 avec Le Limousin, l’Auvergne et la Corse.

Laisser la possibilité aux départements de choisir leur région d'attachement, comme le propose un amendement du député PS Carlos Da Silva, vous parait-il être un bon compromis ?

Ce compromis apparaît comme étant le plus acceptable de cette réforme. Cela permettrait de revenir aux aires d’influence économiques naturelles, comme celles dont il est question ci-dessus avec les régions métropoles. D’ailleurs, si l’on regarde les revendications des départements pour changer de région de rattachement, on se rend très vite compte que les questions économiques l’emportent le plus souvent.  Il en est ainsi du département du Territoire de Belfort dont l’activité économique est depuis la révolution industrielle tourné vers l’Alsace et qui, d’ailleurs, a constitué un arrondissement de Mulhouse jusqu’au conflit de 1870-71. Quant au Jura, ses activités et son bassin d’influence sont ceux de Lyon. Mais comme tout compromis, il ne satisferait pas tous les acteurs…

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