L’inclusion de gaz fossiles dans la taxonomie verte européenne, un scandale ? Voilà pourquoi la réponse est complexe<!-- --> | Atlantico.fr
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La centrale nucléaire de Cruas est photographiée, le 12 novembre 2019.
La centrale nucléaire de Cruas est photographiée, le 12 novembre 2019.
©JEFF PACHOUD / AFP

Utopie énergétique ?

L'Union européenne a dévoilé un projet de labellisation verte très attendu pour les centrales nucléaires et à gaz, permettant de faciliter le financement d'installations contribuant à lutter contre le changement climatique. Le texte qui prévoit d'intégrer le gaz et le nucléaire à la taxonomie a été publié le 31 décembre.

Philippe Charlez

Philippe Charlez

Philippe Charlez est ingénieur des Mines de l'École Polytechnique de Mons (Belgique) et Docteur en Physique de l'Institut de Physique du Globe de Paris.

Expert internationalement reconnu en énergie, Charlez est l'auteur de plusieurs ouvrages sur la transition énergétique dont « Croissance, énergie, climat. Dépasser la quadrature du cercle » paru en Octobre 2017 aux Editions De Boek supérieur et « L’utopie de la croissance verte. Les lois de la thermodynamique sociale » paru en octobre 2021 aux Editions JM Laffont.

Philippe Charlez enseigne à Science Po, Dauphine, l’INSEAD, Mines Paris Tech, l’ISSEP et le Centre International de Formation Européenne. Il est éditorialiste régulier pour Valeurs Actuelles, Contrepoints, Atlantico, Causeur et Opinion Internationale.

Il est l’expert en Questions Energétiques de l’Institut Sapiens.

Pour plus d'informations sur l’auteur consultez www.philippecharlez.com et https://www.youtube.com/energychallenge  

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Atlantico : La Commission européenne souhaite inclure les gaz fossiles dans sa taxonomie verte. Quels sont les motifs qu’elle avance pour cela ? Certains s’insurgent de cette décision, est-il pour autant si évident que le gaz n’a pas sa place dans cette taxonomie verte ? Quels arguments nous permettent de trancher ?

Philippe Charlez : Un kWh gazier de dernière génération (Cycles Combinés) émet de l’ordre de 350 gCO2 contre seulement 10 gCO2 en moyenne pour le nucléaire. Si la Commission Européenne avait suivi la logique bas carbone qu’elle promeut, elle aurait inscrit sans hésiter le nucléaire à la taxonomie verte mais en aurait exclu le gaz contribuant au réchauffement climatique. Pourtant, selon nos informations, le gaz et le nucléaire seraient tous deux intégrés « sous conditions » à la taxonomie verte. Tel serait donc le résultat aberrant mais prévisible d’une interminable négociation entre les pro (Allemagne, Finlande et la plupart des anciens pays de l’est) et les anti (Luxembourg, l'Allemagne et l'Autriche) nucléaires. Un résultat démontrant combien l’égoïsme national prime toujours sur les ambitions climatiques : l’Allemagne sortira du nucléaire cette année, l’Autriche n’en possède pas alors que la France et la Finlande produisent 70% de leur électricité à partir du nucléaire. Sans commentaire !

Les projets gaziers ou nucléaires bénéficiant de la taxonomie verte seraient soumis aux conditions suivantes.

Pour le nucléaire

La taxonomie couvrirait à la fois l’existant et la construction de nouvelles centrales.

Les nouveaux réacteurs seraient notamment considérés comme « verts » à condition de recevoir un permis de construire avant 2045 et de disposer d’un site sécurisé de stockage de déchets.

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En ce qui concerne les réacteurs existant, l’extension de leur durée de vie serait également considérée comme verte à conditions de les mettre en conformité avec les « normes de sécurité les plus élevées possibles ».

Pour le gaz

Seraient considérée comme éligible à la taxonomie verte une nouvelle centrale à gaz bénéficiant d’un permis de construire avant le 31 décembre 2030, émettant moins de 270 gCO2 par kilowattheure et remplaçant une autre centrale à combustible fossiles émettant davantage. Le chiffre de 100 gCO2 par kilowattheure initialement recommandé par les experts comme limite supérieure d’émission n’a pas été retenue car elle aurait rendu pratiquement impossible la mise en œuvre de nouvelles centrales gazières.

La délivrance limitée dans le temps des permis de construire traduit de facto le caractère transitoirement vert du gaz (jusqu’en 2030) et du nucléaire (jusqu’en 2045). Mais les critères ont surtout été définis de façon à satisfaire à la fois la France (carénage des réacteurs existant, construction des EPR et site de stockage) et l’Allemagne (sortie du nucléaire et sortie progressive du charbon remplacé par du gaz). Les dates butoir des permis ne font que refléter en filigrane les stratégies allemande (sortie du charbon en 2030) et française (remplacement du parc nucléaire actuel).

La commission n’avait donc que deux choix totalement déconnectés de toute considération climatique : soit intégrer gaz et nucléaire à la taxonomie verte soit les en exclure. En revanche, compte tenu des positions diamétralement opposées des Allemands et des Français, il n’était pas politiquement possible, d’en accepter une et d’en exclure l’autre.

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Ce consensus mou d’une soixantaine de pages soumis aux États Membres peut se résumer par la phrase conclusive « la Commission considère que le gaz naturel et le nucléaire ont un rôle à jouer pour faciliter la transition vers un avenir principalement basé sur les énergies renouvelables ». Les Membres ont jusqu'au 12 janvier pour faire part de leurs commentaires.

Conséquences

La proposition de la Commission traduit en filigrane un constat d’échec cuisant quant à la stratégie énergétique européenne.

D’une part, en donnant au gaz et au nucléaire un statut de « taxon vert », elle reconnait implicitement que la croissance 100% renouvelable est une dangereuse utopie. Limités à une trentaine de pourcents du mix électrique, les renouvelables intermittents devront inexorablement s’appuyer sur une source pilotable.   

D’autre part, en encourageant chacun à poursuivre son agenda national, elle ne fait qu’accentuer une fracture énergétique déjà béante au sein d’une Europe à la stratégie morcelée.

Mais surtout, elle prend le risque d’accroître de façon significative la dépendance de l’Europe vis-à-vis de ses fournisseurs de gaz, Russie en tête. Dans un contexte énergétique mondial où l’offre gazière ne peut que baisser faute d’investissements dans les nouveaux champs et où la demande ne peut que croître pour appuyer la montée en puissance des renouvelables la stratégie est à haut risque. L’augmentation des prix du gaz atteignant depuis la mi-décembre des niveaux inédits pourraient devenir incontrôlables dans les années à venir sans présager des conflits sociaux que cette situation engendrerait.

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