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L'Europe : Espoirs et déceptions
©Tobias SCHWARZ / AFP

Le point de vue de Dov Zerah

Cette semaine, Dov Zerah revient sur la nécessité pour l'Europe d'affirmer d’une vraie vision et surtout une réponse aux nombreux défis soulevés par les évènements géopolitiques qui secouent notre continent

Dov Zerah

Dov Zerah

Ancien élève de l’École nationale d’administration (ENA), Dov ZERAH a été directeur des Monnaies et médailles. Ancien directeur général de l'Agence française de développement (AFD), il a également été président de Proparco, filiale de l’AFD spécialisée dans le financement du secteur privé et censeur d'OSEO.

Auteur de sept livres et de très nombreux articles, Dov ZERAH a enseigné à l’Institut d’études politiques de Paris (Sciences Po), à l’ENA, ainsi qu’à l’École des hautes études commerciales de Paris (HEC). Conseiller municipal de Neuilly-sur-Seine de 2008 à 2014, et à nouveau depuis 2020. Administrateur du Consistoire de Paris de 1998 à 2006 et de 2010 à 2018, il en a été le président en 2010.

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Quelques jours après l’invasion poutinienne de l’Ukraine, le mardi 8 mars 2022, j’ai écrit : 

« En quelques jours, Vladimir POUTINE a réussi le tour de force d’

« … Entrainer un sursaut européen, avec une Allemagne qui a pris trois décisions historiques : elle a commencé à remettre en cause son accord gazier avec Moscou ; pour la première fois depuis la fin de la seconde guerre mondiale, a décidé de livrer des armes ; enfin, elle a décidé de consacrer 100 Md€ pour renforcer son armée. La transformation de ce sursaut en affirmation de puissance dépendra de l’origine de ces futurs armements ; seront-ils européens ou américains ? ... »

Aujourd’hui, nous avons la réponse ; ces armes seront américaines. Au-delà du fait qu’elles ne permettront pas de constituer le cœur d’une défense européenne, elles sont un des éléments des mésententes franco-allemandes.

Le discours du chancelier allemand, Olaf SCHOLTZ, prononcé fin août 2022 à Prague pouvait permettre d’entrevoir de vrais progrès européens. Mais, on allait vite déchanter. Pour la 3ème fois, le report sine die du conseil des ministres franco-allemand qui devait se dérouler à Fontainebleau le 26 octobre a été la manifestation éclatante de la crise du couple franco-allemand. Elle porte sur :

  • Les divergences militaires :

  • La création par le chancelier allemand d’un fond de 100 Md€ pour la modernisation et l’équipement de l’armée allemand va se traduire par des achats américains. A contrario, cela dénote un désintérêt allemand pour les programmes européens, comme l’avion Scaf ou le char du futur…

  • La mise en place d’un bouclier anti-missiles avec 14 pays européens, mais sans la France à ce stade, et avec des matériels américano-israéliens.

  • Les conséquences de la dépendance au gaz russe

  • La guerre en Ukraine a entrainé une crise énergétique qui a redonné un regain de jeunesse à l’énergie nucléaire. Les autorités françaises ont remis en cause la lente sortie de cette source d’électricité et lancé un vaste programme de nouveaux réacteurs. En revanche, aucune inflexion n’est apparue du côté de Berlin, même si la durée de vie des trois dernières centrales a été prolongée. Outre Rhin, on n’hésitera pas à recourir au charbon et au lignite pour pallier le manque de gaz russe, sans se soucier des effets négatifs sur l’environnement. L’Allemagne porte une lourde responsabilité dans la crise énergétique, et demain environnementale, sans oublier les conséquences économiques, de l’Europe par ses décisions unilatérales de se mettre dans la dépendance du gaz russe et d’abandonner le nucléaire.

  • Le projet de gazoduc Midcat entre l’Espagne et l’Allemagne en passant par l’Occitanie française souhaité par Berlin alors que Paris préfère un corridor entre Barcelone et Marseille (Barmar) pour pouvoir aussi acheminer de l’hydrogène.

  • Le bouclier tarifaire de 200 Md€ annoncé unilatéralement par le gouvernement allemand pour protéger les opérateurs économiques alors que les capitales européennes auraient souhaité des mécanismes collectifs et solidaires. Par ailleurs, les risques de distorsion de concurrence et de fonctionnement du marché unique suscitent des craintes au sein de l’Union.

  • Le plafonnement du prix du gaz…

Cette situation fait suite à l’accumulation par Berlin de décisions unilatérales depuis une dizaine d’années :

  • La fin de l’énergie nucléaire. Angela MERKEL a fait le choix de la sortie du nucléaire. Quelle en était la raison ? Peut-être à cause du traumatisme occasionné par l’accident de Fukushima ? Certains n’hésitent pas à prétendre que l’objectif était de créer les conditions d’une alliance politique avec les Verts comme alternative à celle avec les socio-démocrates.

En tout état de cause, ce n’était pas une manifestation de la volonté de lutter contre les émissions des gaz à effet de serre ; quel que soit le développement des énergies renouvelables et surtout de l’éolien, l’Allemagne continuera à utiliser des sources d’énergie problématiques en termes environnementaux.

  • Le gazoduc Nord Stream. Décidé par son prédécesseur dans des conditions déontologiques sujettes à caution, Angela MERKEL a confirmé ce choix problématique à plus d’un titre. Il a mis l’Allemagne, et certains pays européens, dans un état de dépendance vis-à-vis de la Russie. Il a fallu l’invasion poutinienne en Ukraine pour mesurer le risque inconsidéré pris par Berlin.

Ces deux décisions ont empêché et empêcheront pendant de nombreuses années l’émergence d’une vraie politique européenne de l’énergie.

  • L’accord passé en mars 2016 par Angela MERKEL avec ERDOGAN qui le charge de retenir les réfugiés sur son territoire en échange de milliards de Bruxelles. Même si elle n’avait pas prévenu préalablement ses partenaires européens, la Chancelière leur a fait accepter ce malencontreux deal. Cet accord est une déclinaison d’une approche mercantile des relations internationales ; payer pour avoir la paix, et ne pas assumer ses fonctions régaliennes de protéger ses frontières. Avec l’impulsion d’Angela MERKEL, l’Europe s’est mise dans un état de dépendance vis à vis d’Ankara.

Dans ce contexte de difficultés du couple franco-allemand, Berlin reproche à Paris son manque d’enthousiasme à l’élargissement aux pays balkaniques. Sans sous-estimer les problèmes de gouvernance et de corruption dans ces pays, tout nouvel élargissement pourrait sonner le glas de toute perspective d’une Europe politique. Personne ne peut contester que l’élargissement aux pays de l’Est européen a profondément perturbé le processus décisionnaire communautaire sans oublier les blocages régulièrement occasionnés par les autorités hongroise et polonaise.

L’attitude française s’explique, se justifie par le risque de blocage complet de la mécanique européenne avec tout nouvel élargissement. Néanmoins, une réflexion approfondie doit être engagée pour trancher si l’Europe politique doit forcément passer par l’Union européenne et s’il ne convient pas de limiter cette dernière à un vaste marché unique et de construire à côté d’autres coopérations.

Peut-on encore poursuivre la constitution d’une Europe politique sans une Europe de la défense, aujourd’hui dans une impasse avec les choix militaires allemands ? La guerre en Ukraine oblige depuis neuf mois à remettre en cause certaines certitudes ou corriger certains choix. ? La peur de la Russie a poussé des pays comme la Finlande et la Suède à demander leur adhésion à l’OTAN ou à s’armer auprès des Américains. Alors qu’elle était en état de « mort cérébrale », l’OTAN est redevenue la seule structure militaire de défense de l’Europe.

La crise entre la France et l’Allemagne survient alors que la récession économique se profile à l’horizon. Depuis 2008-2009, l’Europe a fait face à plusieurs crises, celle des subprimes, des dettes souveraines, de la pandémie… Mais, celle qui se profile est probablement la plus intense depuis celle des années soixante-dix avec les deux chocs pétroliers de 1973-74 et 1979. Au-delà de l’inflation, la remontée des taux d’intérêt, la perturbation des circuits commerciaux mondiaux… le fonctionnement de l’Europe est compliqué avec de nombreux facteurs :

  • La situation précaire du Royaume-Uni avec la valse des premiers ministres britanniques, la cure d’austérité décrétée par Rishi SUNAK, et surtout la difficulté de trouver un modèle économique post BREXIT. Certains Britanniques ont cru qu’un système marqué par le dumping fiscal allait constituer la solution miracle hors de l’Europe. La tentative de Liz TRUSS de procéder à de fortes baisses d’impôts a montré ses limites.

  • Même si la très grande majorité des pays européens soutiennent l’Ukraine, les divisions européennes sont alimentées par le premier ministre Viktor ORBAN qui n’hésite pas à se livrer à « un pur chantage politique à Bruxelles » selon le commissaire européen au Budget après avoir porté atteinte à des droits de l’homme.

  • Enfin, la survenance de la crise franco-italienne a remis à l’ordre du jour le sempiternel sujet des migrants.

Les fractures dans le couple franco-allemand, moteur de la construction européenne depuis soixante ans, ainsi que les divergences entre les trois principaux pays des six fondateurs de l’Europe compliquent l’émergence de consensus, l’affirmation d’une vraie vision européenne et surtout une réponse aux nombreux défis soulevés par les mouvements des plaques tectoniques.

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