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Julien Aubert : "L’enjeu pour LR n’est pas d’être une droite qui s’assume mais d’assurer le devenir de la nation française dans le contexte des défis posés par la mondialisation"
©LIONEL BONAVENTURE / AFP

Grand entretien

Le député de Vaucluse a annoncé cette semaine qu'il ne sera pas candidat à la présidence des Républicains, faute de parrainages suffisants. Pour Atlantico, il revient sur cette aventure et sur la façon de faire vivre les idées gaullistes dans un parti trop "UDFisé".

Julien  Aubert

Julien Aubert

Julien Aubert est ancien député de Vaucluse, vice-président des Républicains

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Atlantico : A quoi attribuez-vous votre échec à vous qualifier à l’élection pour la présidence des Républicains : votre relatif déficit de notoriété ou votre ligne politique qui n’aurait pas réussi à mobiliser suffisamment de militants au sein du parti ? Vous aviez parlé de créer deux partis jumeaux recomposant une nouvelle UDF et un nouveau RPR en quelque sorte mais les militants et les cadres des Républicains sont-ils encore les héritiers du RPR ?

Julien Aubert : C'est un mélange. Je suis parti le plus tardivement et je suis un candidat libre, c’est-à-dire non dopé par un président de région ou un futur candidat à l'élection présidentielle. J'ai eu tout le problème des règles qui ont été faites pour un parti plus vivant, et je suis parti avec zéro budget ni organisation. Maintenant, je vois les choses de manière beaucoup plus positive : en un mois j'ai réussi à rassembler plus de 2000 parrainages avec un budget de campagne de 500 euros. Je suis satisfait de ce point de vue.

Je pense que nous avons encore les militants mais plus les cadres du RPR. Nous avons des cadres majoritairement "UDFisés". C'est pour cela qu'en mettant les gens devant leurs responsabilités, on obligerait une partie de nos cadres à se positionner ce qui aurait permis de faire monter une nouvelle génération. Il ne vous aura pas échappé qu'avec le départ de Guaino de Mariani… On a tout une génération qui est partie et je suis le dernier à défendre une ligne majoritaire dans l'opinion mais minoritaire chez les cadres du parti.

N’y-a-t-il pas une difficulté intrinsèque à tenter de convaincre les militants et les électeurs sur une étiquette gaulliste dans la mesure où il n’est pas forcément si évident que cela de déterminer ce que dirait ou penserait le Général de Gaulle aujourd’hui ? La question de la souveraineté de la France se pose-t-elle dans les mêmes termes en 2017 qu’en 1945 ou en 1958 ? Qu’aurait fait le général de Gaulle face à la question de la fiscalité des GAFA par exemple ?

Le mot Gaulliste a été utilisé à beaucoup de sauces ce qui fait que l'on met beaucoup de choses derrière cette étiquette. Le problème du gaullisme c'est que ce n'est pas une idéologie politique ; c'est un comportement en politique, une manière de concevoir la responsabilisation, ça a un objectif qui est la dignité de l'Homme et il en découle une conscience sociale et un attachement à la souveraineté. Aujourd'hui, des générations ne savent plus ce que veut dire le mot gaulliste, c'est pour cela que je pense qu'il faut faire vivre le courant sans s'attacher à des étiquettes.

Je ne peux pas vous répondre sur ce qu'aurait fait le général De Gaulle puisque je ne suis pas sa réincarnation. En revanche je pense que le sujet de la souveraineté n'a jamais été aussi actuel. Clairement avec le programme d'Emmanuel Macron, le désossement de l'industrie, la puissance des GAFA et notamment le sujet de la souveraineté numérique et le risque que la France soit une colonie numérique, je crois sincèrement que le général De Gaulle aurait essayé de faire primer le politique sur l'économique et aurait tenté de recouvrer cette souveraineté qui fait défaut aujourd'hui.

Vous dites que les héritiers politiques du RPR ont perdu leur capacité à s’adresser aux catégories populaires et ceux de l’UDF à s’adresser à certaines classes plus bourgeoises de la société : comment proposer une offre politique qui prenne aussi bien en compte les intérêts des gagnants de la mondialisation que ceux de ceux qui en font les frais ? Est-ce encore possible ?

Sur les gagnants de la mondialisation, je dirais que c'est plus le problème de la droite modérée qui a été lâchée par les électeurs qui ont voté Macron aux dernières élections. Sur les classes populaires, il faut comprendre que quand votre programme c'est "moins d'impôt et plus de flexibilité sur le marché du travail" vous n'attirerez pas facilement des gens qui ne payent pas d'impôt qui essayent de trouver des CDI et qui n'en trouvent pas. Au contraire, la droite doit réfléchir, essayer d'humaniser le capitalisme, réfléchir à une troisième voie entre capitalisme financier et socialisme de répartition et doit aussi réfléchir à la manière dont on peut inclure les gens sur le marché du travail dans un contexte de robotisation, de transhumanisme, d'intelligence artificielle et d'ubérisation de la société.

Vous attribuez les problèmes de la droite à la victoire de Jacques Chirac contre Charles Pasqua et Philippe Seguin ayant ensuite entraîné la création de l’UMP et l’étouffement des différents courants de la droite, mais comment expliquez-vous cette victoire de Chirac en elle-même ? Quelle évolution des hommes et des idées l’avaient permise ?

Chirac, le temps d'une campagne, a ressuscité cette droite gaulliste en 1995. La droite de 1995, celle qui gagne les élections, c'est la droite de Seguin en réalité, c'est une droite de la fracture sociale, qui a une conscience sociale. Il réalise ce tour de force, puis trompe ses électeurs six mois plus tard avec d'abord Alain Juppé, qui pense aux antipodes de Seguin, puis en abandonnant le flambeau de la modernisation du pays. Parce qu'une droite avec une conscience sociale c'est aussi une droite qui est en mesure de prendre ses responsabilités sur les réformes. Chirac c'est l'homme qui a accepté la cohabitation en 86, c'est quelqu'un qui s'accroche au pouvoir en 97 avec, à partir de là, la pente douce qui fait rentrer dans une forme d'immobilisme.

Laurent Wauquiez dont vous avez souligné les différentes « incarnations » au fil du temps a néanmoins fait campagne sur une ligne très claire : être une droite qui assume qu’elle est de droite sans céder aux intimidations morales de la gauche : mais est-il si facile de mettre un contenu concret derrière cette affirmation de principe ? Être vraiment de droite ET gouverner, ça donne quoi pour vous ?

Pour moi cela ne veut rien dire. Je défend l'idée qu'il y a au moins trois droites. Une droite bonapartiste, gaulliste, modérée orléaniste et sans doute une droite conservatrice voire identitaire. Quand il parle d'union des droites, mais je n'y crois pas pour la simple et bonne raison qu'elles ont du mal à exister. On doit se demander aujourd'hui comment on protège les Français, comment on assure le devenir de la nation française dans un contexte d'un monde sans frontière, de compétition sur le coût, de nivellement par le bas, d'ouverture sur la mondialisation avec la migration qui bouleverse les systèmes de sécurité sociale et les systèmes d'intégration.

Le sujet il est là, il n'est pas de s'assumer. Le sujet de l'identité c'est ce qu'il restera quand on aura résolu les problèmes de souveraineté. L'identité c'est la souveraineté du pauvre.

 « La droite est le chien de garde d’un temple qu’elle n’a pas construit. C’est-à-dire qu’elle aboie lorsque la gauche construit un temple et qu’une fois qu’elle est devant, elle renonce à le détruire » : pourquoi cette aliénation idéologique de la droite française selon vous ?

C'est un vieux sujet qui date en réalité de la troisième république, qui a été fondée par la gauche. La droite était déjà hors républicaine donc hors des murs : elle s'est faite réintégrer petit à petit. Une partie de la droite s'est discréditée à Vichy. L'autre, c'est le gaullisme qui a réussi à construire la cinquième République et la droite s'est épanouie dans ce régime qui est fondamentalement un régime construit par la droite en réintégrant l'héritage monarchique, bonapartiste, qui fait parti de notre héritage culturel. Simplement, la droite a renié une partie de cet héritage en se convertissant au quinquennat, au cumul des mandats, à la décentralisation, à Maastricht… Il y a une disparition de cette droite gaulliste et ensuite il y a une prise de pouvoir par la génération mai 68 qui fait que la droite a peur d'assumer des positions de droite. Cela se voit sur un certain nombre de sujets où, en réalité, on hurle lorsqu'on est dans l'opposition mais on n'ose pas franchir le rubicond lorsqu'on est en position de le faire, ce qui donne l'impression aux gens qu'en réalité on les cocufie.

Cette semaine encore, Sens Commun a déchaîné les passions à droite mais la visibilité politique et médiatique de ce mouvement est sans commune mesure avec son poids politique réel -relativement marginal. Pourquoi selon vous la droite perd-elle autant ses nerfs sur ce que font ou disent les militants de Sens Commun ?

Je crois qu'il y a deux phénomènes. D'abord le fait que Sens Commun parle d'alliance avec Marion Maréchal Le Pen. Je pense que c'est une erreur, puisque ce sont encore des réflexions sur des alliances de parti pour bâtir un projet collectif. Un projet collectif vous le bâtissez à partir d'une cohérence de réflexion; or, les droites ne sont pas forcément d'accord entre elles, ce qui rend difficile la cohérence des programmes.

Ensuite, il y a aussi l'espèce de frénésie par rapport au sujet du Front National qui fait que l'on réfléchit davantage à ce que nous ne sommes pas par rapport à ce que nous sommes. Si nous réfléchissions calmement, entre les gens qui sont sociologiquement issus des territoires gagnants et perdants de la mondialisation pour se demander comment on peut avoir un projet commun, nous n'aurions pas à nous poser la question de ceux qui sont resté à l'extérieur. Comme nous n'avons pas ce débat de fond, nous sommes condamnés à réagir.

A quoi faudrait-il que le FN renonce dans son discours et son programme pour que des alliances -ne serait-ce que locales- soient envisageables avec les Républicains ?

Je pense que le problème du FN ce sont déjà les Le Pen qui sont une entreprise familiale qui sert d'épouvantail à une partie de la gauche et qui, par son comportement, par son histoire, les positions qu'ont pu prendre le grand père, en ont fait une famille difficilement assimilable dans un contexte républicain. En plus de cela, il y a un vide idéologique que cache Marine Le Pen qui rend difficile toute caractérisation du phénomène Le Pen. Nous ne sommes pas dans un phénomène de ligne idéologique, on est dans un phénomène dynastique. Comme on ne comprend pas ce qu'elle est, on l'assimile à l'identité Le Pen qui est d'abord celle de son père.

Emmanuel Macron "président des riches", n’y a t’il pas une forme de caricature ou de contradiction à lui faire ce reproche quand on est de droite et qu’on a revendiqué pendant des années un allègement de la fiscalité et une philosophie proche de celle du Président sur la « libération des énergies » comme moteur de croissance ?

Totalement. Il faut arrêter avec les riches et les pauvres. Dans ce pays le vrai problème c'est la classe moyenne. On a tendance à dire soit il faut alléger l'impôt pour les plus riches ou donner plus de prestations pour les plus pauvres. La classe moyenne assiste à un match de tennis dans les gradins et regarde passer les balles vers la gauche ou vers la droite et jamais la balle ne s'arrête dans le filet.

Vous voyez bien qu'Emmanuel Macron n'est pas un président des riches quand, sur l'ISF, il a calé à mi-chemin. Il mène une politique qui n'est pas pro propriétaire… On ne peut pas vraiment dire qu'il est de droite. Sur l'écologie, on est sur de l'écologie punitive et uniquement axée sur les symboles, politique que Ségolène Royal n'aurait certainement pas renié. Il mène donc une politique du symbole et une politique dictée par Bercy. Ce n'est ni une politique de gauche ni une politique de droite. C'est une politique qui se veut raisonnable, qui se veut essentiellement dictée par des objectifs budgétaires mais qui n'est pas une politique. C'est l'expression d'un choix administratif.

Vous assumez de ne pas être libéral mais quel logiciel économique voudriez-vous retenir ? L’étatisme à la française nous a-t-il vraiment mené à une prospérité indiscutée ?

Je suis libéral au sens de Benjamin Constant ou d'un Alexis de Tocqueville. Je suis libéral dans le sens où c'est l'individu qui créé de la richesse et que dans ce pays on embête les entrepreneurs, on contrôle de manière tatillonne la France entière… Je suis libéral quand il faut baisser les charges mais je ne suis pas adepte de la libre concurrence pure et parfaite dans tous les domaines. Je considère que le libre-échange c'est une contre vérité car on perd le contrôle du politique sur l'économique, je suis contre l'ouverture des frontières sans contrôle et je suis contre le fait que l'on mette dans la constitution européenne des politiques de libre échange car ça induit une rigidité idéologique qui dessaisit le politique de la politique économique. C'est en cela que je suis contre ce capitalisme dévoyé

Vous vous êtes prononcé cette semaine pour l’interdiction de l’écriture inclusive. Faut-il faire du combat contre le politiquement correct une priorité ? S’agit-il uniquement à vos yeux d’une tendance  un peu ridicule et vaine ou le politiquement correct a-t-il contribué saper certains fondements de notre société ? Pris à l’inverse, comment lutter efficacement contre les discriminations qui existent au sein de la société française ?

C'est un sujet très profond contrairement à ce que les gens pensent. Nous sommes dans une société de moins en moins cohérente et de plus en plus violente dans les faits et le politique confronté à son absence de contrôle de la situation cherche à aseptiser le langage pour éviter les heurts entre communauté. Ca donne tout le politiquement correct et la reconnaissance perpétuelle de toutes les minorités au lieu d'une reconnaissance du peuple français. Je suis contre l'écriture inclusive car c'est l'idée que la politique doit passer par le langage et qu'elle doit rentrer à l'école. Ce n'est pas au CM1 ou au CM2 que vous devez faire de la politique avec l'Histoire ou la langue. Tous ceux qui veulent faire de la politique à l'école me trouveront sur leur chemin. Ce sont des idées que je combats en tant qu'adulte. Aux Etats-Unis, ils ont intégré ce modèle à la société et cela donne une société où effectivement si vous faites la bise vous pouvez être condamné pour "sexual harassment" et en même temps vous avez un type, Weinstein,  qui pendant 25 ans s'est comporté comme un porc avec les femmes. Le vrai sujet est de débloquer le plafond de verre, d'empêcher le harcèlement au travail - le véritable harcèlement et pas cette guérilla stupide qui cherche à transformer la langue française en morse.

L’interdiction des symboles religieux réclamée par la France Insoumise et les violents échanges entre Manuel Valls et Jean-Luc Mélenchon au sujet de la place de l’islam préfigurent-ils un avenir de violences verbales ou réelles en France autour des difficultés d’intégration de certaines populations immigrées d’une part et d’une forme de concurrence non avouée entre laïcité d’inspiration judéo-chrétienne et islam politique ?

Le vrai sujet est l'intégration d'une religion, pas de toute les religions dans l'espace public. Pour la simple raison que l'Islam est aussi un système de droit et un système politique. Cela suppose que cette religion, quand elle se déploie en France, s'adapte à un mode de fonctionnement qui laïcise l'espace public et ces questions ne s'appliquent pas selon moi à la chrétienté par exemple. C'est pour cela que, pour moi, vouloir bouter de manière intolérante tous les symboles religieux hors de la société c'est une erreur parce que les gens ont besoin de sens. Un musulman qui pratique sa religion de manière paisible, je ne vois pas pourquoi on irait lui courir après dans l'espace public. La vérité c'est qu'à côté de cela des gens qui font exploser des bombes dans Paris ce qui mène à faire des confusions. On mélange tout et son contraire et vous avez chez le Front de gauche cette haine de la religion, cette haine du sacré qui n'a fait qu'aggraver les dissensions. Je maintien qu'on peut porter sa kippa sans pour autant être un extrémiste religieux. Tout cela suppose de repenser la République qui en 1905 n'a pas vaincu la religion catholique mais un clergé. Maintenant cela suppose de mettre le clergé musulman devant ses responsabilités comme le consistoire juif sous Napoléon en leur demandant de réfléchir aux conditions qui permettraient à l'Islam de France de vivre en paix avec la République.

Emmanuel Macron doit accorder son premier entretien télé ce dimanche soir sur TF1 et LCI, qu’en attendez-vous ? Si vous aviez vous une question à lui poser, laquelle serait-ce ?

Si j'étais un journaliste je lui dirais "Monsieur Macron vous vous êtes fait élire sur un mode horizontal où vous avez dit aux gens que vous étiez le marcheur parmi les marcheurs. Arrivé au pouvoir on a découvert qu'on avait élu Louis XIV, est-ce que vous pouvez expliquer cette transformation de comportement ?"

J'attends qu'il explique quelle politique il entend mener, de comprendre pourquoi il s'attaque ainsi aux propriétaires et aux personnes âgées et pourquoi ce serait uniquement à une partie de la population de payer le prix des réformes.

Dernière chose, dans une interview au Spiegel publiée cette fin de semaine, le président a a déclaré qu’il n’était « pas arrogant mais qu’il disait et faisait ce qu’il voulait ». Vous qui avez été son condisciple à l’ENA, diriez-vous plutôt que la personnalité déterminée du président est un atout pour réformer une France engoncée dans ses habitudes ou un handicap par sa capacité à exaspérer les Français ?

Je pense qu'Emmanuel Macron est un homme déterminé qu'il est sincère dans ce qu'il croit. Je suis à l'inverse de ses croyances et pense qu'il n'a pas la connaissance du pays nécessaire pour conduire les réformes. Je pense qu'il a une vision très technocratique et très théorique de la réforme.

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