L'ancêtre des Experts à Miami : Ambroise Paré, le père de la chirurgie moderne<!-- --> | Atlantico.fr
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Ambroise ¨Paré, le père de la chirurgie moderne.
Ambroise ¨Paré, le père de la chirurgie moderne.
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Bonnes feuilles

Les séries télévisées ont fait des experts de la médecine légale de véritables héros cathodiques. Mais l'histoire de ceux qui ont voulu combattre le crime par la science ne date pas d'hier. Cette discipline a été sublimée à travers les âges par certaines personnalités brillantes, notamment Ambroise Paré. Extrait de "Une histoire de la médecine légale et de l'identification criminelle" aux éditions PUF (1/2).

Roger Dachez

Roger Dachez

Né en 1955, Roger Dachez est professeure à l'université Paris-Diderot. Il est également président de l'institut Alfred Fournier et l'auteur de nombreuses publications. En collaboration avec Alain Bauer, il a écrit Les Promesses de l'Aube et Une histoire de la médecine légale et de l'identification criminelle

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Alain Bauer

Alain Bauer

Alain Bauer est professeur de criminologie au Conservatoire National des Arts et Métiers, New York et Shanghai. Il est responsable du pôle Sécurité Défense Renseignement Criminologie Cybermenaces et Crises (PSDR3C).
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Ne restait qu’aux barbiers de l’empire et du reste de l’Europe à se mettre au diapason de ce code de procédure novateur. Car l’on va vite se rendre compte combien les questions médicales revêtent une importance capitale dans la plupart des procès criminels où la parole de l’expert, bien plus que celle de l’inquisiteur, va s’avérer cruciale. La Renaissance ne sera pas seulement celle de l’art et de la culture mais aussi celle de la science et des techniques. Même si ce nouvel état d’esprit atteint plus tardivement la France, c’est sous le règne de François Ier que la médecine judiciaire à proprement parler va définitivement s’installer dans le cours de la justice, sous l’impulsion de celui que l’on considère comme le père de la chirurgie moderne : Ambroise Paré.

Né sous le règne de François Ier, Ambroise Paré mourra à l’âge de quatre-vingts ans sous celui d’Henri IV, en 1590, après avoir servi pas moins de six monarques qui ne manquent pas à l’époque – où son sens inné de l’observation et son insatiable curiosité vont faire merveille, à commencer sur les champs de bataille.

Après trois années d’études à l’Hôtel-Dieu à côtoyer « tout ce qui peut être d’altération et maladies au corps humain », le compagnon chirurgien Ambroise Paré s’attache au service du lieutenant général d’infanterie René de Montjean, en 1532. Il va pouvoir mettre à profit sur les champs de bataille cette phrase qu’il a l’audace de prononcer devant ses maîtres : « Ce n’est rien de feuilleter les livres, de gazouiller, de caqueter en chaire de la chirurgie, si la main ne met en usage ce que la raison ordonne. » Ce sera chose faite dès son baptême du feu, à la bataille du Pas-de-Suze où il pratique la première « désarticulation du coude ». Il y découvre également, contrairement à ce que l’on croyait jusqu’alors, que la poudre de ces armes nouvelles que sont les arquebuses n’empoisonne pas les blessures.

De pratique, le jeune Ambroise Paré ne va pas en manquer sur ces théâtres d’opérations sanglants où il va parfaire sa technique et inventer de nombreux instruments. Mais, surtout, il va révolutionner la technique de l’amputation. Au lieu de cautériser la plaie au fer rouge ou à l’huile bouillante pour combattre l’hémorragie – au risque de tuer le blessé dans d’insoutenables douleurs –, Ambroise Paré met au point la ligature des artères. Avec succès. Ce sera notamment le cas au siège de Damvillers où l’un des gentilshommes de l’armée du comte de Rohan sera sauvé grâce à cette nouvelle méthode.

Fort de cette expérience accumulée sur les champs de bataille, Ambroise Paré publie, en 1545, La Méthode de traiter les plaies faites par les arquebuses et autres bastons à feu, et celles qui sont faites par la poudre à canon suivi d’un Traité sur l’accouchement et l’anatomie. Puis il enchaîne les campagnes dans le sillage d’Antoine de Bourbon, roi de Navarre, puis d’Henri II et Charles IX, sans jamais se départir de son sens aigu de l’observation animé par cette obsession d’améliorer le sort de ses semblables. Ainsi, en 1557, au siège de Saint-Quentin, il relève que les asticots d’une mouche aident à la cicatrisation des plaies, l’asticothérapie n’est pas une nouveauté mais elle était tombée dans l’oubli et on doit à Ambroise Paré de l’avoir redécouverte. Elle est aujourd’hui utilisée contre les souches nosocomiales, notamment de bactéries, et évite l’utilisation systématique des antibiotiques.

À l’aube de sa cinquantaine, la réputation d’Ambroise Paré dépasse les frontières d’une France toujours à feu et à sang, bientôt plongée dans une guerre de Trente ans entre catholiques et protestants à laquelle il n’échappera pas. entre-temps, il attire l’attention des puissants, comme Catherine de Médicis qui le nomme premier chirurgien de Charles IX. Il continue de publier des livres, somme de plus de vingt-cinq années de pratiques, notamment son Anatomie universelle du corps humain. En 1564, il publie Dix livres de la chirurgie. Avec le magasin des instruments nécessaires à icelle. On peut y découvrir le premier usage connu du mot « bistouri » dans le sens chirurgical.

Ambroise Paré n’est pas seulement un praticien génial à qui la médecine doit des pas de géant, il doit être également considéré comme le « Père de la médecine judiciaire ».

Dans son Vingt-huitième livre traitant des rapports et du moyen d’embaumer les corps morts, écrit Alexandre Lacassagne, on y trouve, tout d’abord le résumé des signes permettant d’affirmer le degré de gravité des blessures, l’exposé très judicieux des symptômes qui font reconnaître si un corps a été jeté vivant ou mort dans l’eau, une étude développée sur l’asphyxie par la vapeur et fumée de feu de charbon ». On y voit aussi les règles à suivre pour la recherche de la virginité et pour la constatation de l’impuissance « tant de l’homme que de la femme ».

Il faudrait joindre à ce chapitre ceux qui ont trait à la communication des maladies contagieuses (de la grosse vérole, de la lèpre), aux coups et blessures (plaies par arquebuses et bâtons à feu), aux empoisonnements (livre des venins). L’œuvre de Paré contient d’ailleurs des modèles de rapports, qui ne seront guère dépassés par les auteurs français du XVIIe siècle. Ambroise Paré est véritablement le Père de la médecine judiciaire.

Avant de découvrir ces modèles de rapports, voici les préceptes du maître à ses élèves. Dans son livre vingt-septième intitulé Des rapports, Ambroise Paré s’adresse ainsi aux futurs praticiens :

Il reste à présent à instruire le jeune chirurgien à bien faire rapport en justice, lors qu’il y sera appelé soit pour la mort des blessés, ou impotence, ou dépravation de l’action de quelque partie.

En ce qu’il doit estre caut, c’est-à-dire ingénieux à faire son pronostic, à cause que l’événement des maladies est le plus souvent difficile, ainsi que nous a laissé par escrit Hippocrate au commencement de ses aphorismes, à raison principalement de l’incertitude du sujet sur lequel l’art de chirurgie est employé. Mesme le premier et principal point est, qu’il ait une bonne âme ayant la crainte de Dieu devant ses yeux, ne rapportant les playes grandes petites, ny les petites grandes par faveur ou autrement : parce que les jurisconsultes jugent, selon qu’on leur rapporte.

Viennent ensuite les modèles de rapports dans lesquels Ambroise Paré apparaît bel et bien comme un médecin légiste, traquant chaque indice, se livrant à l’art de la déduction afin de débusquer les causes de la mort ou d’une blessure avec, toujours, l’ambition d’éclairer la justice :

Exemple de rapport d’un enfant estant estouffé. Il y a grande apparence que le petit enfant mort aura été estouffé par sa nourrice, qui se sera endormie sur luy en l’allaitant, ou autrement par malice, si ledit enfant se portoit bien, bouche et nez pleins d’escume : s’il a le reste de la face non palle et blaffarde, mais violette et comme de couleur de pourpre : si ouvert est trouvé avoir les poumons pleins comme d’air escumeux

Exemple d’un rapport de méhaing [...] par le commandement de monsieur le Procureur du Roy, me suis transporté en la maison de monsieur [...] sur lequel j’ay trouvé une playe à la jointure du jarret dextre, de grandeur de quatre doigts ou environ, avec incision des cordes ou tendons qui plient la jambe, ensemble incision des cordes ou tendons qui plient la jambe, ensemble incision de veines, artères et nerfs.

Au moyen dequoy est ledit tel en danger de mort, pour les accidents qui en telles playes viennent le plus souvent, comme extrême douleur, fièvre, inflam mation, aposteme, convulsion, gangrène et autres. Parquoy a ledit tel besoin tenir bon régime et estre bien et duement pansé et médicamenté : et où il eschappera de la mort, à jamais demeurera vray, tesmoing mon seing manuel cy mis le jour [...].

Extrait de "Une histoire de la médecine légale et de l'identification criminelle" d'Alain Bauer et Roger Dachez, aux éditions PUF, 2015. 

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