L’électorat de droite est-il vraiment aussi allergique au libéralisme et au libre-échange que le croient les dirigeants LR ou RN ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Politique
François-Xavier Bellamy et Jordan Bardella lors d'une réunion avec des représentants du Medef à Paris, le 18 avril 2024.
François-Xavier Bellamy et Jordan Bardella lors d'une réunion avec des représentants du Medef à Paris, le 18 avril 2024.
©GEOFFROY VAN DER HASSELT / AFP

Valeurs libérales

De nombreux électeurs de droite attachés aux valeurs du libéralisme ont été surpris de voir les Républicains voter comme la gauche en se positionnant contre le CETA. De son côté, Jordan Bardella peine toujours à convaincre les petits patrons.

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton

Raul Magni-Berton est actuellement professeur à l'Université catholique de Lille. Il est également auteur de notes et rapports pour le think-tank GénérationLibre.

 

Voir la bio »
Xavier Dupuy

Xavier Dupuy

Xavier Dupuy est politologue, spécialiste de l'opinion. Il s'exprime sous pseudonyme.

Voir la bio »

Atlantico : Selon un sondage de l'IFOP pour L'opinion et la Fondation Concorde, 70% des sondés sympathisants LR disent aimer le libéralisme, 57%  jugent que la politique d'Emmanuel Macron n'est pas assez libérale, 49% estiment que l'Etat est trop protecteur en matière sociale et 49% des sondés ayant une proximité avec LR considèrent que leurs libertés individuelles se sont affaiblies. Est-ce que ces chiffres ne traduisent-ils pas une déconnection entre les dirigeants LR et les électeurs LR sur le libéralisme ? Les électeurs LR n'aspirent-ils pas à plus de libéralisme ?

Xavier Dupuy : En plus du libéralisme, les électeurs LR sont très attachés à la liberté. Le poids des impôts et le poids des contraintes pèsent énormément pour eux. Lorsque l'on soumet le terme libéralisme dans un sondage, cela fait appel chez les électeurs de droite à la liberté mais cela ne recouvre pas forcément le libre-échange ou la mondialisation.

Les électeurs de droite classique sont très attachés à la liberté, la liberté de l'enseignement, la liberté d'entreprendre, la liberté de travailler plus.

La droite reste attachée très fortement à tout ce qui concerne les libertés. Après, lorsqu'on décline par exemple, le cas du CETA, est-ce que l'électorat va interpréter cela comme plus ou moins de liberté à cause du fait que le CETA n'a pas été approuvé par la majorité sénatoriale ? Je ne suis pas sûr que les électeurs considèrent que cela soit une atteinte au libéralisme.

En revanche, l'électeur de droite peut interpréter comme une atteinte aux libertés le fait qu’une personne souhaite travailler 50 heures par semaine et que la réglementation impose de ne pas dépasser 48 heures. Certains citoyens pourraient percevoir cela comme une atteinte à leur liberté.

Les dirigeants des Républicains et du RN ont-ils l'impression que parce que les citoyens ont douté de la mondialisation et des réalités économiques de ces 20 ou 30 dernières années, ils seraient moins enclins à apprécier les valeurs de liberté ou du libéralisme ? Dès qu'ils se prononcent sur le capitalisme, sur l'entreprise ou sur l'Etat, les citoyens de droite ne sont pas du tout étatistes, contrairement aux lignes politiques des partis. Est-ce finalement une erreur d'analyse ou de vision politique de la part des dirigeants politiques de droite ?

Xavier Dupuy : L'électorat de droite, comme ses dirigeants, sont favorables à la liberté et au libéralisme, en revanche ils souhaiteraient que ce libéralisme soit encadré. Parce que s'il est encadré dans certains cas et pas dans d'autres, il y a toujours un perdant à l'arrivée. L'entrepreneur ou l'agriculteur européen se retrouve souvent sanctionné.

Le décalage entre les aspirations des électeurs de droite et les décisions des dirigeants RN ou LR n'est-il pas lié au fait que le RN et LR n'ont pas l'air d'arriver à comprendre la différence ou la distinction qu'il y a entre la financiarisation d'un capitalisme mondialisé et le libéralisme ? Pourquoi les citoyens sont-ils plus lucides sur ces enjeux que les dirigeants politiques ?

Xavier Dupuy : Le vrai problème est qu’en France, il y a une culture de l'Etat qui est très forte, qui remonte à Louis XIV, à Napoléon. Le rôle et la place de l'Etat ont toujours été prépondérants, même si des fractions non négligeables des Français peuvent rejeter l'Etat et notamment son intervention dans l'économie. Mais les Français vont se retourner vers l'Etat à la moindre difficulté.

Le rôle de l'Etat a toujours été très puissant dans notre pays. Certaines grandes entreprises industrielles ont d’ailleurs souvent eu à leur tête d'anciens hauts fonctionnaires.

Selon les résultats de différentes enquêtes d'opinion dont la vague 6 de l'étude "Les Français et le libéralisme" (Ifop, mai 2023) et "La société idéale aux yeux des Français" (Ipsos, mars 2023), les dirigeants du Rassemblement national sont en total décalage avec les aspirations des électeurs du RN. 61 % des électeurs du RN jugent que la politique d'Emmanuel Macron n'est pas assez libérale. 59 % des sympathisants du RN souhaitent que l'État dépense moins d'argent dans les services publics. Comment expliquer ce décalage entre les dirigeants des partis politiques de droite (LR et RN) qui sont un peu anti-libéraux avec le rejet du CETA et du libre-échange alors que les électeurs, eux, sont plus favorables aux valeurs libérales ?

Xavier Dupuy : En réalité, la majeure partie de l'électorat libéral du parti LR a quitté Les Républicains pour aller vers le vote Renaissance. Les électeurs LR restants sont nettement moins libéraux qu’auparavant. Le même phénomène s'est produit avec le Rassemblement national ou une fraction de l'électorat, la partie libérale du Front national, s’est rassemblée autour de la candidature d'Eric Zemmour et de Reconquête. Une petite fraction de l'électorat libéral LR est allé aussi vers Reconquête.

Il y a eu une modification du corps électoral. Les Républicains ont perdu une fraction de leur électorat libéral vers la macronie d'un côté et vers Reconquête. Quant au Rassemblement national, une partie est allée vers Reconquête. Même si les sondages apportent un éclairage sur les aspirations libérales des électeurs de droite, il faut être très prudent par rapport aux questions posées. En abordant le thème de la fonction publique, les réponses pourraient être bien différentes et montrer un autre visage des électeurs LR et RN avec une vision anti-fonctionnaires. Dès lors qu’une question porte sur le poids de la fonction publique, il est possible d’avoir des réponses qui donnent l'impression que les électeurs sont libéraux.

80 % des électeurs du RN disent ne pas aimer l'Etat providence. 75 % disent ne pas aimer l'Etat et 57 % des électeurs du FN estiment que gagner de l'argent devrait être un objectif beaucoup plus valorisé. Est-ce que là aussi, il n'y a pas une évolution au sein de l'électorat sur ces tendances ?

Xavier Dupuy : Dans une partie non négligeable de l'électorat RN, il y a un rejet de la façon dont la France est gérée. Si on demande aux citoyens s’ils sont favorables au fait que l'Etat intervienne moins, ils vont répondre favorablement. Mais s’ils sont intéressés par la nécessité de baisser l'indemnisation chômage des personnes de plus de 55 ans, la réponse ne va pas être aussi élevée que cela.

Le programme économique du RN n’a pas toujours été très lisible. Il a pu fluctuer en fonction des aspirations de ses électeurs. Marine Le Pen a notamment défendu la retraite à 60 ou 62 ans. Son électorat adhère majoritairement. Pourtant dans son électorat, elle a une fraction d'artisans et de commerçants qui savent pertinemment qu'ils n'auront jamais droit à la retraite à 60 ou 62 ans.

Les propositions faites par le RN sur l'aspect économique sont des choses assez simplistes. Les économies à réaliser reposent notamment sur la lutte contre l’immigration clandestine. Dans le détail des mesures qui sont prises, le bénéfice est très difficile à chiffrer.

Dans quelle mesure Les Républicains ont-ils été fragilisés en raison de leur positionnement sur le CETA, le traité de libre-échange qui n'a pas été voté par LR, et également lors du débat de la réforme des retraites ? Ces deux mesures libérales n'ont-elles pas un peu fragilisé la crédibilité de LR auprès de l'électorat et des aspirations libérales des citoyens ?

Raul Magni-Berton : Les Républicains se retrouvent pris en étau entre le parti d’Emmanuel Macron et le Rassemblement national. Pour mobiliser les électeurs ou récupérer certains citoyens partis vers Emmanuel Macron, les idées libérales, le CETA et des mesures sur l’immigration pourraient être des atouts pour Les Républicains. La question des frontières reste aussi un enjeu important. D'un point de vue stratégique, l’électorat aux sensibilités libérales hésite entre la droite et Emmanuel Macron. Beaucoup d'électeurs du parti LR ont voté pour Emmanuel Macron au premier tour de la présidentielle et sont revenus vers Les Républicains aux législatives. Il y a cette dimension libérale dans cet électorat qui est évidente et qui attache aussi une grande importance à la thématique de l'immigration.

Concernant les retraites, il y avait une hésitation et une intense réflexion. N'importe quel parti libéral serait tenté de mener cette réforme. Mais d’un autre côté, Les Républicains n’ont pas été très impliqués dans le projet de réforme. Ils ont été mis dos au mur. La réforme des retraites a été portée directement par le gouvernement et ensuite Les Républicains ont été consultés et se sont prononcés sur ce projet.

Cela n’a pas été une procédure de type libéral dans le sens politique avec notamment de véritables négociations. Le libéralisme repose aussi sur une division des pouvoirs qui est aujourd'hui difficile à faire. Les Républicains n’ont pas été en mesure de négocier, d’imposer des amendements majeurs ou de dispositifs inédits au cœur de la réforme. LR se sont même retrouvés du côté d'une réforme qui passait en force.

Xavier Dupuy : La grande majorité des citoyens est un peu dépassée par les enjeux liés au CETA. Le vote n’est pas forcément déterminé sur ce critère-là. Je ne pense pas qu'un vote sur sur cet élément va avoir une influence déterminante. En revanche, cela envoie un signal sur le fait que le parti de droite en France n'accepte plus le système du marché sans contrainte et sans limite.

Au vu des études sur les Français et le libéralisme ou à travers les chiffres évoqués précédemment sur le RN, y a-t-il une forte aspiration aux idées libérales chez ces électeurs de droite qui ne se retrouvent pas dans les programmes chez LR et le RN ?

Xavier Dupuy : Les citoyens en France, contrairement à d'autres pays, sont nettement moins attachés aux idées et aux valeurs libérales en politique. Cela ne veut pas dire que ces électeurs ne sont pas pour la liberté, le libéralisme ou la mondialisation. Mais ces thématiques sont en recul au niveau de l'aspiration majoritaire des Français. Lorsque l'on interroge les Français par rapport à d'autres pays, même dans l'électorat de droite, les citoyens français de droite sont favorables à un interventionnisme de l'État dans des proportions bien plus fortes que dans les autres pays.

Si une partie du « virage libéral » était menée par le RN ou LR, ces deux partis pourraient-ils regagner la confiance des électeurs partis chez Renaissance ou Reconquête ?

Xavier Dupuy : Le problème que peut avoir la droite est que le principal élément déterminant du vote n’est plus fondamentalement l'économie ? Autant il y a 40 ans, le pouvoir d'achat, le chômage, les inégalités sociales étaient des thématiques prégnantes qui déterminaient le vote. Aujourd'hui, vous pouvez avoir un bas salaire et voter à droite. Il y a 40 ans, les classes populaires votaient plutôt à gauche. Les catégories plutôt socialement favorisées votaient à droite. Aujourd'hui, tout est chamboulé parce que les déterminants de vote ne sont plus les mêmes. Lorsque vous interrogez des citoyens dans certains quartiers populaires, ils vont placer la sécurité en priorité avant le pouvoir d'achat.

Au regard des sondages pour François-Xavier Bellamy, tête de liste LR pour les européennes, il y a une forme de stagnation. Les Républicains restent à 7 %. Ils ne progressent pas malgré une campagne de qualité. Est-ce qu'il n'y a pas un problème de base sociologique, concernant les cadres ou les retraités chez Les Républicains ? Est-ce que ce parti n'arrive plus à se situer idéologiquement ? Revenir aux idées libérales pourrait-il permettre de récupérer les électeurs libéraux partis chez Emmanuel Macron ? 

Raul Magni-Berton : Les élections européennes ne sont pas une rampe de lancement pour Les Républicains. Ce scrutin, surtout à mi-mandat, réussit toujours à l’opposition. Or, Les Républicains sont dans l'opposition mais ils sont les moins opposants des opposants. LR est le parti pivot sur lequel le gouvernement va pouvoir s'appuyer souvent. Les scores au niveau des européennes vont être très fortement conditionnés par ce poids.

Les Républicains n'arrivent plus à atteindre des scores dignes de ses standards habituels. La question est de savoir où est-ce qu’il doit gagner des électeurs s’il doit s'améliorer. Tenter de conquérir les électeurs d’Emmanuel Macron et se tourner vers les électeurs aux aspirations libérales est un avantage et pourrait être bénéfique pour Les Républicains. C'est là qu'il y a le plus de voix à gagner.

Comme une grande partie des électeurs LR sont partis chez Emmanuel Macron, l'équilibre par rapport au parti républicain et à la majorité présidentielle s'est déplacé automatiquement et mécaniquement vers la droite conservatrice plutôt que vers le libéralisme. Les personnes ayant émergé dans ce contexte sont des politiciens, des stratèges avec des convictions. Avec la migration d'une partie des libéraux vers en marche, LR est devenu un parti plus décalé et avec des positions moins libérales. 

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !