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L’autre visage de Chicago, lieux des adieux officiels d’Obama
©Reuters

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Barack Obama a choisi Chicago pour faire ses adieux. C’est là où il a commencé. C’est aussi là où il a le plus échoué en tant que président. Car sur le front des relations raciales - dont Chicago est un exemple symptomatique - l’Amérique a régressé en huit ans.

Gérald Olivier

Gérald Olivier

Gérald Olivier est journaliste et  partage sa vie entre la France et les États-Unis. Titulaire d’un Master of Arts en Histoire américaine de l’Université de Californie, il a été le correspondant du groupe Valmonde sur la côte ouest dans les années 1990, avant de rentrer en France pour occuper le poste de rédacteur en chef au mensuel Le Spectacle du Monde. Il est aujourd'hui consultant en communications et médias et se consacre à son blog « France-Amérique »

Il est aussi chercheur associé à  l'IPSE, Institut Prospective et Sécurité en Europe.

Il est l'auteur de "Mitt Romney ou le renouveau du mythe américain", paru chez Picollec on Octobre 2012 et "Cover Up, l'Amérique, le Clan Biden et l'Etat profond" aux éditions Konfident.

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Barack Obama a choisi sa ville adoptive de Chicago pour faire son discours d’adieu. Il quittera la Maison Blanche le 20 janvier, après huit ans et deux mandats présidentiels, et comme le veut une tradition américaine récente il s’est autorisé à dresser  lui-même le bilan de son action… 

Ce choix de Chicago devait servir à souligner l’importance de "l’engagement civique". C’est en effet dans cette métropole des bords du lac Michigan, que Barack Obama a commencé sa carrière politique comme "community organiser", c’est-à-dire animateur de quartier, le plus bas échelon du service public aux Etats-Unis.   

Mais Chicago est aussi la ville américaine qui a détenu en 2016 le triste record de la plus forte progression de la criminalité et du plus grand nombre de fusillades, ayant fait sept cent soixante-deux tués et près de quatre mille blessés.  Le seul mois d’août 2016 a vu 90 morts par balles, soit trois par jour. Une hausse de 70%  par rapport à 2015. Alors même que l’ensemble de la criminalité a, au contraire, continué de baisser aux Etats-Unis et se trouve à des niveaux historiquement bas. 

Par contre depuis 2015, les homicides par armes à feu ont connu une progression quasi exponentielle dans certaines agglomérations comme Los Angeles, Charlotte, Washington D.C., Baltimore, ou autres… Dans ces zones, les crimes violents ont augmenté, parfois de 20% et plus.  Outre les causes structurelles, qui tiennent à un contexte socio-économique très difficile, les causes ponctuelles sont la guerre des gangs et une présence policière moindre.  De quoi souligner un des échecs les plus patents du président sortant. Sur le plan des relations raciales et du sort de la communauté noire, Obama laisse l’Amérique en moins bon état qu’il ne l’a trouvée.  

Un incident récent, survenu à Chicago le 3 janvier est révélateur de ce mal profond. Un incident que les médias, américains et internationaux, se sont bien gardés de mettre en avant. Quatre personnes noires, deux hommes et deux femmes, âgés d’une vingtaine d’années, ont torturé un jeune handicapé mental blanc, aux cris de  "les blancs  enc…lés" et "Donald Trump   enc…lé". Ils ont filmé eux-mêmes leurs actes et s’en sont vantés en postant la vidéo sur les réseaux sociaux… les garçons tenaient le couteau, poussés au crime par les exhortations des filles…

Les média ont évoqué ce crime en termes feutrés. Ne mentionnant d’abord  l’appartenance ethnique, ni de la victime, ni des criminels. Devant la presse, le chef de la police de Chicago n’a pas parlé de "crime raciste" ! Evoquant plutôt les "divagations" de quelques jeunes en manque de repères… Quant au président  Obama, il a parlé d’un "crime de haine méprisable" (pas d’un crime raciste) qu’il a  replacé  dans le contexte des brutalités policières…

Imagine-t-on un instant  le tollé, pas seulement en Amérique, mais en France et partout dans le monde,  si le même incident avait eu pour victime un noir et comme auteurs de jeunes blancs criant "Obama enc…lé" et "Noirs enc…lés".  Pas difficile de se figurer les Unes et les tartines des journaux, radios et chaines infos sur l’Amérique blanche raciste etc. Mais en l’occurrence c’est le silence et la dissimulation qui ont prévalu ici "pour ne pas envenimer encore les choses…".

L’incident rappelle néanmoins qu’en huit ans les relations raciales se sont considérablement dégradées aux Etats-Unis. Ceux qui imaginaient que l’élection de Barack Obama précipiterait l’avènement d’une Amérique "post-raciale" se sont lourdement trompés. 

Les raisons de cet échec sont en fait fort simples. Elles tiennent à la désillusion ressentie par la communauté afro-américaine au lendemain de 20 janvier 2009 quand sa situation économique et sociale ne s’est pas trouvée fondamentalement améliorée par l’entrée d’Obama à la Maison Blanche. De même que le monde entier avait placé des espoirs immodérés dans le président Obama, certains noirs ont pensé que leur condition allait comme miraculeusement changer. Mais ce ne fut pas le cas. En partie parce qu’un tel changement ne se décrète pas. Et en partie parce que Barack Obama a agi comme le  "président des Etats-Unis", c’est à dire le président de tous les Américains, ainsi que le veut la fonction, et non pas comme le "président des noirs américains", ainsi que l’auraient souhaité certains. 

Plusieurs incidents particuliers - notamment l’affaire Treyvon Martin du nom de cet adolescent tué par un vigile hispanique, que la justice refusa ensuite d’inculper de meurtre - ainsi que plusieurs épisodes de brutalités policières montées en épingle par les médias au-delà du raisonnable, ont contribué à instaurer un sentiment d’amertume, d’injustice et même de défiance, vis-à-vis de la communauté blanche, qui a produit les tensions aux quelles l’Amérique est désormais confrontée. 

Dans le même temps, les polices municipales se sont largement désengagées des centres villes et des quartiers noirs – à la demande des organisations sociales et d’associations radicales telles que Black Lives Matter qui dénonçaient leur présence comme une forme de provocation. Le résultat a été que le terrain laissé libre par la police a été immédiatement envahi par les criminels avec les résultats que l’on a pu observer… 

Le vrai problème est beaucoup plus profond. Il tient à l’environnement socio-économique de la communauté noire. Mais ce sujet là non plus, personne ne veut le confronter car il impose de reconnaître l’échec des politiques menées depuis trente ans et donc des gens qui ont mené ces politiques. Or ces gens sont toujours en place, au sein du système judiciaire, au sein du système d’aide sociale, au sein des administrations locales, au sein des universités et bien sûr au sein des médias.  

Sortir le sous-prolétariat noir du cycle de la pauvreté et de la criminalité qui le mine depuis des décennies sera l’affaire d’une génération, ou de même de plusieurs générations. Il passera par une recomposition du paysage social, et notamment une reconstruction de la cellule familiale comme délibérément détruite aujourd’hui (7 naissances sur 10 dans la communauté noire sont le fait de mères célibataires ! Dans l’affaire de torture de  Chicago l’une des criminelles, une femme de 24 ans, est la mère, non mariée, de deux enfants en bas âge). Il passera par le rejet, et non la célébration comme c’est le cas aujourd’hui,  de groupes radicaux, comme Black Lives Matter, dont les postures sont systématiquement hostiles et bâties sur la volonté de "faire payer" les blancs pour tous leurs crimes  passés - réels et imaginaires - à l’égard des noirs… 

Toutefois le sujet est encore trop tabou et trop sensible pour qu’il puisse être affronté sans détour. Comme le souligne Heather Mc Donald auteur du livre "The War on Cops" (la guerre contre les flics) "l’establishment détourne les yeux devant toutes les manifestations de racisme anti-blanc chez les noirs. Le racisme des paroles de  rap est largement ignoré."

Mais la réalité de Chicago est aussi là. Et en politique, comme les deux mandats de Barack Obama l’ont démontré, les bons sentiments ne suffisent pas. 

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