L’emprise asphyxiante des grands corps de l’Etat s’est renforcée avec le quinquennat Macron<!-- --> | Atlantico.fr
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Une membre du personnel soignant prépare une injection du vaccin contre la Covid-19.
Une membre du personnel soignant prépare une injection du vaccin contre la Covid-19.
©Christophe ARCHAMBAULT / POOL / AFP

Un nouveau monde furieusement proche de l’ancien

Le manque de réactivité de l'administration lors de la mise en place de la stratégie vaccinale montre l'incapacité de l'exécutif à la contrôler.

Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : Lors de la première conférence de presse de l’année, Jean Castex a dénoncé haut et fort les "polémiques stériles" sur la vaccination. N’est ce pas un moyen de se décharger de la responsabilité de la lenteur de la politique vaccinale ?

Chloé Morin : De quelles polémiques parle-t-on ? Des élus locaux qui, constatant la lenteur de la vaccination, ont mis à disposition de l'Etat des locaux, des frigo etc. à l'image de ce qu'a pu proposer le maire de Cannes cette semaine, de ce que la Maire de Paris a pu proposer, ou de ce qu'ont proposé de nombreux présidents de régions? Des scientifiques, chercheurs, médecins qui, à l'image d'Axel Kahn, ont dénoncé la lenteur de la stratégie vaccinale ? Toutes ces personnes, et bien d'autres, ne font pas de "politique politicienne": ils alertent, ils proposent, ils veulent que notre pays réussisse... Il est frappant de constater à quel point, depuis le début de cette crise, le gouvernement se prise d'énergies qui pourraient être constructives, de relais de terrain qui auraient pu lui permettre de mieux relayer sa politique, et qui auraient également pu lui servir de capteurs pour anticiper les problèmes se posant sur le terrain... La démocratie, rappelons-le, c'est bien le débat! On ne peut pas constamment opposer à ceux qui alertent, ou à ceux qui ont des avis divergents, un "circulez, il n'y a rien à voir", les disqualifier en les traitant de "politiciens". Il ne peut pas y avoir des controverses légitimes, en temps de paix, et des controverses sales et politiciennes en temps de guerre : la démocratie, c'est tout les jours, ou alors ce n'est pas du tout...

Pour résumer, il me semble que cet argument gouvernemental est inutile, voire dangereux, car il donne le sentiment d'un gouvernement sourd aux critiques, déconnecté, qui préfère s'en remettre à des entreprises privées pour faire la stratégie plutôt que de faire jouer les mécanismes normaux de la démocratie, écouter le terrain..... Il aurait bien plus intérêt à s'expliquer, et s'appuyer sur toutes les bonnes volontés d'où qu'elles viennent - cela permettrait en outre de prendre les "politiciens", car il y en a, évidemment, à leur propre piège...

Le manque de réactivité de l’administration lors de la mise en place de la stratégie relative aux vaccins est-elle due à un problème interne ou à une incapacité de l'exécutif à la contrôler ?

Depuis quelques mois, nous découvrons avec stupéfaction les dysfonctionnements administratifs. Bureaucratie tatillonne, Etat fort avec les faibles et faible avec les forts, langage incompréhensible... Tout cela va appeler des réformes en profondeur - les mêmes qui avaient été promises par le candidat Macron. Mais en l'espèce, pour les vaccins, il me semble que les flottements que nous avons constatés (car il est bien trop tôt, à mon sens, pour parler de fiasco ou d'échec, les jugements définitifs sur le sujet me paraissent prématurés) découlent avant tout de choix politiques délibérés. Il y a bien sûr des absurdités, auxquelles notre administration nous a trop habitués : après le guide de reprise scolaire qui, au mois de mai, faisait plus de 60 pages, les directeurs d'EHPAD ont droit au guide de 45 pages pour savoir comment organiser la vaccination... Les juristes insistent aussi, notamment en droit social, sur les changements continuels de dispositifs pour les entreprises par décret. Ce qui était possible hier devient impossible aujourd'hui ou vice versa. L'Administration semble ignorer ce que cela impose aux employeurs, qui n'ont pas de conseillers juridiques en permanence avec eux. C'est une source d'incompréhension, de ras le bol. D'autant plus par exemple que l'on sait que certains chefs de services de la fonction publique ont eu du mal à accepter le télétravail qui était imposé par le Gouvernement.  Nous méritons sans doute, de ce point de vue, le nom "d'absurdistan" dont Die Zeit  nous a récemment affublés. 

Mais si l'on revient au coeur du problème, que reproche-t-on au gouvernement? Une stratégie vaccinale beaucoup plus lente que chez nos voisins. Or, c'est le gouvernement lui-même qui, en décembre, a choisi et assumé le chemin de la lenteur, essentiellement afin de ne pas "brusquer" une opinion en partie rétive aux vaccins. Le gouvernement n'a pas anticipé que, dès qu'ils verraient nos voisins s'engager sur la course aux vaccins, nos concitoyens seraient nombreux à changer d'avis et à souhaiter une "libération" hâtive (nous l'avions écrit dès le 27 décembre, avec Adrien Abécassis, dans PAris Match). Donc c'est le gouvernement qui a fait le choix de la lenteur, et qui a été pris en défaut d'anticipation. Même si, évidemment, l'Administration a sans doute informé, et influencé, ce choix, elle n'a ici pas la responsabilité première. Nous sommes dans la même dynamique que pour les masques... où le Gouvernement a commencé par nous dire que c'était inutile, avant de l'imposer. Comment mieux amplifier les réticences, les hésitations du public ? 

Dès lors, il est pour le moins étonnant de voir Emmanuel Macron exprimer sa colère, dans les colonnes du Journal du Dimanche. La France est un des pays du monde où la décision, en matière de gestion de la crise sanitaire, est la plus concentrée : tout ce qui compte est décidé en conseil de défense. Lorsque le Président  Macron exprime sa colère, il dit donc soit que la stratégie vaccinale n'a pas été décidée par lui, ce qui compte tenu de l'importance de l'enjeu me paraît étrange, soit qu'il a pris des décisions hier avec lesquelles il se trouve aujourd'hui en désaccord... dans les deux cas, cette communication me paraît dangereuse pour lui. Et, si ses décisions ne sont pas mises en oeuvre, alors où sont les sanctions à l'égard des principaux fautifs ?

Pourquoi Emmanuel Macron, au lieu d’afficher sa colère dans les médias quant à la vaccination, n'a-t-il pas depuis le début de son quinquennat ou du moins celui de la crise sanitaire, fait les réformes nécessaires à l’administration pour éviter ces déconvenues ?

Le candidat Macron se voulait disruptif. Il l'a été d'abord à l'égard du droit du travail, pour insuffler encore plus de "souplesse", c'est-à-dire d'insécurité. Il l'a été sur le plan fiscal, avec la fin de l'ISF... C'est vrai. Une disruption qui fait penser à un héritage politique d'Outre Manche par certains aspects. Quant à la haute administration - que je distingue du reste des fonctionnaires -, il faut être clair : il l'a en fait renforcée. D'abord en limitant les cabinets ministériels à 10. Je sais que c'est très populaire de dire que ces cabinets-là sont pléthoriques... Mais la vérité est que les Conseillers sont ceux qui peuvent justement guider et contrecarrer l'administration. Ils arbitrent. Si vous les noyez, ce qui a été fait, alors vous laissez le pouvoir d'arbitrage à l'Administration, qui, contrairement aux élus, n'a pas de légitimité populaire. Dans un de ses livres, Bruno Le Maire a expliqué qu'un ministre n'est au courant que de ce qui lui est remonté. Si vous enlevez des canaux de contrôle politique - et c'est à cela que sert un cabinet -, alors vous affaiblissez les ministres. C'est ce qui s'est passé. Il y a quelques mois, le Président a décidé d'augmenter le nombre de conseillers par ministre. C'est bien, mais le pli a été pris.

La question des personnels recrutés est aussi très importante. Si vous ne recrutez que des gens qui pensent la même chose, et qui ont les mêmes parcours, alors il n'y aura pas de débat sur les réformes. Les Grands corps d'Etat sont de ce point de vue encore plus puissants aujourd'hui que sous François Hollande et Nicolas Sarkozy, ce dernier ayant fini par abdiquer la réforme car il n'y parvenait pas. Je crains qu'il ne soit désormais trop tard pour faire une telle réforme dans ce quinquennat. On ne réforme pas l'Administration sur un coin de table, cela mérite un débat - c'est précisément ce débat que je tente d'ouvrir avec mon livre, "Les Inamovibles de la République". Ce sera, j'en suis convaincue, l'un des sujets incontournables de la campagne électorale. Or, s'il n'a pas tenu ses promesses en la matière, le Président Macron ne sera pas le plus légitime dans l'opinion sur ce sujet.

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