L’Europe rêvée d’Emmanuel Macron (petite plongée dans la démagogie version centre)<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz, le 28 mai 2024.
Emmanuel Macron et le chancelier allemand Olaf Scholz, le 28 mai 2024.
©Odd ANDERSEN / AFP

Anachronisme

Face à un rapport de force qui ne penche pas en leur faveur, les fédéralistes tendent à penser qu’il faudrait faire les choses malgré les peuples européens, ce qui constitue une forme d’anachronisme.

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

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Atlantico : "Les extrêmes tirent les dividendes de l'Europe sans y avoir contribué", a affirmé Emmanuel Macron, soulignant qu'ils "empochent tout ce qu'elle a de bon et la dénoncent". Dans quelle mesure peut-on éventuellement rejoindre le discours du président de la République, selon vous ?

Raul Magni-Berton : Cette question en soulève deux, en vérité. Le premier point qu’il convient d’aborder c’est que la notion d’extrêmes, telle qu’elle est ici évoquée par Emmanuel Macron, fait l’objet d’un débat de fond entre les différents partis qui composent les familles politiques de l’Union européenne. En quelques mots, certains aspirent à une Europe fédérale, dirigée par un gouvernement européen. Les Etats seraient comparables à ceux qui composent les Etats-Unis, ce qui faciliterait considérablement l’application de politiques spécifiques à l’échelon européen. C’est cela qu’Emmanuel Macron aspire de ses vœux, notamment pour pouvoir mettre en place une politique protectionniste à l’échelle européenne et tout particulièrement sur la question de la défense. L’autre tendance, avec laquelle la première entre en opposition, est celle d’une Europe qui ne demeurerait qu’un accord international entre Etats souverains, capables de décider de leur politique individuelle tout en adhérant à un projet nourrissant leur intérêt.

C’est sur ces bases que s’est construit le débat. Force est de constater qu’Emmanuel Macron a tendance à grimer ses opposants, y compris quand ils sont en simple désaccords, de façon malhonnête. Ce n’est généralement pas idéal pour parvenir à une conversation apaisée. Ceux qu’il désigne comme “les extrêmes”, en l’occurrence, sont favorables à une confédération d’Etats… c’est-à-dire ce qui existe déjà aujourd’hui. Les partis fédéralistes, comme c’est le cas de celui de notre président, souhaiteraient au contraire accroître le poids de l’Union européenne.

Ceci étant dit, il faut aussi préciser qu’il est vrai que les partis d’oppositions – c’est-à-dire ceux qui ne sont pas au pouvoir – multiplient souvent les critiques à l’encontre de l’Union européenne et ne se montrent pas toujours constructifs. Pourquoi cela ? Pour bien le comprendre, il faut réaliser qu’il s’agit de partis qui sont, de facto, exclus du pouvoir. Ils ne sont, pour l’essentiel, pas en mesure de décider des lois qu’il conviendrait de voter et ne proposent qu’un nombre limité de propositions. Dans un système, comme c’est le cas en France, où le gagnant prend tout, l’opposition a toutes les raisons de se montrer irresponsable. L’accusation d’irresponsabilité qui est ici faite est donc un peu facile puisqu’elle est organisée par notre modèle d’exercice du pouvoir. Et ce, quand bien même l’opposition exerce en effet cette irresponsabilité.

Dans leurs discours, les oppositions se montrent très polémiques, très clivantes. Elles ont tout à gagner à ne pas parler du vrai problème, de même que les partis qui exercent, eux, ce pouvoir.

Le discours tenu par Emmanuel Macron ne fait-il pas l'impasse sur une autre démagogie, qui consisterait à faire l'Europe malgré les peuples voire contre eux ?

Cette façon de penser et de faire l’Union européenne, j’ai d’ores et déjà eu l’occasion de l’expliquer dans vos colonnes, correspond à la tradition européenne. L’idée générale, en revanche, a un plutôt mal vieilli : à l’origine, l’idée était effectivement de faire l’Union en dépit des désidératas potentiels des Européens car ceux-ci, en théorie, bénéficieraient de ses avantages financiers et cela achèverait de les convaincre à postériori. Aujourd’hui, la croissance promise n’est plus au rendez-vous et si le projet comporte toujours de nombreux avantages, la croissance n’en fait pas partie.  Du moins, pas dans les pays d’Europe de l’Ouest.

Par conséquent, c’est un discours qui devient de plus en plus difficile à défendre. Plusieurs études d’opinions et autres sondages illustrent d’ailleurs le fait que les Européens auraient tendance à sanctionner la position fédéraliste en cas de référendum à l’échelle de l’Union. 

Dans le Nord de l’Europe, les pays réputés frugaux auraient tendance à la refuser parce qu’ils peuvent se targuer de comptes en ordre et ne veulent pas se laisser entraîner vers le bas par les autres. Ils revendiquent une Europe à la carte et certains n’ont d’ailleurs pas voulu de l’euro comme monnaie, par exemple. 

En France, le débat est moins tranché et les positions souverainistes comme fédéralistes s’affrontent à armes plus égales. Pour autant, le souverainisme apparaît légèrement en avance.

Les pays de l’Est sont très réticents à l’idée d’abandonner leur souveraineté à l’Europe et sont moins nombreux à vouloir la rejoindre quand ils n’ont pas déjà eu l’occasion de gagner ses frontières. 

Dans le Sud de l’Europe, les populations sont généralement plus favorables au fédéralisme, par tradition politique notamment. 

Face à ce rapport de force qui ne penche pas en leur faveur, les fédéralistes tendent effectivement à penser qu’il faudrait faire les choses malgré les peuples européens ce qui constitue, on peut le dire, une forme d’anachronisme. On ne peut pas véritablement employer le mot “démagogie” au sens strict dans la mesure où cela consiste théoriquement à flatter les masses pour gagner leur approbation et qu’il s’agit ici de faire l’exact inverse mais il s’agit indéniablement de vendre un projet dont  on sait qu’il n’est pas tenable politiquement parlant. D’abord et avant tout parce que le système politique de nombreux pays européens contraint leurs dirigeants à faire preuve d’une plus grande écoute des volontés de la population que cela ne peut être le cas en France ! Prenons l’exemple du Danemark, pour ne citer que lui, qui est aujourd’hui dirigé par une majorité socialiste et également confronté à une crise migratoire. La gauche locale a pris la question migratoire à bras-le-corps en réponse aux attentes de la population. Tout pays ayant opté pour une proportionnelle plus représentative de l’opinion de sa population se doit d’être plus réactif que la France à ce sujet.

L’Hexagone, il importe de le rappeler, est l’un des pays dans lequel les représentants du peuple peuvent le plus se permettre de s’affranchir de l’opinion des représentés. Dès lors, même ceux qui pourraient souhaiter vouloir suivre Emmanuel Macron sur cette ligne pourraient se retrouver en incapacité à le faire, faute de disposer des marges de manœuvres nécessaires. Tout ce que peut faire le président, c’est exprimer l’avis de la France, même s’il apparaît très improbable qu’il soit suivi.

Dans quelle mesure peut-on dire de l'Europe rêvée par Emmanuel Macron qu'elle prend en compte la réalité des rapports de force géopolitiques comme des divergences de sensibilité dans l'Union ?

La ligne d’Emmanuel Macron, c’est une évidence, est assez largement minoritaire en Europe ; au moins au regard des opinions exprimées par les différents peuples concernés. Pour l’essentiel, c’est une position qui n’est pas non plus partagée par la majorité des parlementaires européens. Les élus en provenance du Danemark – que nous évoquions précédemment – s’y montrent très opposés. En Allemagne, la question est plus ouvertes, mais il serait malhonnête de dire que le président français se montre très convaincant.

Emmanuel Macron peut tout de même se vanter de bénéficier du soutien des commissaires européens qui travaillent à Bruxelles. Ce n’est guère surprenant puisque, de façon assez mécanique, on aspire généralement à renforcer l’organisation pour laquelle on travaille de sorte à lui permettre de gagner en pouvoir et en capacité à se prononcer sur un maximum de sujets. Il n’est donc pas étonnant d’observer que la Commission européenne est favorable au destin que propose Emmanuel Macron. Mais force est de constater, également, que ce n’est pas la Commission qui gouverne l’Union européenne : ce sont les Etats et le Conseil qui est amené à les représenter.

Peut-on vraiment espérer faire l'Europe sans les Européens ou va-t-on au devant d'un suicide démocratique ?

Faire l’Europe sans les européens, c’est aller au devant d’un suicide démocratique… ou d’un suicide européen. Le Brexit en est le parfait exemple : à force de faire l’Europe sans les peuples, on installe la nécessité d’un choix entre la démocratie ou l’Europe. Et dans ce cas de figure, en témoigne l’exemple britannique, la démocratie tend à choisir le Brexit. Pour éviter d’en arriver là, la situation irlandaise apparaît assez à propos : elle consiste à voter à chaque fois que l’Union européenne prévoit le moindre changement, parce que la Constitution irlandaise impose que chaque changement soit préalablement approuvé par sa population ou qu’il soit refusé dans le cas contraire. L’Irlande bénéficie aujourd’hui d’un grand nombre de clauses de sortie et d’une Europe à la carte… et c’est le pays le plus satisfait de l’Union. De loin.

L’Angleterre a attendu la goutte de trop pour voter et la population, très remontée contre l’Union, a fini par choisir la sortie. L’enseignement que l’on peut en tirer c’est que l’avancée européenne ne peut se faire sans l’aval préalable de la démocratie et que c’est aussi celle-ci qui peut dicter à un éventuel recul du projet européen.

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