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L'engagement et le compas politique de Mark Zuckerberg, le PDG de Facebook
©MANDEL NGAN / AFP

Bonnes feuilles

Julien Le Bot publie "Dans la tête de Mark Zuckerberg" aux éditions Solin / Acte Sud. Si tout le monde connaît Facebook, qui connaît vraiment Mark Zuckerberg ? Impossible de dissocier l'architecte de son grand oeuvre. Ce livre permet de cerner ce qui anime l'un des créateurs du "capitalisme de surveillance". Extrait 1/2.

Julien  Le Bot

Julien Le Bot

Journaliste branché numérique, auteur/réalisateur de Tous les Internets, une coproduction ARTE/Premières lignes 100% pensée pour mobiles et réseaux sociaux, Julien Le Bot est à l'écoute de la fabrique des contre-pouvoirs, de la société numérique et des innovations dans l'accès à l'information. Consultant pour l'agence de coopération médias CFI (financée par les Affaires étrangères) et pour Samsa.fr, il intervient sur de nombreux chantiers autour des nouvelles écritures en lien avec le numérique. Ex-producteur de l'Atelier des médias de RFI de septembre 2016 à février 2017, Julien Le Bot a également écumé le monde arabe en général et le Proche-Orient où il a notamment animé des hackathons en Afrique, piloté un programme d'innovation dans les médias en ligne pour CFI (#4M Machrek), co-dirigé un projet de long-format en Tunisie avec Inkyfada (sur l'archipel Kerkennah) et participé à des sessions de travail avec des journalistes en Mauritanie, dans le Caucase ou au Pakistan. En 2011, il a co-fondé une petite agence (éditorial + data) s'intéressant à l'info locale. En 2014, il a aussi fait un détour par la Pologne en travaillant sur une enquête avec les dissidents biélorusses de Charter97 et l'équipe de Journalism++, Inside The Belarus Networks. Il a aussi travaillé en qualité de journaliste pour la rédaction web de France 24.

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Mark Zuckerberg a d’ailleurs eu des propos très durs à l’encontre des promesses de campagne d’abord, de la politique anti-immigration du président Donald Trump ensuite. En pleine campagne électorale américaine, il n’a par exemple pas hésité à dénoncer publiquement les ambitions du candidat républicain : “J’entends des voix craintives appeler à la construction de murs et au ralentissement de l’immigration”, avait-il lancé, solennel, aux participants de la conférence F8 d’avril 2016. Avant de tenter d’aligner, quelque part, ce qu’il essaie de faire avec Facebook et ce qu’il faudrait faire à ses yeux pour l’Amérique du XXIe siècle : “Au lieu de construire des murs, construisez des ponts. Et au lieu de diviser les gens, nous pouvons aider à rassembler les gens.” Cet engagement en faveur de l’immigration est sans doute l’aspect le plus saillant de ses prises de position politiques. Et pour le coup, une fois Donald Trump élu, il en a même fait un combat personnel. Qu’il lie directement à son histoire familiale et à celle de son couple. 

“Mes arrière-grands-parents venaient d’Allemagne, d’Autriche et de Pologne. Les parents de Priscilla étaient des réfugiés de Chine et du Viêtnam. Les États-Unis sont une nation d’immigrants, et nous devrions en être fiers”, écrit-il le 27 janvier 2017. Et ce post est loin d’être passé inaperçu : 753 000 réactions, 34 000 commentaires, et près de 100 000 partages. Mark Zuckerberg ne cache pas les raisons de sa colère et de cette soudaine mise en perspective personnelle : “Comme beaucoup d’entre vous, je suis préoccupé par l’impact des récents décrets signés par le président Trump.” Le jour même, le président américain vient en effet de signer un décret controversé à l’encontre des ressortissants de sept pays musulmans et des réfugiés en général. Intitulé “Protéger la nation contre l’entrée de terroristes étrangers aux États-Unis”, le décret interdit à l’époque toute entrée sur le territoire américain, avec effet immédiat et ce pendant quatre-vingt-dix jours, aux ressortissants de 7 “pays à risques” (“countries of concern”) : le Yémen, l’Iran, la Libye, la Somalie, le Soudan, la Syrie et l’Irak. Il bloque également pendant quatre-vingt-dix jours les entrées de réfugiés provenant de ces pays. Les réfugiés syriens sont quant à eux définitivement interdits d’entrer sur le territoire américain. Last but not least, le texte bloque le processus d’admission des réfugiés du monde entier pendant cent vingt jours au moins. Pour Mark Zuckerberg, ce texte n’apporte pas de réponse satisfaisante aux enjeux de sécurité mis en avant par le président Trump. Mais surtout, les États-Unis vont y perdre leur âme. Et tourner le dos à leur propre histoire : “Nous devons […] garder nos portes ouvertes aux réfugiés et à ceux qui ont besoin d’aide. C’est ce que nous sommes. Si nous avions refusé d’accueillir des réfugiés il y a quelques décennies, la famille de Priscilla ne serait pas ici aujourd’hui.” Les États-Unis ont toujours su intégrer celles et ceux qui voulaient “contribuer” à la construction et la vie de ce pays en s’installant sur son territoire. Pour autant, Mark Zuckerberg est assez habile. Et profite de l’occasion pour rappeler que tout n’est pas perdu. Que le président peut encore intervenir sur un autre dossier chaud qui lui tient à cœur, celui des dreamers (“ces immigrants qui ont été amenés aux États-Unis par leurs parents alors qu’ils étaient très jeunes”) : “À l’heure actuelle, 750 000 dreamers bénéficient du programme DACA [un dispositif datant de 2012, mis en place par l’administration Obama] qui leur permet de vivre et de travailler légalement aux États-Unis. J’espère que le président et son équipe maintiendront ces protections en place.” Et le milliardaire de s’engager à continuer de suivre cette question de très près, en qualité de philanthrope, avec l’équipe de FWD.US, une ONG qu’il a cofondée en 2013 avec nombre de dirigeants de la Silicon Valley se battant pour la régularisation des travailleurs immigrés. En tout et pour tout, si l’on se base sur les Zuckerberg Files, Mark Zuckerberg s’est prononcé publiquement 10 fois au moins en faveur des dreamers. Avec des propos toujours sans ambiguïtés : “Je suis aux côtés des dreamers ”, déclarait-il par exemple, en août 2017. Avant d’accueillir quelques semaines plus tard, chez lui, trois dreamers pour qu’ils puissent raconter leur histoire dans le cadre d’un Facebook Live diffusé sur sa propre page Facebook. 

Mark Zuckerberg est dans ce perpétuel pas chassé : protéger Facebook des assauts républicains, mais continuer d’afficher ses convictions, comme il l’a toujours fait. En avril 2011, Barack Obama, en campagne pour un second mandat, n’a d’ailleurs pas hésité à aller au siège social de Facebook à Palo Alto pour parler d’économie, de technologie et d’innovation. Une visite accueillie non sans sympathie réciproque : “Je m’appelle Barack Obama, et je suis le type qui a réussi à faire porter une veste et une cravate à Mark”, avait-il lancé à l’assistance, en ouverture de cette réunion publique. Exact : Mark Zuckerberg avait bien troqué son accoutrement habituel pour deviser devant des salariés de Facebook littéralement enchantés, avec le président démocrate en lice pour un second mandat. En dehors de ses prises de position publiques régulières sur la question des dreamers et de son soutien au président Obama, il faut faire un bond dans le temps, ensuite, pour entendre Mark Zuckerberg discourir franchement sur les questions politiques. 

À Harvard, la tradition veut que l’université invite chaque année des personnalités pour qu’ils adressent un discours d’adieu aux jeunes diplômés qui s’apprêtent à partir conquérir le monde. Son idole Bill Gates l’avait fait, pourquoi pas lui ? En mai 2017, c’est donc au tour de Mark Zuckerberg à Harvard. Pour l’occasion, il ressort sa cravate bleue, son costume et se lance tambour battant dans un discours d’une trentaine de minutes. Le public, autour, est sur son trente et un. Les hommes ont dégainé le haut-de-forme, les femmes ont des chapeaux, il pleut, mais l’humeur est bonne et Mark Zuckerberg a des choses à dire. “Je suis honoré d’être parmi vous aujourd’hui car, je dois le confesser, vous avez accompli quelque chose que je n’ai pas su faire. Et si j’arrive au bout de ce discours, ce sera bien la première fois que je termine quelque chose à Harvard !” Rires dans l’assistance. Puis il raconte. Souvenirs de jeunesse. Anecdotes estudiantines. 

Progressivement, il adopte un ton plus grave et parle de ce qu’il a vu, ces dernières semaines, au cours de son Listening Tour, ce grand tour des États-Unis qui a parfois été considéré comme une précampagne électorale pour une hypothétique candidature, en 2020, de Mark Zuckerberg à l’élection présidentielle. Ce qu’il en retient, c’est que les États-Unis ne sont plus ce qu’ils étaient. “Quand nos parents ont reçu leur diplôme, leur but dans la vie venait, de manière simple, de leur travail, de leur Église, de leur communauté. Mais, aujourd’hui, la technologie et l’automatisation détruisent de nombreux emplois. Le nombre de membres diminue dans toutes les communautés. Beaucoup de gens se sentent déconnectés et déprimés et tentent de remplir un vide.” Il est urgent de redonner des perspectives aux individus. Il évoque donc ceux qui ont été lâchés par le système scolaire, les drogués aux opioïdes ou encore ces ouvriers qui ne retrouveront plus jamais de travail à l’usine parce qu’elle a fermé. “Pour que notre société puisse aller de l’avant, nous avons un défi générationnel : non seulement créer de nouveaux emplois, mais aussi redonner un sens à nos objectifs.” Quand Mark Zuckerberg a lancé Facebook à Harvard, dit-il, il pensait qu’un jour, quelqu’un saurait “connecter le monde entier”. Et puis, à mesure qu’il développait sa propre plateforme, il a eu comme une intuition (“c’était tellement évident”) : tout le monde veut être connecté. Donc il l’a fait, “jour après jour”. S’il l’a fait, ce n’était pas pour avoir sa propre “entreprise”. Ce qu’il voulait, c’était “avoir un impact”. Et “changer la façon dont nous apprenons des choses sur le monde”. 

Il repart ensuite sur son diagnostic : “Notre génération devra faire face à des dizaines de millions d’emplois qui seront supprimés par l’automation” : il faut donc se retrousser les manches pour réinventer un monde où chacun aura sa place. Mark Zuckerberg regarde son public et se lance dans une mise en perspective historique : “Chaque génération a eu ses grands travaux. Plus de 300 000 personnes ont travaillé pour réussir à mettre un homme sur la Lune. Des millions de volontaires ont vacciné des enfants dans le monde entier contre la polio. Des millions de personnes ont construit le pont Hoover et d’autres grands projets. Ces projets n’ont pas juste donné un but aux personnes qui les réalisaient, ils ont donné au pays tout entier la fierté d’être capable de faire de grandes choses.” Et nous, “qu’est-ce que nous attendons ?”. Mark Zuckerberg n’a aucun mal à lister quelques-uns des combats qui comptent pour lui : il évoque la lutte contre le changement climatique, mais aussi la recherche médicale pour lutter contre les maladies rares, la démocratie (qu’il est urgent de “moderniser”) et l’éducation, qui doit pouvoir s’appuyer sur les technologies pour s’adapter aux besoins de chacun des enfants… Son appel, c’est du Mark Zuckerberg tout craché : il n’est pas de problème sans solution. La société américaine n’est pas au mieux de sa forme ? “On peut réparer ça”, insiste-il. D’ailleurs, il faut commencer par redéfinir “l’égalité des chances”. Et ne plus se baser sur l’expérience de nos aînés : “Beaucoup de nos parents ont eu des emplois stables tout au long de leur carrière. Maintenant, nous sommes tous des entrepreneurs […]. Et c’est génial. Cette culture de l’entrepreneuriat, c’est grâce à cela que nous faisons tant de progrès.” Le XXe siècle était flâneur et salarié. Le XXIe siècle sera entrepreneur et créatif. Et Mark Zuckerberg de multiplier des exemples pour appuyer son propos : “Facebook n’a pas été la première chose que j’ai construite. J’ai également développé des jeux, des forums en ligne, des outils pédagogiques et des lecteurs de musique. Je ne suis pas le seul. Les manuscrits de J. K. Rowling ont été rejetés 12 fois avant que ne soit publié Harry Potter. Même Beyoncé a dû faire des centaines de chansons avant de réussir avec Halo. Les plus grands succès proviennent de cette liberté de se tromper.” L’échec est la clé du succès. L’audace passe par le crash. Il faut pouvoir l’encaisser pour capitaliser dessus. Justement, le problème, c’est qu’aujourd’hui, “nous avons atteint un niveau d’inégalité” qui pénalise tout le monde. Et ça commence par la question du coût de l’enseignement supérieur aux États-Unis. “Avouons-le. Il y a quelque chose qui ne va pas dans notre système quand je peux partir d’ici et gagner des milliards de dollars en dix ans, alors que des millions d’étudiants n’arrivent même pas à rembourser leurs emprunts.” Il est là, l’enjeu du moment : il faut adapter notre conception de l’égalité au but que l’on se fixe. 

Chaque génération, développe-t-il, a eu sa conception de l’égalité. “Les générations précédentes se sont battues pour le droit de vote et les droits civiques. Ils ont eu le New Deal et la Great Society. Le moment est venu de définir un nouveau contrat social pour notre génération.” Pour Mark Zuckerberg, cela peut désormais passer par exemple par “un revenu universel”, par une prise en charge de la petite enfance, par un accès aux soins aussi large que possible, et par une éducation tout au long de la vie. Ses propositions ne détonnent pas tellement, du côté de la Silicon Valley qui, obsédée par la robotisation et l’intelligence artificielle, s’intéresse depuis des années à l’idée d’un revenu minimum d’existence censé compenser la disparition de millions d’emplois. Si les entrepreneurs bousculent notre vieux monde, il est normal qu’ils paient pour nous aider à bâtir le monde qui vient, où chacun doit pouvoir poursuivre ses propres projets et où les meilleurs créeront les emplois de demain : “Oui, donner à chacun la liberté de poursuivre son propre but n’est pas gratuit. Les gens comme moi devraient payer pour cela.”

Extrait du livre de Julien Le Bot, "Dans la tête de Mark Zuckerberg", publié aux éditions Solin / Acte Sud

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