Journal de Cannes : Killing them softly, un film de gangster contemplatif ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Andrew Dominik présente en sélection officielle à Cannes un film sur les tueurs à gages, porté par Brad Pitt.
Andrew Dominik présente en sélection officielle à Cannes un film sur les tueurs à gages, porté par Brad Pitt.
©© Inferno Entertainment

Festival de Cannes

Andrew Dominik présente en sélection officielle à Cannes un film sur les tueurs à gages, porté par Brad Pitt. Il sortira en France sous le titre Cogan - La mort douce.

Clément  Bosqué et Victoria Rivemale

Clément Bosqué et Victoria Rivemale

Clément Bosqué réfléchit aujourd'hui sur les problématiques de l'action publique, dans le domaine des relations internationales et de la santé. Diplômé de littérature et agrégé d'anglais, il écrit sur le blog letrebuchet.c.la sur l'art, la société et l'homme.

Victoria Rivemale est diplômée en Lettres.

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NB : Attention, la critique suivante dévoile des éléments de l'intrigue

Un jeune voyou (Scoot McNairy) et son pote clodo australien (Ben Mendelsohn, si bien maquillé qu’on croit sentir sa sueur), sont prêts à toutes les combines pour gagner un peu d’argent. Si possible, beaucoup. Et si possible, sans repasser par la case prison.

Leur employeur, un patron de pressing surnommé « Squirrel » (écureuil), a une idée géniale : braquer le tripot de Mark Trattman (Ray Liotta), clients inclus. Ce ne sera jamais que la deuxième fois que ça arrive à Trattman ; sauf que la première fois, c’est Trattman qui avait braqué sa propre boîte, et il s’en était vanté. Tout le monde pensera logiquement que Trattman a eu recours à la même combine, cette fois il en prendra largement pour son compte, et nul ne se préoccupera de chercher les véritables coupables.

Aussitôt dit, aussitôt fait : les deux losers s’y collent. Malgré leur amateurisme, ils s’en tirent.

Ce qui ennuie les gros bonnets du coin par-dessus tout, c’est quand il y a du grabuge, parce que c’est mauvais pour les affaires. Jackie Cogan (Brad Pitt) est un nettoyeur payé pour tirer au clair l’entourloupe. Pas dupe, il se met en tête de débusquer les vrais auteurs du méfait.

Cogan est un pro. Ce monde sans pitié (« cutthroat », comme le formule Brad Pitt lors de la conférence de presse, littéralement « coupe-gorge », féroce, impitoyable), il ne l’a pas créé. Il s’adapte, comme tout le monde. Il n’aime pas la violence et s’efforce, dans la mesure du raisonnable, de tuer ses cibles « en douceur », de loin, pas de près, parce qu’alors ils font tout un foin, supplient, pleurent après leur mère. Après tout, « c’est la loi darwinienne de la survie du plus fort », explique le réalisateur Andrew Dominik à la presse. D’ailleurs, tout le monde n’agit-il pas de la même façon ?

Dominik (L'Assassinat de Jesse James par le lâche Robert Ford, 2007) illustre l’idée d’une façon simple : en « off », il fait entendre des bribes des discours de la campagne de 2008, en pleine crise financière. « Le système financier est complexe », assure à ce moment G. W. Bush, « mais il repose sur une chose très simple : la confiance ».

Le film serait alors une critique du système capitaliste américain, comme s'empressent de le noter certains, (Awards daily, Huffington Post) par l’équivalence posée clairement entre le monde cynique du crime organisé et celui de la finance ? Ce n'est pas si facile...

« Qu’est-ce que la promesse Américaine ? C’est la promesse que chacun d’entre nous est libre de faire ce qu’il veut de sa vie, mais que nous avons aussi le devoir de nous comporter les uns vis-à-vis des autres avec dignité et respect. »  « Et puis après, il va nous dire qu’on est un peuple, une communauté », raille Pitt, accoudé au comptoir, derrière lequel un poste de TV diffuse un discours du jeune Sénateur en campagne.

« Nous sommes les Etats-Unis d’Amérique, nous sommes un peuple », déclame comme prévu Obama. « Me fais pas rire. Ici, c’est chacun pour sa gueule, et puis c’est tout », répond en substance Pitt.

Ray Liotta est très bon en pauvre type, innocent pour une fois ; la scène au ralenti où il est tué de plusieurs pruneaux par la fenêtre de sa voiture évoque la grâce d’un ballet. Scoot McNairy est touchant en voyou effrayé et manipulé par Pitt. Ce dernier, la crinière gominée, le bouc agressif, dégage une puissance de lion blasé et dangereux.

L’ambiance est tendue, sale, et il ressort de la musique choisie avec soin (Johnny Cash, When the man comes around, les premières mesures de I’m waiting for my man du Velvet Underground, de vieux jazz à la radio) quelque chose de la touffeur poisseuse de la Louisiane, où le tournage a eu lieu.

Bien sûr, il y a du Scorsese là-dedans (« qui n’est pas influencé par lui ? », demande Dominik), mais ni la mafia ni la violence ne sont le sujet du film. Le sujet, c’est ce quelque chose de pourri, de brisé dans le royaume américain, sur quoi le film met le doigt, sans relâcher la pression.

A cet égard James Gandolfini, en nettoyeur complètement fini, accroc aux prostituées et à l’alcool, avec sa pointe d’accent italo-américain rappelant la série des Soprano, est si crédible qu’il en est effrayant : son monologue désabusé fait plonger dans l’absurdité et la mesquinerie, laissant même Cogan/Pitt bouche bée – qui sait, cette épave, c’est peut-être ce qu’il deviendra, dans quelques années ?

Tous les bons ingrédients du film de gangster bien roulé (bastons, voyous) sont réunis. Pourtant, il manque quelqu’un à l’appel : les chefs. Les boss. Les parrains. Où sont-ils ? Qui sont-ils ? Que veulent-ils ? Nul n’en sait rien, et le monde continue de tourner.

Richard Jenkins, avocat censé représenter leurs intérêts, se plaint d’ailleurs qu’aucun d’entre eux n’est foutu de prendre une décision. L’un d’eux, on l’apprend à la fin, est décédé des suites d’une maladie. Ainsi, voilà en quelque sorte Tom Hagen orphelin de son Don Corleone !

Et c’est là que le film atteint à une grande justesse, en mettant en évidence l’inanité des litanies dénonçant la finance et prétendant mettre la main sur le coupable ( de même, on a pu constater pendant la dernière campagne présidentielle en France que tous les candidats étaient révolutionnaires...). Il n’y a pas de méchants qui trament dans l’ombre.

En quoi le film n’est pas une bête critique, mais un regard mélancolique, plus contemplatif qu’il n’y paraît, fataliste, pessimiste sur un monde délité qui court comme un canard sans tête.

En essayant juste d’être un très bon film, Killing them softly devient en fait un excellent film, sans une minute de trop. Le message porté est moins simpliste qu’il n’y paraît. Comme son protagoniste Cogan, un film sans cœur…et sans reproche.

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