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La BCE envisage de se lancer dans le Quantitative Easing sauf que ce n’est (toujours) pas la politique monétaire dont l’Europe a besoin
©REUTERS/Francois Lenoir

Mauvais choix

La Banque centrale européenne pourrait considérer un programme d'achat d'actifs contre le risque d’une période trop prolongée d’inflation faible. Mais s'il a été mis en oeuvre avec succès aux Etats-Unis, au Japon et au Royaume-Uni, le Quantitative Easing se heurterait dans la zone euro à des difficultés particulières.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Lorsqu’une banque centrale souhaite intervenir pour assouplir ou contraindre la politique monétaire, elle agit traditionnellement par la voie des taux d’intérêts. Lorsque ces taux se retrouvent à un niveau proche de 0, les banques sont donc contraintes de trouver nouveaux moyens d’intervention. Ces moyens sont multiples, mais le plus emblématique est appelé Quantitative Easing, ou assouplissement quantitatif. Une telle opération consiste à procéder à des rachats d’actifs, en l’occurrence de la dette d’Etat dans la plupart des cas, afin d’augmenter la quantité de monnaie dans l’économie. La banque centrale « crée » de la monnaie, rachète un titre et le dépose dans son bilan. La monnaie créée est alors en circulation. Mais les effets recherchés par la banque centrale sont les mêmes que pour une baisse de taux d’intérêts : il s’agit d’augmenter l’offre de monnaie.

Cette méthode a pu être mise en œuvre par différents Etats : Etats-Unis, Royaume-Uni et Japon. Et leur succès est difficilement contestable. Un récent rapport produit par la banque d’Angleterre, basé sur l’étude des expériences américaines et anglaises en donne une indication. « Les effets moyens sur la croissance et l’inflation sont (…) respectivement de 0,36% et de 0,38% suite à une hausse de 1% de rachat d’actifs relativement au PIB ». C’est-à-dire exactement ce que l’on demande à un tel plan. Mais pour de nombreux commentateurs, une telle solution serait impossible à mener en Europe, et ce pour plusieurs raisons.

En effet, et bien que cette opération ne soit qu’une méthode comme une autre pour procéder à un plan de relance monétaire, elle est souvent perçue comme étant une fin en soi. Une vision répandue consiste ainsi à prétendre que l’assouplissement quantitatif permet aux Etats de se financer gratuitement. Bien entendu, il n’en est rien. La banque centrale rachète un titre de dette à un opérateur, et celui-ci se retrouve au bilan de la banque. L’Etat devra tout de même payer les intérêts et le principal. Pour l’Etat en question, rien ne change. Il paye.

D’autres critiques ont pu apparaitre, notamment sur l’incompatibilité d’un tel plan avec le particularisme européen. Une approche qui trouve son fondement dans la fragmentation du marché obligataire de la zone euro : les dettes de la zone sont en effet dispersées entre 18 Etats différents, et il serait complexe de déterminer quels titres de quels pays pourraient être rachetés. Dette grecque ou dette allemande ? Un enjeu politique qui pourrait pourtant tout à fait respecter une stratégie d’équité en proposant de créer un « panier » représentatif de l’économie européenne, dans des proportions correspondant au poids de chaque Etat dans l’économie européenne. Le problème est ici bien plus politique, il serait inconcevable pour les pays du nord de racheter la dette des pays du sud, comme le rachat de la dette du nord serait insupportable pour les pays du sud.  

Un autre point régulièrement soulevé est la forte divergence entre les canaux de financement des entreprises aux Etats-Unis et en Europe. Les sociétés européennes recourent moins aux marchés financiers, et empruntent davantage auprès des banques. Selon cet argument, les entreprises seraient alors mises à l’écart du plan.

Mais une telle vision rate l’essentiel. Parce qu’un plan d’assouplissement quantitatif n’est pas une politique de crédit, il s’agit de politique monétaire. L’objectif n’est pas d’offrir assistance à telle ou telle entreprise et la financer. L’objectif est de modifier les anticipations des agents économiques. Ce qui vient considérablement affaiblir un tel argument.

Dès lors qu’un plan de relance monétaire est annoncé, les agents vont en anticiper les effets : un surplus de croissance et un surplus d’inflation en conséquence de l’offre de monnaie supplémentaire octroyée par la banque centrale. En rehaussant leurs anticipations, les agents économiques vont participer au mouvement en investissant, en embauchant, selon leurs nouvelles prévisions de croissance. Il n’est en aucun cas nécessaire de recourir directement aux marchés financiers pour bénéficier des effets d’une telle politique. Le fait qu’une entreprise ait recours au financement par la voie bancaire ne remet rien en cause, l’effet serait simplement indirect.  Parce que les banques sont directement incitées à prêter davantage. Avec des prévisions de croissance en hausse, les banques ont tout simplement plus d’intérêt à prêter à leurs clients.

Le phénomène est efficace mais reste en retrait par rapport à une autre méthode : le « forward guidance ». Sous ce terme technique se cache un concept simple : la communication. Lorsqu’une banque centrale communique correctement ses intentions, le marché va pouvoir agir en conséquence et s’adapter aux nouvelles conditions, sereinement. Et il n’est pas raisonnable pour un agent économique d’ignorer le discours de sa banque centrale, elle qui dispose d’un pouvoir illimité de création monétaire. Il serait  inconscient de jouer contre un mur et de vouloir gagner la partie. Le résultat est que lorsqu’une banque centrale parle, le marché écoute et obéit.

Finalement, les plans d’assouplissement quantitatif n’ont été réellement efficaces aux Etats Unis, au Japon et au Royaume-Uni qu’à partir du moment où ils étaient accompagnés de « forward guidance ». Une part de communication, en annonçant par exemple un objectif de taux de chômage (forward guidance), et une part d’accompagnement avec un plan d’assouplissement quantitatif. La crédibilité de l’objectif est renforcée par la mise en place du rachat de dettes. Un objectif et un bras armé.

Bien entendu, un tel plan serait également efficace en Europe. Les blocages cités ici relèvent plus de la peur politique que de la réalité. Mais un problème subsiste. La mise en place d’un plan d’assouplissement quantitatif en Europe ne pourra avoir d’effets satisfaisants que dans la mesure où les objectifs de la banque centrale européenne sont modifiés. Sans cela, le plan ne servirait à la BCE qu’à remplir son objectif actuel : une stricte stabilité des prix à 2% sur le moyen terme. L’écart entre la situation actuelle et l’objectif n’est pas suffisamment important pour permettre une amélioration satisfaisante et durable de la situation. Elle ne pourrait l’être que si les objectifs sont modifiés, par exemple en acceptant la mise en place un objectif de taux de chômage, ou mieux encore, un objectif de croissance nominale.

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