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L'ENA, une pépinière des serviteurs de l’État devenue une business school
©Eric CABANIS / AFP

Bonnes feuilles

Le recrutement des nouvelles élites de l’État semble évoluer de manière accélérée. Certains d'entre eux quittent provisoirement le service de l'État pour rejoindre des grandes entreprises, des banques ou des cabinets de conseil, comme l’illustrent le parcours d’Emmanuel Macron lui-même et celui de plusieurs des membres de son cabinet. Extrait de "Où va l'Etat ?" de Pierre Birnbaum, aux éditions du Seuil (2/2).

Pierre Birnbaum

Pierre Birnbaum

Pierre Birnbaum, professeur émérite à l’Université Paris 1 Panthéon-Sorbonne, est l’auteur de nombreux ouvrages.

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Reste que, de nos jours, l’ambition originelle de l’ENA, son exceptionnalisme lié à la centralisation à la française, son statut dans l’accélération de la carrière des hauts fonctionnaires qui n’a guère d’équivalent à l’étranger risquent de se trouver remis en question. Dans l’optique gaulliste de l’État fort, elle devait constituer la pépinière des serviteurs de l’État. Pour certains chercheurs, l’École se rapproche désormais d’HEC et des grandes écoles de commerce. Dans ce sens, «même si la majorité de ses anciens élèves ne va pas travailler dans une entreprise, l’ENA doit aujourd’hui être considérée comme une business school ». De manière plus précise, et c’est l’essentiel, 60% des pantoufleurs, entre 1960 et 1990, proviennent seulement de cinq corps: le Conseil d’État, l’inspection des Finances, la Cour des comptes, le ministère de l’Intérieur et le ministère des Finances; et parmi ces derniers, c’est « le corps de l’inspection des Finances qui doit être considéré comme une véritable business school ». De nombreux travaux ont mis eux aussi l’accent sur ce phénomène du pantouflage, qui concerne surtout certains grands corps de l’État.

En 2017, la chose paraît, pour certains, définitivement entendue, l’ENA s’est éloignée de sa mission d’origine, celle de former les cadres supérieurs de l’État, de recruter de manière méritocratique, et donc en dépit des inégalités d’appartenances sociales, des serviteurs dévoués au seul service public. Pour beaucoup, non seulement l’origine sociale la plus favorisée joue un rôle déterminant dans le succès au concours externe de l’ENA mais, en outre, les carrières des anciens élèves orientées durant les premières décennies vers le seul service public se diversifient de plus en plus, s’ouvrant surtout vers les entreprises privées. Comme l’observe Luc Rouban, «on passe du cadre supérieur au service de l’État finissant chef de service au dirigeant “multicartes” passant d’un service à un cabinet puis à un établissement public pour aller en entreprise… et revenir avant de repartir pour passer sa retraite comme président d’une banque d’affaires ».

Cette transformation radicale ne touche pas autant les grandes masses d’administrateurs civils puisque, sur l’ensemble de la période, depuis sa création jusqu’en 2015, 80 % des élèves poursuivent une carrière exclusivement administrative, tandis qu’au contraire 55% des inspecteurs des Finances pantouflent dans les affaires, surtout dans le secteur financier mais aussi dans l’immobilier, les assurances et le monde industriel, avant de revenir pour l’immense majorité d’entre eux au sein de l’appareil étatique. Ce pantouflage des inspecteurs des Finances survient de plus en plus tôt dans la carrière, quelques années après la sortie de l’ENA, et le fait d’être passé par une grande école commerciale ne peut que le favoriser. Il se réalise de plus en plus sans transition, comme autrefois, par un cabinet ministériel, et, après environ cinq années en entreprise privée, il est suivi d’un retour au sein de l’État.

Extrait de "Où va l'Etat ?" de Pierre Birnbaum, aux éditions du Seuil

"Où va l'Etat ?" de Pierre Birnbaum

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