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L’économie française ralentit. Faut-il ralentir les réformes ?
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Mal économique et surtout psychologique

Quand la croissance économique ralentit, il faut préciser ce que l’on veut, le dire, l’expliquer et cesser de rêver d’être gentil pour tous.

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Non surtout pas, mais il faut cesser de s’éparpiller, d’ouvrir un « dossier » par jour, même important (prisons, Europe, francophonie…), d’inquiéter pour rien (quotient familial), de faire des promesses sur des assouplissements futurs (demi-part des veuves) ou la répartition d’une « cagnotte » imaginaire… Autrement, la popularité du Président ne cessera de baisser (57% d’opinions défavorables aujourd’hui), ce qui freinera les réformes ou les égarera, pour « plaire » ou « apaiser ».

Quand la croissance économique ralentit, il faut préciser ce que l’on veut, le dire, l’expliquer et cesser de rêver d’être gentil pour tous. Les réformes profitent à tous, bien sûr, mais à très long terme, en augmentant la croissance potentielle : c’est toujours ce qu’elles veulent faire. Autant le dire, et donc l’annoncer : il faut plus de personnes en France qui travaillent dans le privé, plus et mieux formées, plus orientées vers l’exportation. Donc à court terme, il y aura des perdants - ceux qui ne s’adaptent pas assez vite - et des gagnants – les autres !

Oui la croissance ralentit en France, pour de nombreuses raisons. La première, majeure, est mondiale et dépend largement de ce qui se passe, venant des États-Unis, et plus nettement de Donald Trump. Les tensions qu’il fait naître : guerres fiscales, douanières, monétaires, notamment entre États-Unis et Chine, mais aussi Europe, Canada, Mexique…  troublent les esprits, les décisions d’investir et d’embaucher, la bourse…

La deuxième raison, temporaire et psychologique, du ralentissement est liée à la séquence des réformes d’Emmanuel Macron lui-même. Oui, il faut rééquilibrer la CSG et faire que son taux monte au détriment des retraités : le taux plus bas du début venait du temps où la pension moyenne était plus faible que le salaire moyen. Il s’agissait alors de taxer moins les revenus faibles des retraités, mais tel n’est plus le cas. La crise a pesé sur les salariés, notamment les jeunes, alors que les clauses de calcul (surtout) et d’indexation des pensions ont soutenu les retraites. Certes, le plan Macron prévoie une baisse des impôts locaux en fin d’année, mais c’est loin. Le mal économique et surtout psychologique est fait.

Le mal économique d’abord. L’Insee le dit dans sa note de conjoncture : « Début 2018, certains indicateurs de climat (des affaires) ont cessé de progresser, notamment dans l’industrie et le commerce de détail, d'autres se sont repliés, dans les services, le bâtiment et le commerce de gros… » Au premier trimestre 2018, les revenus d’activité augmentent, selon l’Insee, de 0,9% contre 0,6% fin2017, soutenus par la baisse des cotisations sociales (-8,5%) mais alourdis (+9,6%) par la CSG des retraités. Il en résulte un ralentissement du revenu nominal à 0,2%, face à une accélération de l’inflation (0,7% avec tabac et alcool), donc une baisse du pouvoir d’achat du revenu disponible brut de -0.4% au premier trimestre. Bien sûr, tout le monde ne fume pas ou ne boit pas, mais le résultat macroéconomique est là, et c’est la CSG politique qui est vue comme coupable !

Un « ralentissement Macron » se met en place dans les esprits, à partir de ses choix fiscaux de rééquilibrage des comptes et des fiscalités. Il l’assume et dit qu’il faut attendre. De fait, l’Insee annonce un rebond du revenu au deuxième trimestre : +0,9%, et Bercy nous parle de septembre, avec la baisse des impôts locaux qui fera remonter les revenus.

Mais, dans l’esprit des Français, un euro versé en plus par baisse des charges sociales entraîne peu de remerciements : il est « mérité ». En revanche, un euro en moins est immédiatement et lourdement ressenti : « c’est une injustice ». On peut répéter que la hausse de la CSG en janvier sera compensée par la baisse des impôts locaux en octobre, les français ne font pas ce calcul. Réformer, c’est gérer des calendriers de dépenses et de recettes en fonction d’objectifs clairs et palpables !

Certes, ce ralentissement est, pour l’instant tout relatif. Le climat des affaires en France, à 109 en février 2018, a perdu 3 points depuis décembre dernier, tout en restant nettement supérieur à sa moyenne de longue période (100). Et il n’est pas isolé. En Europe, l’indice Markit qui combine services et secteur manufacturier s'établit à 56,2 en mars, contre 57,3 en février : ici aussi c’est toujours bien, mais moins.

Ce ralentissement, qui est plus dans les têtes que dans les faits, envoie un signal salutaire : la réforme inquiète, comme toute réforme. Elle fait monter les tensions et assombrit l’horizon. Il faut donc être plus précis sur ce qu’on veut et arrêter la cacophonie des annonces en les alignant derrière un seul objectif : plus de croissance potentielle. C’est ainsi qu’on comprendra mieux ce qui se prépare sur l’école, l’apprentissage, la fiscalité, l’Europe, la SNCF ou encore les privatisations… Il faut aussi être plus précis sur la transformation de l’État et des collectivités publiques grâce à la digitalisation, vraie façon de diminuer les dépenses et donc de gager la baisse de l’impôt. On aura reconnu « l’économie de l’offre », qui permet seule « l’économie de la demande ».

Bien sûr, réformer n’est jamais facile en France. Bien sûr, les choses sont plus faciles si l’économie est fringante et si l’opposition politique est faible et divisée, les Français se disant alors qu’il n’y a pas d’alternative. Ces trois conditions étaient réunies lors de l’élection d’Emmanuel Macron, moins l’économie aujourd’hui, mais les oppositions sont éparses. Elles se disent alors qu’elles laissent au Président le travail de réformes, sur le mode Schröder qui a tant profité à l’Allemagne et à Angela Merkel !

Emmanuel Macron a compris le piège du « réformateur pour compte d’autrui ». Mais si rien ne change dans la méthode, nous n’en avons pas fini des projets, discussions, rapports et lois, avec leurs cortèges de tensions et de mouvements médiatiques et sociaux. Au détriment de la croissance.

Où est donc l’objectif ? Toujours s’adapter au monde tel qu’il est  devenu : celui des grandes économies, États-Unis et Chine, bientôt Inde et Nigéria, en donnant corps à l’Europe. Il ne s’agit pas d’inégalité, de vert, de santé animale… mais de regarder le réel. Il ne s’agit même pas de « prendre de l’avance », mais de rattraper le retard.

Chic, l’économie française ralentit : on va pouvoir être sérieux !

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