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L'ambition secrète de Laurent Berger, l'homme qui essaie de sauver la loi El Khomri…
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Atlantico Business

Laurent Berger, le patron de la CFDT, a tout fait pour sauver une réforme du Code du travail qui soit compatible avec les intérêts des salariés et ceux de l'entreprise.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Laurent Berger, le secrétaire général de la CFDT, restera dans la petite histoire du quinquennat, comme celui qui aura tenté de sauver la seule loi véritablement réformiste en réparant les arrogances du gouvernement Valls.

Le secrétaire général de la CFDT est devenu un personnage incontournable dans la vie socio-économique de la France d'aujourd'hui pour une seule raison. Il a réussi dans le monde syndical ce que François Hollande a raté avec le parti socialiste.

Alors que le président de la République a perdu sa majorité alors qu'il pensait naïvement qu'elle le suivrait sur le chemin de la social-démocratie conjuguée à une économie sociale-libérale, Laurent Berger, lui, a réussi à conserver une ligne très réformiste, avec une politique sociale qu’il a voulu compatible avec les contraintes de la modernité.

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Mieux que de conserver un positionnement fidèle à ses valeurs d'adaptation, il a réussi à protéger son audience dans les entreprises et surtout à la renforcer dans le secteur privé. Ce qui a dévalorisé et déprécié les syndicats traditionnels restés sur une logique de conflit très dure avec le pouvoir et le système capitaliste en général.

Dans le difficile accouchement de la loi El Khomri, il a joué dès le départ un rôle essentiel, d’abord pour qu’une réforme organisant plus de flexibilité puisse voir le jour et ensuite quand des erreurs de communication flagrantes de Matignon ont failli faire capoter le projet.

Ensuite, pour le sauver et en même temps sauver la mise du Premier ministre. Manuel Valls peut politiquement sombrer. Grâce à Laurent Berger il évitera de sombrer dans le ridicule.

Laurent Berger n'est pas un syndicaliste comme les autres. Ce Breton né à Guérande (le pays du sel) en 1968 n’a pas été impacté par les événements de mai qui ont façonné la culture de toute la génération précédente. Sauf qu'intellectuellement et moralement, il a été imprégné par les valeurs chrétiennes et plus tard par celles d'une gauche qui cherchait à s'affranchir des utopies communistes. Laurent Berger a reçu une formation en histoire et en géographie, d'où sans doute sa connaissance des phénomènes économiques et son goût pour le pragmatisme. "Les faits et les chiffres sont têtus". L'histoire et la géographie en apportent la preuve tous les jours.

L'entreprise, son fonctionnement, les rapports sociaux et les centres de pouvoir, il les a appris sur le tas à St Nazaire à deux pas de chez lui.

C’est avec les idées de la CFDT qu'il s'entendra le mieux. Il est élu secrétaire général de la CFDT des Pays de Loire en 2003, puis au niveau national en 2012 après avoir géré les dossiers PME-PMI, puis la question de l'emploi des jeunes et du chômage.

La succession est lourde, ses aînés sont prestigieux, Nicole Notat, François Chérèque… mais la situation économique et sociale est de plus en plus compliquée. Le chômage de masse est en train de ruiner les caisses du modèle social, et la politique hypothèque des gains de productivité. Ses amis politiques, les enfants de Rocard ou de Jacques Delors paraissent très loin du pouvoir et François Hollande arrive à l'Elysée avec un panier de promesses irréalisables.

Un tel climat donne du grain à moudre aux mouvements extrémistes et aux revendications très corporatistes, très protectionnistes.

Tout le monde sait que la situation fait le lit des organisations plus radicales ou plus démagogiques.

Laurent Berger a du souci à se faire. La CGT et FO font de la surenchère pour éviter de se faire cannibaliser par le Front national.

Pendant toute cette période, Laurent Berger va rester droit dans ses bottes et protéger ses valeurs. Il s'affirme de gauche, mais il explique que la gauche doit aussi préserver les moyens de faire fonctionner son modèle social. Être de gauche ce n'est pas s'accrocher à des utopies anciennes, mais c'est aussi prendre en compte les mutations qui bouleversent le monde.

En fait Laurent Berger va conforter la CFDT dans son intention de protéger ses ambitions.

Un, affronter les contraintes de la mondialisation, assumer la construction européenne et embrasser toutes les opportunités du progrès technologique.

Deux, tout faire pour protéger les acquis sociaux sans hypothéquer les moyens nécessaires au financement de  l'avenir du système.

Trois, considérer l'entreprise, non pas comme un lieu de lutte des classes, mais comme un lieu de création de richesses.

Face à une tradition syndicale française qui fonctionne sur une logique de conflit (je rejette tout), Laurent Berger va défendre bec et ongles une logique de compromis. Il signera après les avoir négociés et amendés la plupart des accords de compétitivité.

C'est pour toutes ces raisons que la CFDT va être l'un des seuls syndicats nationaux à défendre la loi Macron, et surtout défendre l'idée d'une réforme du droit du Travail.

La CFDT sait que tous les outils de la politique économique (relance budgétaire et monétaire) ont été utilisés, que toutes les techniques de traitement social et d'emplois publics ont été épuisées... et rien n'a donné de résultats.

Or, le chômage de masse, en particulier chez les jeunes est, pour la CFDT, une catastrophe pour l'ensemble du pays. Laurent Berger le dit haut et fort, ce qui le sépare notamment des autres dirigeants syndicaux plus préoccupés à protéger les avantages acquis au profit des salariés qui ont un emploi ; si possible en CDI et si possible dans la fonction publique.

Quand le projet de loi sur le travail va sortir, il en attend beaucoup. L'accouchement va le désespérer. Le gouvernement commet des erreurs de débutants. Les rivalités internes entre Macron et Valls, le transfert de cette loi dans les bras de Myriam El Khomri au lendemain d'un remaniement maladroit, la réforme de certains articles de loi particulièrement transgressifs, et pour finir la menace du 49.3 font finir d'achever toutes les possibilités de sortie. Il manque l'essentiel, la négociation promise. Aucun syndicat n'acceptera d’être mis devant le fait accompli.C’est l'orage social où l'ensemble de la société ou presque utilise cette loi maladroite mais nécessaire pour manifester sa colère contre François Hollande.

Pendant qu'une partie de la France (jeunes et vieux réunis) refuse tout en bloc et manifeste dans les rues en menaçant de tout casser, François Hollande essaie de reculer, Manuel Valls se raidit... Laurent Berger, lui, se met au travail pour signaler les points qui ne sont pas négociables et qu'il faudra retirer.

Pendant le week-end et en liaison directe avec l'Elysée et Matignon, il va réécrire la loi.

Le texte que le Premier ministre a présenté dimanche après-midi est en fait celui de Laurent Berger. Celui qu'il a commenté à la télévision dimanche soir au 20 heures aussi. Les opposants sont toujours aussi opposés mais la mobilisation sera plus difficile. Le texte a perdu de sa force. Le Parlement risque fort de continuer à l'édulcorer.

Manuel Valls va pouvoir dire dans son bilan qu'il a écouté et du coup qu'il a sauvé la face. En réalité, il a entendu la CFDT, et fait ce qu'il devait faire pour éviter un embrasement général de la société française.

Pour Laurent Berger, c'est sans doute un mauvais accord. Mais pour la CFDT, mieux vaut un mauvais compromis qu'un incendie général du corps social.

Laurent Berger aura prouvé deux choses dans cette affaire.

La première c'est qu'il existe un syndicalisme de réforme qui n'est pas rejeté par l'opinion. Parce que si l'opinion a rejeté les projets Hollande-Valls, sur le travail sans avoir toujours bien lu les textes, l'opinion n'a en revanche pas rejeté les positions et la démarche de la CFDT.

La deuxième, c'est que la CFDT de Laurent Berger parachève sa mue vers un syndicalisme de compromis et de gestion, alors que le parti socialiste n'y parvient pas.

Le syndicalisme se reconstruit et se renforce dans la crise, alors que les partis politiques se fracassent, à commencer par celui qui est au pouvoir.

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