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L'heure de la RE-mondialisation ? Et s'il était temps d'appuyer sur pause et de réinitialiser les règles du monde construit depuis 25 ans...
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Reboot

Si la mondialisation actuelle échappe en partie au contrôle des gouvernements, certains choix politiques qui ont été faits ont accru les inégalités et appauvri les classes moyennes. La régulation des mouvements de capitaux serait la première étape vers une mondialisation plus inclusive.

Nicolas Goetzmann

Nicolas Goetzmann

 

Nicolas Goetzmann est journaliste économique senior chez Atlantico.

Il est l'auteur chez Atlantico Editions de l'ouvrage :

 

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Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën

Jean-Marc Siroën est professeur émérite d'économie à l'Université PSL-Dauphine. Il est spécialiste d’économie internationale et a publié de nombreux ouvrages et articles sur la mondialisation. Il est également l'auteur d'un récit romancé (en trois tomes) autour de l'économiste J.M. Keynes : "Mr Keynes et les extravagants". Site : www.jean-marcsiroen.dauphine.fr

 

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Atlantico : Depuis la création de l’OMC en 1995, le monde est entré dans une mondialisation d’une ampleur inédite. Toutefois, cette mondialisation connaît des ratés, comme a pu l’indiquer l’économiste de Harvard, Dani Rodrik , qui semble regretter certains choix effectué : "C'était un choix de ne pas s'en tenir à l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce (AGETAC ou GATT) et de mettre sur pied l'OMC, beaucoup plus ambitieuse - et intrusive. (...)  Ce fut le choix des gouvernements d'assouplir la réglementation des transactions financières et de se fixer comme objectif la mobilité transfrontalière totale des capitaux, et ce fut encore un choix de ne pas revenir, pour l'essentiel, sur ces politiques, malgré une énorme crise financière mondiale". Quelles ont été les conséquences de ces choix ?

Jean-Marc Siroën : La mondialisation a commencé au début des années 1970 lorsque le système de Bretton Woods, fondé sur les changes fixes, a été abandonné au profit de changes flottants. En effet, ce changement a permis la libéralisation des mouvements de capitaux quitte à accepter une plus grande volatilité des taux de change. La mobilité du capital a ainsi permis aux pays bénéficiant d’un excédent d’épargne de financer les pays à déficit qui ont trouvé un moyen facile de financer leur déficit budgétaire. La mobilité des capitaux est ainsi, avant tout, la mobilité des titres de la dette publique comme les bons du Trésor. Mais elle soumet  aussi les Etats aux caprices, voire à l’irrationalité, des marchés financiers. Qu’ils perdent confiance dans la solvabilité d’un pays et c’est la crise, comme ce fut le cas pour la Grèce. De fait, la confiance ne se rétablit que par des politiques d’austérité qui peuvent avoir pour effet paradoxal de perpétuer, voire d’aggraver, la crise. Cette mobilité des capitaux a permis d’élargir le champ de la spéculation qui, d’un côté, élargit les inégalités de patrimoine et, d’un autre, fait peser sur l’économie mondiale le risque d’éclatement des bulles spéculatives comme lors de la crise des subprimes.

Ce retour des crises économiques a évidemment pesé davantage sur les plus fragiles, y compris les classes moyennes : déclassement, baisse des salaires, alourdissement de la charge fiscale. Il ne faut pas confondre la transformation en 1995 du GATT en OMC et la libéralisation des échanges qui aurait de toute façon eu lieu. Le choc n’est pas venu de l’OMC, mais du ralliement des pays émergents, au premier rang desquels, la Chine, à des stratégies de croissance par les exportations qui ont contraint les pays développés à s’ajuster, c’est-à-dire à abandonner les activités intensives en travail peu qualifié. Certes, cette ouverture donnait la possibilité de conquérir les nouveaux marchés qui s’ouvraient dans les pays émergents pour des produits exigeants en main-d’œuvre qualifiée et en technologie. Il n’en demeure pas moins que les classes défavorisées et une frange de la classe moyenne ont été laissées sur le carreau alors que les plus qualifiés ont plutôt gagné à cette recomposition. En même temps, la remise en cause de l’ "Etat-providence" empêchait d’aller plus loin dans une redistribution en faveur des "perdants" de la mondialisation. D’où une croissance du chômage dans les pays développés qui n’a pu être atténuée que par une croissance plus forte des inégalités.  

Nicolas Goetzmann : Le premier point à souligner est le paradoxe de la mondialisation. Les 20 dernières années ont été une période de croissance mondiale soutenue, qui a permis la sortie de l’extrême-pauvreté de près d’un milliard de personnes, ce qui est une avancée phénoménale. La mondialisation, en elle-même, ne peut donc être mise en cause en tant que méthode d’élévation générale des niveaux de vie. Le paradoxe est que cette mondialisation s’est diffusée de façon inégale, laissant les classes moyennes et populaires des pays développés sur le bas-côté. Or, ce sont ces mêmes classes moyennes, qui, par leur vote, sont en capacité de mettre fin à ce processus. La question n’est donc pas d’en finir avec la mondialisation, mais de trouver le remède à ce mal qui menace l’édifice, en permettant à ces populations de profiter des bienfaits de la mondialisation.

Concernant la remarque de Dani Rodrik, Il est effectivement possible de scinder la mondialisation en deux sous-parties, entre la libération des flux de biens et services, et celle des capitaux, c’est-à-dire la mondialisation financière. Si la première est, sans équivoque, positive, la libéralisation des flux financiers pose plus de questions. Ce que Rodrik dénonçait d’ailleurs déjà il y a près de 10 ans, en mettant en avant la source de risques qu’elle représentait. Parce qu’une finance mondialisée équivaut à transformer l’économie mondiale en une cordée d’alpinistes. Mais ce risque découle principalement du comportement de certains Etats qui jouent avec le feu, en faisant tout leur possible pour obtenir une balance courante toujours plus élevée, ce qui a pour effet de provoquer, par un effet de cascade, un déversement de capitaux permettant de "sur" financer d’autres pays, ce qui conduit à une situation instable. C’est le cas de l’Allemagne, par exemple, au cours des années 2000, et toujours aujourd’hui, qui abreuvait les pays du Sud de l’Europe de capitaux, comme l’Espagne, le Portugal et la Grèce. Le résultat est connu. L’ouverture aux flux de capitaux n’est pas une mauvaise chose en soit, mais le manque de régulation au niveau international a fait de cette période une sorte de far west financier, où tous les excès ont été possibles. Le problème, sans doute, est que ces excès n’ont pas été payés par ceux qui en étaient à l’origine. En Europe notamment, où les classes moyennes, les classes ouvrières en ont payé le prix, ou, plus géographiquement, par les pays du Sud de l’Europe.

Avec 20 ans de recul, quels enseignements de notre expérience de la mondialisation pourrait-on tirer pour "repartir à zéro" ? Sur quelles bases serait-il imaginable de fonder une nouvelle mondialisation qui profiterait à tous, y compris à ses grands oubliés ?

Jean-Marc Siroën : Je dirais plutôt depuis 40 ans. La crise de 2008 n’a pas conduit à la même révolution idéologique que la crise de 1930 qui avait confié aux Etats la responsabilité de combler les "défaillances" du marché et d’établir un ordre international qui éviterait les politiques d’ "égoïsme sacré". Cet ordre serait fondé sur de grandes organisations multilatérales comme le FMI, la Banque Mondiale et le GATT (devenu l’OMC). Néanmoins, sans "révolution", le G20 a été renforcé avec quelques décisions structurantes sur la supervision financière ou sur l’évasion fiscale. Il faudra sans doute aller plus loin et sortir d’un flou où, par exemple, le FMI peut à la fois imposer des politiques de discipline budgétaire et préconiser des politiques de relance… En ce qui concerne le commerce international, il ne faut pas attendre de nouvelles vagues de libéralisation. Les négociations multilatérales de Doha n’aboutiront pas, faute de consensus –et du désintérêt des Etats-Unis- et même les accords régionaux, transpacifiques ou transatlantiques, ont un avenir très incertain.

Cette pause doit être utilisée pour apaiser les inquiétudes qui font parfois du commerce le bouc émissaire des difficultés, mais elle doit aussi permettre aux pays avancés de repenser leur spécialisation et de consolider leurs secteurs d’excellence. Mais l’affirmation nécessaire d’activités à fort contenu technologique et en travail qualifié ne suffira pas à intégrer les classes délaissées.

Nicolas Goetzmann : Ce que nous avons appris, pour les pays occidentaux, c’est que la mondialisation a conduit à une destruction rapide et conséquente des emplois moyennement qualifiés, et à une stagnation des salaires pour ces mêmes emplois. Le problème est donc évident, et il n’est pas si compliqué que ça à résoudre. Les Etats doivent mener des politiques de plein emploi en donnant les moyens à leurs Banques centrales de soutenir très largement la demande. Si une telle solution conduit à se défaire de l’idée d’une compétition internationale par les coûts, elle aurait pour intérêt de transformer la mondialisation en une compétition sur la qualité et sur l’innovation, ce qui est autrement plus enthousiasmant.

Une telle solution pourrait être mise en place par le G20, en demandant à chaque pays de s’assurer de ce que la croissance de sa demande intérieure soit conforme à son potentiel et que celle-ci soit stabilisée. Cela permettrait à chacun de balayer devant sa porte, et de voir qui joue vraiment le jeu collectif. Car à ce jour, deux pays sont en cause : l’Allemagne et la Chine, qui ont des politiques publiques ayant pour objectif de produire bien plus que ce qu’ils ne consomment. C’est ce déséquilibre qui est une menace. Et pourtant, c’est aussi ce déséquilibre qui est en train de transformer l’Europe toute entière. L’Europe d’aujourd’hui a le même comportement vis-à-vis du reste du monde que celui de l’Allemagne des années 2000. L’Europe, par le biais de l’Allemagne, exporte ses capitaux à l’étranger. A l’inverse, si chaque pays se concentrait sur sa demande intérieure, le risque d’instabilité financière serait alors amoindri, et les classes moyennes commenceront à profiter, en trouvant un emploi, ou en bénéficiant de hausses de salaires.

Toujours selon Dani Rodrik, "Les populistes séduisent parce qu'ils expriment le ressentiment des exclus. Ils proposent non seulement un récit général, mais aussi des solutions qui, pour être fausses et souvent dangereuses, n'en sont pas moins concrètes. Les responsables politiques classiques ne pourront regagner le terrain perdu qu'à condition d'offrir, eux aussi, des solutions – sérieuses". D’un point de vue politique, en France, les différents candidats semblent encore s’opposer sur un discours pro ou anti-mondialisation sous sa forme actuelle. Quels sont les éléments manquants à de tels discours ? Comment réorienter une re-mondialisation pour que celle-ci soit inclusive des classes moyennes ?

Jean-Marc Siroën : Le discours populiste, de droite comme de gauche, a fait de l’anti-mondialisation un des axes principaux de son argumentaire. Le discours s’est même rétréci car il est passé d’un repli sur l’Europe, à un repli sur la nation voire, dans certains pays, sur la région. Mais, à l’opposé, les partis traditionnels évitent de rentrer dans le débat. On paye ainsi l’échec de l’idéologie d’une "mondialisation heureuse" qui ne retenait que les effets bénéfiques de cette évolution en ignorant les laissés pour compte. Puisque, pour une nation, les gains de la mondialisation  l’emportent sur les pertes,  il n’y a pas problème. Ce déni se révèle aujourd’hui catastrophique. Mais il ne faut pas attendre de la mondialisation qu’elle devienne spontanément inclusive. On doit par contre exiger des politiques qu’elles en corrigent les effets indésirables. Le portefeuille d’activités d’un pays doit permettre un certain équilibre entre les secteurs exposés à la concurrence internationale avec des emplois délocalisables et des secteurs "abrités" (ce qui ne signifie pas improductifs) avec des emplois non-délocalisables.

La mondialisation n’explique pas que la France soit régulièrement déclassée par l’OCDE pour le caractère insuffisamment inclusif de son système d’information. Les réformes fiscales successives ont souvent conduit à concentrer la charge des impôts sur les classes moyennes. L’absence de politiques du logement et l’insuffisance du transport urbain ont isolé les classes moyennes, même à revenus relativement élevés. Les exemples pourraient être multipliés…

Nicolas GoetzmannLa mondialisation, sous sa forme actuelle, n’est pas tenable politiquement. Comment croire que les classes moyennes et les classes populaires, en Europe ou aux Etats-Unis, vont continuer à se laisser faire de la sorte ? L’émergence de Donald Trump, de Bernie Sanders, ou des partis populistes en Europe, montrent bien que la fin est proche. De l’autre côté, les partis de gouvernement, notamment en France, refusent de voir tout défaut au système actuel. Et ce, malgré les masses de rapports de recherche économique publiés, se basant sur des périodes suffisamment longues pour être pertinents. Il est ahurissant de ne pas prendre la réalité en compte et de ne pas proposer les ajustements nécessaires pour rendre la situation tenable.

Les Européens sont véritablement un cas d’école dans cette histoire, avec cette obsession de se battre sur des niveaux de salaires, de coût du travail, ou la réduction des dépenses publiques. Avec une telle attitude, la croissance est toujours plus faible au fil des années, avec des entreprises qui n’investissent plus, faute de clients, et donc qui n’innovent plus, qui n’investissent plus. A l’inverse, si chaque pays était "fort" chez lui, si chaque pays soutien sa demande intérieure de façon optimale, alors la compétition ne se fera plus sur les coûts, mais sur la qualité et l’innovation. C’est un cercle vertueux. Les responsables politiques n’en sont pas encore là, ils continuent de débattre avec les anti- mondialisation alors que cela n'a plus de sens. On est passé à autre chose.

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