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L’euro est largement surévalué et voilà ce que ça nous coûte
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Politique monétaire

Pour de nombreux économistes, l'euro est largement surévalué et les conséquences de cette surévaluation sur l'économie et les exportations françaises sont nombreuses

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega

Don Diego De La Vega est universitaire, spécialiste de l'Union européenne et des questions économiques. Il écrit sous pseudonyme car il ne peut engager l’institution pour laquelle il travaille.

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Atlantico : L’économiste Robin Brooks a partagé un graphique sur Twitter montrant que « L'euro à 1,07 est massivement surévalué ». Qu’en est-il ? 

Don Diego de la Vega : Dans le calcul de la monnaie, il faut calculer une valeur bilatérale, entre l'euro et le dollar par exemple, ainsi que de la valeur de la monnaie sur une base multilatérale, un panier de monnaies. Ce panier est généralement pondéré en fonction des échanges. Dans un panier lié au dollar, cela signifie que l'euro aura un poids plus important que la monnaie du Lesotho, par exemple. Cependant, il faut souligner que ces parités pondérées sont nominales et non réelles. Elles permettent néanmoins de se faire une idée globale de la situation. Actuellement, le dollar est fort, principalement en raison de sa position privilégiée en Occident et de sa création de valeur depuis les 15 dernières années, la valeur étant liée à la rentabilité des capitaux investis. Les entreprises comme Apple, Google, NVIDIA, Tesla et Microsoft ont contribué à renforcer cette position. En considérant cela, on peut se demander quelle devrait être la parité euro-dollar. Ce que cela suggère, bien que ce ne soit pas très clairement indiqué graphiquement, c'est que l'euro a suivi le dollar alors qu'il aurait dû agir différemment. Cela peut s'expliquer probablement par certaines anomalies sur le marché ou par le maintien de taux d'intérêt très élevés en Europe, ce qui empêche l'ajustement nécessaire. Ces facteurs temporaires ou artificiels jettent néanmoins une ombre sur la cherté de l'euro. L'idée principale est que dans un panier de devises élargi, ce qui maintient les choses en équilibre, notamment en empêchant le dollar de devenir trop fort, est le fait que l'euro est en réalité très cher. Cela permet de mettre en évidence que ce n'est pas le dollar qui est faible, bien qu'il soit fort depuis 15 ans, mais plutôt l'euro qui est surévalué. On l’a bien vu, quand le Yen a été lâché il y a dix ans, il a plus ou moins trouvé sa vraie valeur. Ce que ce graphique nous dit c’est que si on lâche l’euro, il va sans doute tomber à 0,80 ou quelque chose de cet ordre. Soit une vraie chute.

Et qu'est-ce que nous coûte un euro surévalué ?

Si on garde le niveau de l'euro actuel, ça signifie qu'on aura plus l'industrie de moyenne gamme. Il restera LVMH qui peut encaisser et où il nous restera un débrouillardise au niveau local, la boulangerie du coin, mais il ne nous restera pas ce qui fait l'industrie de moyenne gamme pouvant aller sur les marchés internationaux, comme l’automobile.

Il faut bien distinguer monnaie forte et monnaie chère. Avoir une monnaie forte c'est bien parce que ça nous rapproche de l'objectif d’une inflation faible mais positive. Le problème d’une monnaie chère c’est que c’est artificiel. Et on croit. Qu'on va se faire les forces de marché, mais en fait, on espace avec force de marcher. SI on garde trop longtemps les taux d'intérêt directeurs, on maintient artificiellement la valeur pratique de nominale de la monnaie.  Plus généralement, on laisse pourrir une situation désinflationniste, voire déflationniste, une sorte de déflation larvée, de japonisation rampante en Europe. 

Ce n'est pas une bonne situation, en particulier pour les dettes, car nous en créons beaucoup. Nous en avons accumulé énormément, mais nous ne pouvons pas les émettre dans un système à la japonaise. On peut clairement voir qu'elles ont été créées de manière irresponsable. Par conséquent, elles vont causer des problèmes majeurs, comme cela s'est produit au Japon. Cela souligne les mauvais choix que nous faisons. Concrètement, nous avons choisi de favoriser le luxe et le local, mais en étouffant les entrepreneurs qui souhaitent exporter dans des secteurs normaux. C'est un choix qui favorise les rentiers et les niches, les pépites. Cela révèle beaucoup de choses sur nos choix et sur le vieillissement de l'Europe. Cela soulève de nombreux problèmes en cascade, d'autant plus insidieux que nous n’identifions pas clairement le phénomène. Cela dure depuis longtemps, en l'occurrence depuis 20 ans, car l'euro cher a commencé en 2003 lorsque la BCE a pris le contrôle de la politique des changes, une responsabilité qui devrait normalement revenir au Conseil des ministres conformément aux traités. Depuis lors, nous avons systématiquement eu un euro trop cher, voire bien trop cher du côté des milieux financiers, et encore assez cher aujourd'hui  par rapport à ce qu’il devrait être dans un monde où le marché pourrait faire normalement son travail.

Quelles sont les conséquences en cascade que vous évoquez ?

Donc, comme je l'ai déjà mentionné, il y a une distorsion sectorielle qui favorise les rentiers par rapport aux entrepreneurs. Le rentier ne se soucie pas beaucoup des conséquences de sa prédation des ressources, car il se complaît dans sa zone de confort. En revanche, l'entrepreneur ne joue pas du tout dans la même catégorie, car il doit se baser sur des marges plus étroites et faire face à une concurrence intense sur certains marchés. Ainsi, lorsque vous avez une monnaie qui est trop chère de 30, 40, voire 50 %, c'est comme si vous vous battiez avec un bras en moins. Par conséquent, les acteurs économiques ne peuvent plus rivaliser donc abandonne. Cela entraîne une raréfaction de l'entrepreneur européen, à moins qu'il ne s'adapte en se positionnant sur des segments haut de gamme, par exemple.

D’autres exemples, lorsque la monnaie est forte, les actifs deviennent coûteux. Ainsi, le coût de la main-d'œuvre, déjà élevé, devient encore plus élevé, de même que le prix de l'immobilier. Nos obligations et nos actions, qui ne sont pas forcément abordables compte tenu de la faible croissance à venir, deviennent également extrêmement chères car elles sont libellées dans une monnaie forte. Par conséquent, nous nous félicitons d'accueillir des investisseurs étrangers ou que 50 % du CAC 40 appartienne à des entreprises étrangères, mais cela serait probablement encore plus élevé si notre monnaie n'était pas si chère. Cela signifie qu'il y aurait davantage d'investissement étranger si notre monnaie n'était pas surévaluée. En résumé, nos actifs ne sont pas très attractifs, du moins pas autant qu'ils devraient l'être. Cela bloque de nombreux phénomènes, pervertit les allocations, les flux de capitaux et les mouvements de main-d'œuvre, et rend les choses plus difficiles. Prenez par exemple la France, dont le PIB par habitant est généralement inférieur à celui de la zone euro, et bien loin du niveau médian américain. Le niveau de PIB par habitant en France est similaire à celui du Mississippi, l'État américain le plus pauvre. Lorsque nous comparons quoi que ce soit, que ce soit le coût du travail, le prix de l'immobilier ou autre, les Français ont tendance à se comparer à Los Angeles, Chicago, New York et Miami, mais ces endroits sont inaccessibles. La moyenne américaine est 80 % supérieure à la moyenne française, ce qui crée un écart énorme. Et si on compare nos coûts au Mississipi, on se rend compte qu’on est cher.

Si notre main-d'œuvre restera chère, on essaie de nous en passer. Si notre immobilier est cher, il n'attirera pas les personnes qu'il devrait normalement attirer, et ainsi de suite. Avoir une monnaie chère présente également des avantages, par exemple, nous payons moins cher nos importations. Pour nous qui ne disposons pas de métaux ou d'hydrocarbures, notre facture énergétique et notre facture de matières premières sont réduites grâce à une monnaie chère. Cependant, cela ne semble pas être économiquement ou écologiquement favorable. 

Qu'est ce qu'on gagnerait à avoir un euro moins cher ?

Plus précisément, qu'est-ce que nous gagnerions en ayant un euro à sa valeur réelle ? Une valeur qui reflète le fait que nous sommes beaucoup moins rentables que les États-Unis, que nous créons moins de richesses, notamment immatérielles, et que nous sommes moins présents dans les secteurs porteurs tels que la haute technologie. Que se passerait-il si l'euro retrouvait sa valeur de marché ? Tout d'abord, nous n'aurions plus autant de distorsions. Par exemple, le biais favorable aux rentiers et défavorable aux entrepreneurs serait idéalement réduit. Actuellement, les parlements nationaux sont favorisés par rapport aux parlements étrangers, et les entrepreneurs en subissent les conséquences massivement. C'est déjà un point important, car cela signifierait plus de justice. Cela enverrait un signal clair que nous ne sommes plus dans une économie qui favorise un groupe spécifique. J'ai peur que l'Europe finisse par s’hispaniser dans une économie basée uniquement sur le tourisme, l'agriculture et d'autres activités très locales et peu diversifiées. Nous deviendrions une économie monotone, peu orientée vers l'innovation et les marchés internationaux, notamment dans le secteur de la haute technologie. Pour lutter contre cela, il y a plusieurs techniques, notamment la formation et le développement du capital humain à long terme. Cependant, pour arrêter l'hémorragie à court terme, il est nécessaire d'accepter la discipline de l'échange avec un euro nettement plus faible pendant un certain temps, afin de nous permettre de retrouver une place sur les marchés mondiaux.

Cependant, je pense que c'est un rééquilibrage nécessaire après 20 années d'une monnaie vraiment chère. Nous constatons à travers de nombreux canaux que l'euro est surévalué. La notion d'équilibre, telle qu'elle nous est présentée, est artificielle et repose sur des calculs théoriques qui n'ont pratiquement pas évolué depuis 20 ans. Le monde a changé, mais notre action et nos cadres intellectuels n'ont malheureusement pas suivi.

La crise de 2008, a agi comme un révélateur. Il suffit de regarder la richesse des ménages des deux côtés de l'Atlantique, la création de valeur, les classements des entreprises. Et nous revivons la même chose avec la montée en puissance de la Chine, notamment dans des domaines qui étaient autrefois le domaine exclusif de l'Europe, comme l'automobile de moyenne gamme. Nous entrons dans un monde où il sera difficile de vendre des machines-outils et des voitures Volkswagen aux Chinois, mais où ce sont plutôt les Chinois qui nous vendront des batteries indispensables à l'automobile moderne. Ce n'est pas du tout le monde que nous avons projeté il y a 20 ans.  Aujourd'hui, les banques européennes ne sont plus compétitives par rapport aux banques américaines, ce qui aurait été considéré comme fou en 2007. L’ensemble du CAC40 vaut à peine plus que les GAFAM, la R&D du CAC40 est à peine meilleure que celle d’Amazon. Il faut un rééquilibrage durable. Cela va avoir un coût, mais c’est nécessaire. 

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