Jusqu’où pourrait aller la dérive dystopique de la Russie de Poutine ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
International
"La disparition de Navalny n'a pas résolu le problème auquel l'élite russe est aujourd’hui confrontée. La demande de changement demeure", selon Viatcheslav Avioutskii
"La disparition de Navalny n'a pas résolu le problème auquel l'élite russe est aujourd’hui confrontée. La demande de changement demeure", selon Viatcheslav Avioutskii
©Alexander KAZAKOV / POOL / AFP

Museler l'opposition

Les autorités russes plongent le pays dans une réalité de plus en plus dystopique de jour en jour.

Viatcheslav  Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii

Viatcheslav Avioutskii est spécialiste des relations internationales et de la stratégie des affaires internationales.

Voir la bio »

Atlantico : Les autorités russes plongent le pays dans une réalité de plus en plus dystopique de jour en jour. Au moins six hommes à Saint-Pétersbourg ont reçu une convocation militaire après avoir été arrêtés alors qu'ils déposaient des fleurs en hommage à Alexeï Navalny. Le "correspondant de guerre" russe Andrei "Murz" Morozov s'est suicidé. Il y a quelques jours, il avait déclaré sur Telegram que les forces russes avaient perdu 16.000 hommes dans la bataille d'Avdiivka. Le FSB a aussi indiqué avoir inculpé un homme de trahison. Cet individu à la double nationalité russo-américaine a organisé une collecte de fonds pour l'armée ukrainienne. Comment expliquer la dérive dystopique de la Russie de Poutine ?

Viatcheslav Avioutskii : La dystopie est un genre littéraire qui correspond à une narration sur le futur inimaginable et non souhaitable qui pourrait se produire à la suite de catastrophes naturelles, de crises politiques, de guerres civiles. Ce type de littérature correspond plutôt bien à ce qui se passe en Russie. Les événements qui ont eu lieu étaient difficilement imaginables avant la guerre. Les choses sont en train de changer. Les observateurs extérieurs peuvent penser qu’ils sont plongés dans une Russie qu'ils  ne connaissent pas, une Russie absurde, qui est complètement irrationnelle et qui ne correspond pas du tout à l'image qu'ils avaient du pays. La plupart des citoyens occidentaux malheureusement sont déconnectés de ce qu’il se passe en Russie à cause de problèmes de langue. En revanche, pour les observateurs attentifs, les signaux de cette de cette dérive ont commencé à apparaître depuis bien longtemps. Cette chute vers une sorte de dictature dystopique peut surprendre. Les événements qui se déroulent en Russie sont comparables au roman de George Orwell. La mort de Navalny a mis en lumière en fait ce côté dystopique de la Russie. Dans le contexte de la commémoration de cet opposant anti-Poutine, tous les rassemblements ont été interdits. La police a commencé à identifier tous ceux qui ont déposé des fleurs devant des monuments liés à la mémoire d’Alexeï Navalny. Beaucoup de ces personnes ont été perquisitionnées. Certaines d'entre elles ont été convoquées par la police. De nombreuses personnes qui étaient rassemblées en hommage à Navalny ont été arrêtées. Dans un cas, au moment de leur libération, on leur a donné des convocations pour servir à l'armée, pour aller se battre sur le front. Cela dépasse tous les pires scénarios et cela s’apparente à la Chine et du modèle du capitalisme technologique. Les nouvelles technologies sont utilisées aujourd'hui en Chine et en Russie comme un moyen d’étouffer la société civile pour organiser une surveillance généralisée et pour identifier tous les déplacements, toutes les pensées, toutes les actions des citoyens. 

La Russie a donc une image tout à fait dystopique, en décalage avec les sociétés occidentales. 

Jusqu’où pourrait aller cette dérive dystopique de la Russie de Vladimir Poutine ? Cela va-t-il s'accélérer avec l'élection présidentielle dans les semaines à venir ?

Certains partisans de Navalny sont désespérés à tel point que certains parlent de leurs envies de se suicider en Russie. Ils considèrent qu’il n’y a plus aucun espoir pour un changement rapide de régime politique russe. Tout le monde s'attendait, en cas de disparition de Vladimir Poutine, à la possibilité qu’Alexeï Navalny puisse être libéré et qu’il participe aux élections. Il s'agissait de l'opposant numéro un à Poutine, le plus charismatique et le seul qui était capable de mobiliser des dizaines de milliers de personnes et surtout des jeunes dans les rues. Le fait que son corps n'ait pas été rendu signifie que les autorités craignent sérieusement des troubles au moment de son enterrement et de ne pas être capables de maîtriser la situation en cas de débordements. La dépouille de Navalny sera retenue par les autorités pendant au moins deux semaines.

La disparition de Navalny n'a pas résolu le problème auquel l'élite russe est aujourd’hui confrontée. La demande de changement demeure. Malgré la disparition de Navalny, cette demande ne va pas disparaître. Alexeï Navalny représentait le dernier espoir de changement interne en Russie. Certes, il était loin de représenter la majorité de la société russe, mais il avait de chances réelles de reconquérir les esprits s'il avait la possibilité de faire une campagne électorale libre. Beaucoup d'observateurs aujourd'hui parlent de la poursuite du verrouillage idéologique. Les élites libérales se sont installées aujourd'hui à l'étranger essentiellement. Elles s'organisent mais sont coupées de ce qu’il se passe aujourd'hui en Russie. 

L’outil militaire est utilisé de plus en plus en Russie pour contrôler la société et pour idéologiser la vie politique. 

A travers cette Russie dystopique, les changements de l'intérieur, les moins coûteux pour l'Occident, deviennent de plus en plus impossibles. Deux scénarios se profilent. A un certain moment va se poser le problème de la transition générationnelle. Les élites qui sont au pouvoir aujourd'hui en Russie ont 70 ans, le même âge que Poutine, et la relève n'est pas encore prête pour les remplacer. Cette transition générationnelle au sein des élites peut être perturbée par des violences. La guerre civile en Russie pourrait éclater car lorsque la société est privée d'une expression politique, la seule chose qu’il reste est la violence.

Le deuxième scénario pourrait être une défaite de la Russie sur le champ de bataille qui pourrait provoquer aussi des changements très rapides. Cette Russie dystopique est sclérosée. Une partie de la population n’a pas le droit de s’exprimer. 

Selon les sondages, Poutine devrait gagner l’élection de mars prochain. Toutefois, la commission électorale de Russie a rejeté la candidature de Boris Nadejdine, un candidat anti-guerre, à l’élection présidentielle du 17 mars. La période de verrouillage politique est si intense que même un candidat qui va dépasser les 10 ou 20 % dans les sondages n'est plus admis dans la course à la présidentielle car il est vu comme un perturbateur de l'ordre établi. 

Cela rappelle les années 1920-1930 de la Russie bolchevique qui se repliait sur elle-même, qui se focalisait sur une seule idéologie, l’idéologie bolchévique. 

Actuellement, c’est l’idéologie néo-impériale qui se coupe du reste du monde et qui veut vivre en autarcie sociale, politique, culturelle et idéologique. Ce cycle d’une Russie dystopique s’est développé ces quinze dernières années. 

Poutine n'arrive pas à trouver un successeur et il n’accepte plus aucune voix dissonante. 

Qui sont les artisans au sein du pouvoir de cette Russie dystopique ? Est-ce le FSB, les polices parallèles, l'entourage de Poutine ? Qui souhaite museler la moindre contestation ?

Il y a plusieurs personnalités dans l’entourage de Poutine, et le chef du Kremlin lui-même, sont à l’oeuvre, ainsi que les services spéciaux. Ces personnes haïssent l'Occident et les valeurs démocratiques et elles n'arrivent pas à pardonner à l'Occident l'effondrement de l'Union soviétique, alors que ce n'était pas l'Occident qui était à l'origine de tout cela mais des problèmes internes.

Au sein de l’équipe autour de Poutine, la plupart sont du même âge que lui. Ils ont effectué l'essentiel de leur carrière dans leur jeunesse dans la dernière décennie soviétique. Ils ont vécu de manière assez douloureuse la disparition de l'Union soviétique et le démantèlement du KGB. 

Les personnalités proches de Poutine essaient de réhabiliter le KGB, le passé soviétique de la Russie. Certains opposants qui ne sont pas d'accord avec le régime politique sont envoyés dans des hôpitaux psychiatriques. Pour le moment, il s'agit des cas isolés, mais c'est un signe très inquiétant de ce régime dystopique qui est en train d'émerger.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !