Profiter des divisions
L’Europe face à la Chine, quel numéro de téléphone ?
Pékin a beaucoup à gagner des divisions, en se positionnant comme un acteur plus puissant que 27 Etats pris séparément.
Barthélémy Courmont
Barthélémy Courmont est enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lille où il dirige le Master Histoire - Relations internationales. Il est également directeur de recherche à l'IRIS, responsable du programme Asie-Pacifique et co-rédacteur en chef d'Asia Focus. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les quetsions asiatiques contemporaines. Barthélémy Courmont (@BartCourmont) / Twitter
Sophie Boisseau du Rocher
Sophie Boisseau du Rocher est docteur en sciences politiques, chercheure associée au Centre asie IFRI. Elle travaille sur les questions politiques et géostratégiques en Asie du Sud-Est.
Atlantico : La journée d’hier a été marquée par la rencontre entre Emmanuel Macron, Xi Jinping et Ursula von der Leyen. Comment le président chinois profite-t-il concrètement des désaccords entre les Européens, notamment entre la France et l’Allemagne voire avec les pays de l’Est, sur les sujets la concernant (industrie, droits de l’homme, position sur la guerre en Ukraine, etc.) ?
Sophie Boisseau du Rocher :« La Chine est forte de nos faiblesses », écrivions-nous avec Emmanuel Dubois de Prisque dans notre ouvrage sur la sino-mondialisation (Odile Jacob, 2019). Et nos divergences, nos divisions sont autant d'outils qu'elle actionne pour ralentir une puissance européenne qui serait évidemment un obstacle supplémentaire pour déployer son influence. Grâce à une armée d'experts, de diplomates, des services de renseignements omniprésents sur nos territoires, Pékin connaît parfaitement les terrains européens (parfois mieux que nous connaissons nos voisins et partenaires européens) et active les bons arguments là où il faut. Ces arguments vont de l'appui diplomate à l'influence politique aux tactiques commerciales. On l'a encore vu récemment : la Commission européenne a dénoncé les pratiques "déloyales" chinoises à l'appui d'exemples précis. Berlin n'y voyait rien à redire. Dans un contexte économique européen qui s'enlise, le marché chinois apparaît comme un débouché incontournable. Les entreprises allemandes continuent à y investir massivement, aveugles au raidissement des politiques nationalistes chinoises.
Barthélémy Courmont : Les dissonances entre Européens sont multiples, et sont sans doute le principal défi de la construction européenne. La Chine en profite, comme d'autres - on peut citer l'exemple américain sur l'engagement dans la guerre en Irak en 2003 ou le traitement des GAFAM - et derrière un discours qui plaide en faveur d'une Europe puissance, Pékin a beaucoup à gagner des divisions, en se positionnant comme un acteur plus puissant que 27 Etats pris séparément. C'est pourquoi Emmanuel Macron tient à rencontrer Xi Jinping accompagne d'Ursula von der Leyen. Mais cela ne résout pas le problème pour autant, qui n'est pas tant l'attitude de la Chine que la nôtre.
Quelle attitude Xi Jinping adopte-t-il vis-à-vis des Occidentaux depuis le début de la guerre en Ukraine ? Pourquoi ?
Barthélémy Courmont : La Chine refuse depuis deux ans d'être associée au conflit ukrainien, et fut l'un des premiers pays, dès 2022, à appeler en faveur d'un règlement du conflit. Mais dans le même temps, Pékin profite de cette guerre pour renforcer sa coopération avec Moscou, à son avantage. Xi Jinping se montre agacé, à la maniere d'autres dirigeants comme Modi ou Lula, quand les Occidendaux lui demandent de s'engager face à Moscou. Il a d'ailleurs rappelé que cette guerre ne doit pas être un prétexte à l'instauration d'un système de type Guerre froide. Aussi le changement de méthode, visant à prier la Chine d'user de son influence pour persuader Moscou de mettre fin à son entreprise, est bienvenu et peut avoir un impact plus fort.
L’UE et la France ont pressé Pékin de tout faire pour convaincre les Russes de stopper la guerre en Ukraine. Est-ce là une nouvelle preuve de perte d’influence de l’Occident et de l’émergence d’un monde multipolaire ? Comment la Chine pourrait-elle tirer son épingle du jeu ?
Barthélémy Courmont : La perte d'influence a été notable avant même le début du conflit, quand les Occidentaux se sont montrés incapables de le prévenir. Elle est devenue très préoccupante dès lors que la majorité des pays refusèrent de souscrire au régime de sanctions contre Moscou. Alors oui, s'en remettre au bon vouloir d'un régime autoritaire, c'est une nouvelle démonstration de cette perte d'influence. La Chine n'a aucune raison de se réjouir de ce conflit, mais pourrait tirer son épingle du jeu en y apportant une solution. Reste à savoir si Xi Jinping en a la volonté et le pouvoir.
Les Européens ont-ils plus d’atouts que la Russie pour se faire entendre auprès de la Chine ? Sont-ils crédibles aux yeux de Xi Jinping ?
Barthélémy Courmont : Tout dépend de ce que l'on entend par "Européens". Emmanuel Macron est apprécié à Pékin, et sa dernière visite officielle, en avril 2023, a été assez bien perçue. On ne peut pas en dire autant d'Ursula von der Leyen, ou de certains dirigeants européens à qui Pékin reproche d'être trop agressifs. Que dire également de Madame Meloni, qui a annulé l'engagement de l'Italie dans la Belt & Road Initiative, suscitant de vives critiques en Chine. La France est respectée par Pékin, en sa qualité de membre permanent du conseil de sécurité de l'ONU, puissance nucléaire et principale puissance militaire de l'UE. Mais dans une relation asymétrique, et qui nécessite cote français d'associer dans les échanges avec la Chine nos partenaires européens. C'est bien compris du président Macron. Cependant, entre compréhension et capacité à être crédible, il y a parfois un grands écart.
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