L’âge d’or des pirates dans les mers Caraïbes au début du XVIIIème siècle<!-- --> | Atlantico.fr
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Un homme déguisé en pirate assiste à la projection de "Pirates des Caraïbes: Le coffre de l'homme mort", le 6 juillet 2006, à Los Angeles.
Un homme déguisé en pirate assiste à la projection de "Pirates des Caraïbes: Le coffre de l'homme mort", le 6 juillet 2006, à Los Angeles.
©Michael Buckner / Getty Images Amérique du Nord / Getty Images via AFP

Bonnes feuilles

Alain Blondy publie "Pirates, corsaires et flibustiers" aux éditions Perrin. Barbe-Noire est sans doute le plus illustre, Anne Bonny la plus féminine et Jack Sparrow le plus attirant (et surtout le moins réel !), mais que sait-on véritablement des pirates, corsaires et flibustiers ? Extrait 1/2.

Alain Blondy

Alain Blondy

Professeur des Universités, Alain Blondy a enseigné pendant plus de trente ans au CELSA (Paris IV). Professeur invité (à Tunis, Chypre, Moscou…), il a également enseigné à l’université de Malte et est considéré comme l’un des meilleurs spécialistes actuels du monde méditerranéen, sur lequel il a écrit plusieurs ouvrages. Il est notamment l’auteur, chez Perrin, du Monde méditerranéen, 15 000 ans d’histoire.

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La Barbade et la Tortue ne pouvant plus servir de bases aux flibustiers anglais ou français, certains se firent planteurs, d’autres coupeurs de bois de Campêche, mais la plupart rongèrent leur frein, s’embourgeoisant dans de médiocres activités.

Une fois encore, la situation politique européenne eut des répercussions dans le monde Caraïbe. Depuis le traité de Nimègue qui avait mis fin en 1679 aux hostilités de la guerre de Hollande, la France était devenue la première puissance européenne. Louis XIV mit alors à profit sa victoire pour accroître le territoire national – une politique d’annexion dite «des réunions » –, mais cette agressive avidité suscita l’exaspération européenne. En 1688, il perdit non seulement ses alliés Stuarts, renversés en Angleterre, mais il dut faire face, durant le dernier quart de siècle de son règne, à vingt-deux ans de conflits européens dirigés contre lui.

En 1688, éclata la guerre de Neuf Ans – ou guerre de la Ligue d’Augsbourg –, qui prit fin en 1697. Or ce conflit s’expatria dans les colonies d’Amérique ou d’Asie. Dès que la nouvelle de l’embrasement européen leur parvint, gouverneurs et marchands des nations belligérantes entrèrent en lutte. Ainsi, l’Amérique du Nord connut sa première guerre intercoloniale que les Anglais appellent la King William’s War, mais ni les Français ni les Anglais ne voulurent affaiblir leurs forces continentales pour des avantages aussi lointains. Si Saint-Christophe changea de mains deux fois, ni la Jamaïque, ni la Martinique, ni Hispaniola ne furent touchées par les combats.

Or cette mutuelle surveillance et les raids et escarmouches qui émaillèrent cette époque entraînèrent le renouveau des aventuriers de mer. Ce fut alors le véritable âge d’or de la piraterie, même si ce changement s’effectua progressivement.

Avant la constitution d’une piraterie organisée, les flibustiers, en manque de butin, cherchèrent d’abord dans les mers du Sud (le Pacifique) ce qu’ils ne pouvaient plus trouver dans des Caraïbes désormais trop surveillées. L’un d’eux, le Français Jacques Raveneau de Lussan (né vers 1663 et mort vers 1690), a laissé un Journal du voyage fait à la mer du Sud avec les flibustiers de l’Amérique en 1684 et années suivantes qui est une des sources essentielles sur ce moment où, cessant de combattre, certains flibustiers se reconvertirent en planteurs tandis que d’autres se muaient en pirates.

Cela débuta avec le premier «rendez-vous de l’île d’Or». Cet épisode eut lieu en avril 1679, dès la fin de la guerre de Hollande, lorsque le gouverneur français de Saint-Domingue et celui anglais de la Jamaïque ordonnèrent le désarmement des flibustiers pour permettre le développement des plantations sucrières. En avril 1679, plus de 300 pirates anglais de la Jamaïque, dont John Coxon et Bartholomew Sharp (1650-1702), sous la direction de Richard Sawkins, se retrouvèrent à l’île d’Or (la isla de Oro), une île de l’archipel San Blas, au large du Panama. Elle était le point de ralliement des bateaux espagnols chargés de pierreries et des lingots d’argent du Pérou, déchargés au centre de collecte de Real de Santa Maria, dans les parages de l’isla Rica. Avec l’aide d’Indiens, les pirates traversèrent l’isthme de Panama en descendant en canots les plus de 200 kilomètres de méandres du rio Chuchunaque, puis du rio Tuira, pour se retrouver dans une baie de l’océan Pacifique, la baie de San Miguel. Butin fait, Coxon fit le chemin inverse, tandis que Sawkins et Sharp passaient par le détroit de Magellan, non sans avoir pillé les côtes du Pérou et du Chili. Aux printemps 1681 et 1682, Coxon renouvela sa traversée de l’isthme de Panama depuis l’île d’Or, avec autant de succès. Une nouvelle source de prises venait donc d’être découverte. En 1684, plus de 1000 flibustiers français, anglais ou hollandais en rupture de ban s’associèrent pour piller les côtes du Pérou. Si certains choisirent la route par le détroit de Magellan, deux groupes de Français, l’un dirigé par le capitaine Grognier, l’autre par Raveneau de Lussan, traversèrent l’isthme en 1685 et, alliés à des forbans anglais, ravagèrent les côtes pacifiques du Mexique jusqu’à San Francisco.

Mais la situation en Europe changea une nouvelle fois la donne dans le monde Caraïbe. La guerre de Succession d’Espagne (1701-1714), dans un premier temps, focalisa les actions militaires et navales sur les affrontements entre nations européennes. La lutte contre les desperados des mers passa au second plan et on vit donc de nouveau pulluler les pirates. Ne visant nullement à endommager leur prise et souhaitant ne se livrer qu’à des coups de main éclairs, ils avaient une préférence pour les navires légers et rapides, disparaissant dès leur butin fait. Bien souvent, ils leurraient leur proie, feignant d’être en détresse ou arborant un pavillon ami. Une fois au plus près, alors que le feu des canons eût été dommageable aux deux parties, ils hissaient le pavillon noir à tête de mort, le fameux Jolly Roger, et prenaient le bâtiment marchand à l’abordage. Cette attaque visait uniquement à réduire toute résistance et à conserver intacte la cargaison.

Toute la philosophie des pirates résidait là. S’ils avaient repris l’image du Memento mori (Souviens-toi que tu vas mourir), ce crâne sur des tibias croisés n’avait rien du sens que le christianisme lui donna pour traduire la fugacité de la vie terrestre. Au contraire, ils l’entendaient au sens antique, celui du Carpe diem, de cette jouissance de l’instant résumée par le mot, apocryphe ou non, du pirate Bartholomew Roberts: «À servir honnêtement on ne gagne que de maigres rations, des bas salaires et un dur labeur. La vie ici, c’est l’abondance et la satiété, le plaisir et la facilité, la liberté et la puissance ; qui hésiterait donc à la préférer quand tout le danger qu’elle fait courir est, au pire, un ou deux regards acrimonieux quand ils nous pendent ? Non, ma devise est une vie courte mais bonne.»

Leur nombre ne cessa de croître, d’autant que, souvent, ils s’emparaient de bateaux négriers. S’ils revendaient une partie de la cargaison humaine, ils libéraient aussi nombre d’esclaves qu’ils enrôlaient, de gré ou de force, accueillant aussi parmi eux ceux qui s’étaient échappés de leur plantation. Ainsi, en 1718, 60 des 100 membres d’équipage de Barbe-Noire étaient des Noirs. À l’instigation d’Henry Jennings, un corsaire devenu pirate, ils furent alors assez puissants pour s’organiser, en 1701, en république indépendante, régie par ses seules lois. Ils s’installèrent dans les Bahamas, au nord de Cuba, proches du détroit de Floride. En effet, la croissance économique des colonies anglaises d’Amérique et l’extraordinaire expansion de la traite négrière firent que les côtes nord-américaines constituèrent alors de nouveaux attraits pour les pirates. Ils choisirent la petite île de New Providence, « un nid de vauriens infâmes» selon le gouverneur des Bermudes, dont le port pouvait accueillir une centaine de navires et qui n’était pas assez profond pour que les vaisseaux de la Royal Navy pussent y entrer.

Or la fin de la guerre de Succession d’Espagne en 1714 contribua à alimenter la piraterie. En effet, les effectifs de la Royal Navy passèrent de 40000 à 10000 hommes, démobilisant ainsi des marins –  et charpentiers de navire – expérimentés, mais désœuvrés. Cette nouvelle vague d’arrivants marqua l’acmé de la piraterie dans les Caraïbes, de 1713 à 1718.

Cette année-ci, le roi George I er nomma Woodes Rogers (né vers 1679 et mort en 1732) « capitaine, général et gouverneur en chef sur les terres et autour des îles des Bahamas». Ce corsaire anglais, qui traqua les Espagnols de 1707 à 1711, fut tenté en 1713 par une installation à Madagascar mais, servi par ses relations auprès du nouveau souverain, il obtint de diriger une société chargée de nettoyer les Bahamas en échange d’une part des bénéfices de la colonie. Aussitôt, pratiquant la politique de la carotte et du bâton, il promit, en janvier 1718, le pardon royal à tous les pirates qui se seraient rendus avant le 5 septembre. Alors qu’à l’été 1718 Woodes Rogers croyait avoir réussi, il trouva en face de lui l’opposition de deux capitaines pirates de renom, Charles Vane (vers 1680-1721) et Barbe-Noire, rejoints rapidement par de nombreux pirates qu’il avait graciés. Face à cette «bande volante», Rogers fit alors appel à deux autres anciens capitaines de pirates, Benjamin Hornigold et John Cockram, pour les pourchasser.

Barbe-Noire (vers 1680-1718) était sans doute né à Bristol. Son véritable nom est sujet à une orthographe variable, Edward Teach, Edward Thatch ou autres. En 1716, il rejoignit Hornigold aux Bahamas, mais l’année suivante, sans doute agacé par le fait qu’Hornigold n’attaquait jamais un navire anglais, il s’en éloigna, d’autant que son compère avait choisi d’abandonner la piraterie pour rentrer dans le rang. À la tête de son propre navire, armé de 40 canons et avec ses plus de 300 hommes d’équipage, il devint un pirate aussi renommé que craint durant deux ans (1717 et 1718). Contrairement à la légende que l’on fit de lui, il n’était ni sadique ni violent; il associait même ses hommes à ses décisions comme c’était la règle chez les pirates. En revanche, son aspect physique fut pour beaucoup dans la terreur qu’il inspira. Cela était calculé car il avait compris que la frayeur suscitée par son apparence était une véritable force de dissuasion qui amoindrissait la capacité de réaction de ceux qu’il pourchassait. Doté d’une épaisse et longue barbe noire, souvent tressée, qui lui valut le surnom de Blackbeard, il effrayait encore davantage par son accoutrement, souvent sombre, le nombre important d’armes portées en bandoulière ou encore les mèches de canon allumées qu’il coinçait sous son large chapeau.

Son plus grand exploit, en mai 1718, fut le siège qu’il mit à la ville de Charles Town (Charleston), en Caroline du Sud. Il bloqua le port, mit à sac les navires qui s’en approchaient, s’emparant des biens de leurs passagers qu’il prit en otages, exigeant en échange de leur vie des médicaments pour ses hommes. Tenté par le pardon royal offert aux pirates, il lui fut accordé en juin 1718 par le gouverneur de Caroline du Nord, Charles Eden, qui lui octroya aussi des lettres de course. Selon certaines sources, il en aurait profité pour épouser la fille d’un planteur. Mais son expérience de corsaire le lassa rapidement puisque, en août, il retourna à la piraterie, le gouverneur de Pennsylvanie émettant un mandat d’arrêt contre lui. Le gouverneur de Virginie, Alexander Spotswood, craignant de voir Barbe-Noire arriver dans ses parages, offrit une récompense supérieure à celle légalement allouée. Le 22 novembre 1718, près de l’île d’Ocracoke, le lieutenant Robert Maynard58 et ses hommes réussirent à cerner Barbe-Noire et les siens. Bien qu’il se défendît avec l’énergie du désespoir, ce dernier succomba à un coup de sabre au cou, cinq balles dans le corps et vingt coups de lames. Son cadavre fut décapité, et sa tête, pendue au beaupré, servit de preuve pour toucher la récompense. L’homme qui, en fait, ne terrorisa les Caraïbes que durant deux ans devint, grâce à la légende littéraire, le stéréotype du pirate sanguinaire.

Charles Vane n’écuma les mers guère plus longtemps. Après une honnête carrière de marin nanti de lettres de course, la pacification conséquente au traité d’Utrecht (1713) le ruina. Aussi, de 1716 à 1719, il décida de se faire pirate. Installé aux Bahamas, il devint alors l’un des plus actifs de la « bande volante » qui ravageait les mers Caraïbes. Arrêté en 1720, il fut pendu le 29 mars 1721. Barbe-Noire tué et Charles Vane pendu, la piraterie, chassée des Caraïbes, migra dans l’océan Indien. Les Bahamas, reconnaissantes à Woodes Rogers, prirent alors pour devise « Piraterie expulsée, commerce restauré » (Piracy expelled, commerce restored). On estime que, durant tout l’âge d’or des pirates, les mers furent parcourues par plus de 5000 d’entre eux.

Extrait du livre d'Alain Blondy, "Pirates, corsaires et flibustiers", publié aux éditions Perrin

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