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Keynes, Laffer, Ricardo… ? Qui donc inspire le budget d’Emmanuel Macron ?
©CHRISTOPHE ARCHAMBAULT / AFP

Sources d'inspiration

6 milliards d’impôts en moins sur les ménages en 2019 et, « en même temps », 19 en moins sur les sociétés, ceci après avoir augmenté de 4 milliards en 2018 la CSG sur les retraités et baissé de 3 l’impôt sur la fortune, qui ne frappe plus désormais que l’immobilier. On dira qu’il y a des zigzags dans cette politique budgétaire, mais qu’à la fin l’impôt baisse, et pour les ménages et pour les entreprises. Quels grands économistes se cachent donc derrière tout cela ?

UE Bruxelles AFP

Jean-Paul Betbeze

Jean-Paul Betbeze est président de Betbeze Conseil SAS. Il a également  été Chef économiste et directeur des études économiques de Crédit Agricole SA jusqu'en 2012.

Il a notamment publié Crise une chance pour la France ; Crise : par ici la sortie ; 2012 : 100 jours pour défaire ou refaire la France, et en mars 2013 Si ça nous arrivait demain... (Plon). En 2016, il publie La Guerre des Mondialisations, aux éditions Economica et en 2017 "La France, ce malade imaginaire" chez le même éditeur.

Son site internet est le suivant : www.betbezeconseil.com

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Keynes est aux premières loges. Les ménages « moyens » seront moins imposés, sachant que les ménages « modestes », non imposés et qui perçoivent le SMIC ont déjà bénéficié d’une hausse de leur revenu, par réduction des charges sociales et bénéficieront d’une hausse à la Prime pour l’emploi.  Comme ces deux groupes ont une très forte propension à consommer (part du revenu qui est consommée), ils contribueront fortement à la consommation en 2019. Et ce soutien devrait atténuer le risque de baisse qui pourrait survenir en début 2019, les ménages « découvrant » ce que devient leur revenu après prélèvement de l’impôt à la source.

Ricardo n’est pas loin, contre Keynes, avec l’accent mis sur la réduction à terme de la dette publique. En théorie, « l’équivalence ricardienne » suppose que les ménages épargnent plus quand le déficit budgétaire monte : ils se disent qu’il faudra bien la rembourser, cette dette ! C’est donc pour ne pas trop faire monter le taux d’épargne en 2019  qu’on annonce que ceci ne durera pas. 2019 rompt la tendance baissière du déficit budgétaire par rapport au PIB, 2,8% contre 2,6% en 2017, mais le déficit ne sera plus que de 1,4% en 2020, et moins encore par la suite : -0,7% du PIB en 2021, -0,3% en 2022. Inutile donc, ménages français, de sur-réagir en épargnant plus : pas d’excès de ricardisme !
Laffer a été entendu, ce célèbre économiste de « la courbe » qui montrait que l’impôt détruisait l’activité à partir d’un certain seuil, donc l’impôt lui-même. « L’impôt tue l’impôt » : on reconnaît la sagesse populaire mise en graphique. L’ISF a disparu pour sa partie mobilière, reste sa taxation sur l’immobilier (à partir d’un niveau élevé), immobilier qui ne semble pas avoir grand attrait de la part de notre Président. Pour lui, il semble que c’est « quand tout va que le bâtiment va », non l’inverse. De fait, la taxe sur l’immobilier rapportera plus que prévu : 1,2 milliard en 2018, alors que le gouvernement attendait 850 millions, avant 1,5 milliard en 2019. A l’inverse, la flat tax sur les revenus du capital en enlève la progressivité et pousse les épargnants à prendre plus de risque pour leur épargne. Ceci arrive au moment même où on se rend compte que la bourse de Paris a de moins en moins d’attrait pour les investisseurs étrangers. Quel hasard ! Selon la Banque de France, 9,1 milliards d'euros d'actions ont été vendues en 2017 par les non-résidents, quatrième baisse annuelle consécutive, mais heureusement les résidents ont investi 19,4 milliards dans le Cac cette année-là. Ne pas oublier Laffer.
Voilà donc List et le souci de maintenir la propriété nationale des entreprises ! Revoilà les « noyaux durs » de Balladur face aux OPA géantes qui se dessinent partout, maintenant que l’argent n’est pas cher pour emprunter (surtout en zone euro) et que les grandes entreprises sont riches (surtout aux États-Unis). Comme elles voient venir le ralentissement économique, elles se disent qu’il faut désormais compter davantage sur la croissance externe (par achat des concurrents) que sur la croissance interne.
Vient Milton Friedman : on le suit, sans le dire. « La responsabilité sociale de l’entreprise est d’augmenter les profits » assène-t-il. C’est bien ce qui explique le souci des politiques actuels de réduire les charges sociales, les impôts et de chercher à simplifier la vie des entreprises, notamment dans le social, le comptable et le juridique. CICE, pérennisé avec Emmanuel Macron, lois El Komry, Pénicault et Le Maire (Pacte) déplacent des milliards en faveur des profits. Mais on ne dira pas qu’on cherche à accroître la rentabilité des entreprises françaises, pourtant plus faible que celle des concurrents, notamment allemands ! On parlera de « responsabilité sociétale de l’entreprise ». Pas de Milton Friedman donc, trop à droite avec ses shareholders, mais plutôt Edward Freeman et ses stakeholders. On les trouvera dans le rapport Senard-Notat avec « la raison d’être de l’entreprise ». Elle permet de diluer tous ces soutiens actuels au profit : pas idiot.
Et voilà les zigzags. Premier : le bonneteau. Il s’est agi d’enlever au retraité « aisé » pour donner au salarié « modeste » en disant qu’on soutient ainsi l’équilibre à terme du système de retraite. Mais attention : enlever un euro est plus vivement ressenti qu’en donner un. La baisse de la consommation début 2018 l’a montré, et la baisse des sondages pro-Macron ! L’idée (ricardienne) qu’il faut se projeter dans le long terme ne doit pas être trop mise en conflit avec l’immédiateté keynésienne : elle perd.
Deuxième zigzag : différencier deux épargnes. Celle des ménages à revenu modeste doit être protégée de l’inflation pour augmenter : ce sont les 45 milliards des Livrets d’épargne populaire. 40% de la population y serait éligible (revenu inférieur à 19 468 euros, pour une part), contre un pourcentage actuel de 13%. Elle touchera 1,45% l’an net. En face, 2,8 millions de livrets A sont remplis : ils représentent 67% des encours totaux (260 milliards) et ne bougent pas. Qu’ils soient donc rémunérés à 0,75% net ! Qu’ils perdent du pouvoir d’achat s’ils restent où ils sont, sachant que tout est fait pour les inciter à financer les entreprises, cotées ou non. Ils y auront plus de rendement avec plus de risque : Harry Markovitz.
Troisième zigzag : réduire la capacité des collectivités locales de lever l’impôt, sachant qu’elles recevront de l’état les ressources pour faire leur travail, donc qu’elles seront plus contraintes dans leurs investissements et embauches. Elles ne vont pas aimer d’être seulement gestionnaires : Turgot, en 1776, s’en est aperçu.
Quatrième zigzag : éviter la contagion italienne qui fait monter les taux longs. Les responsables italiens expliquent qu’ils auront un déficit public moindre que les français, or ils s’endettent à 3.14% à 10 ans et les français à 0,81%. Pas juste ! Cherchons Kydland  et Prescott, Nobels 2004, et la théorie des anticipations rationnelles : une politique économique doit être crédible pour marcher. Il faut dire (et prouver) que la France n’est pas l’Italie !
Les grands économistes sont là. Keynes à gauche, pour soutenir les revenus des ménages pauvres et modestes, la consommation et la croissance, la cote du Président et pour cacher « les autres ». « Les autres » sont plus à droite : Ricardo pour diminuer le déficit public, réduire l’impôt des riches (l’ISF) et les pousser vers la Bourse, List pour soutenir les groupes français, Turgot pour serrer la dépense publique locale, et tous pour se différencier de l’Italie. Bien sûr, c’est lent. Au fond, ce budget n’est pas aussi keynésien qu’il le dit ! Machiavel n’est pas cité, mais il n’est pas économiste.

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