Joseph Macé-Scaron : "Face à la montée des totalitarismes, se passer du libéralisme est plus qu’un crime, c’est une faute"<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Joseph Macé-Scaron : "Face à la montée des totalitarismes, se passer du libéralisme est plus qu’un crime, c’est une faute"
©PATRICK MONNARD / AFP

Liberté chérie

Dans "Eloge du libéralisme" (éditions de L’Observatoire), Joseph Macé-Scaron montre qu'il existe un pacte multiséculaire entre le libéralisme et la raison. Pour lui, le libéralisme se définit, d’abord, par le souci de défendre les libertés publiques.

Joseph-Macé Scaron

Joseph Macé-Scaron

Joseph Macé-Scaron est consultant et écrivain. Ancien directeur de la rédaction du Figaro magazine et de Marianne, il est, notamment, l'auteur de La surprise du chef (2021) et Eloge du libéralisme (2020), aux éditions de L'Observatoire. 

Voir la bio »

Atlantico : Vous expliquez dans le premier chapitre de votre nouveau livre, "Eloge du libéralisme", publié aux éditions de L’Observatoire, que "nous sommes soumis aux humeurs de notre époque" et que nous subissons des Grandes Peurs qui "surfent" entre autres sur les questions de religion, de société, de sciences etc. S'en détacher, n'est-ce pas une solution confortable mais aussi apolitique ? 

Joseph Macé-Scaron : Au contraire, se défaire de l’irrationnel est le premier pas qui conduit vers le politique. La politique au sens où nous l’entendons, aujourd’hui, nait en France, au XVIe siècle. Précisément au moment où une partie de ceux qui participent au débat public veulent s’extraire à toute force des Grandes Peurs religieuses qui entretiennent guerres étrangères et guerres civiles. De fait, il existe un pacte multiséculaire entre le libéralisme et la raison. Si vous prenez la crise des Gilets jaunes dans ces ultimes soubresauts, ce n’est pas un hasard si ses meneurs refusent toute représentation, ils veulent continuer à développer le culte de l’émotion et du ressentiment. La politique ne les intéresse pas. Ils souhaitent, à l’inverse, la disparition de la représentation politique pour la remplacer par un chaudron des passions en perpétuelle ébullition.

Vous expliquez que le libéralisme a toujours eu mauvaise presse en France - notamment en raison de sa définition approximative sans cesse rapprochée du libéralisme économique dans sa version anglo-saxon. Au regard de ce que propose la droite française ou bien LREM, peut-on dire que le libéralisme existe aujourd'hui ? Pourquoi cette situation ? 

Le libéralisme en France a mauvaise presse car il n’entre pas dans les logiques binaires dont sont si friands la majorité de nos intellectuels. J’écris, en effet, que le libéralisme se définit, d’abord, par le souci de défendre les libertés publiques contre l’emprise de l’absolutisme du Prince ou du religieux sur les personnes qui répondent « laissez-nous faire ! ». L’enjeu actuel n’est pas de savoir qui est un peu, beaucoup ou pas du tout libéral et de distribuer des bons points et des images. L’enjeu est d’avoir conscience que nous sommes rentrés à nouveau dans ce qu’Elie Halévy appelait « l’Ère des tyrannies » qui a été réédité il y a peu de temps aux Belles Lettres.  Le totalitarisme est de nouveau à nos portes sous des formes diverses. Face à cette montée des périls, se passer du libéralisme est plus qu’un crime, c’est une faute.

Vous citez de grands auteurs (Kundera, Aron, Tocqueville etc.) qui ont permis de remettre le libéralisme dans son juste sillon et qui ont su - chacun à sa façon - promouvoir la liberté de pensée et de ton face aux clercs de l'époque. Qu'est-ce que ces auteurs diraient de notre époque actuelle ? Quelles sont les idées dominantes auxquelles il faut tenter de se soustraire pour penser librement ?

Pour commencer, penser librement revient à ne pas confondre la liberté de penser (« c’est mon droit, c’est mon choix, mon ressenti ») avec la liberté de la pensée. Les deux n’ont rien à voir même si notre époque veut à toute force les confondre comme on le voit malheureusement trop souvent sur nos chaines d’intox. La liberté de la pensée suppose déjà deux choses : se garder de toute essentialisation, cette essentialisation qui pousse à construire un adversaire mythique, bouc émissaire de toutes nos passions et de nos ressentiments et apprendre à douter, y compris de notre propre doute. Le libéralisme n’est pas une religion, il n’a besoin ni d’église, ni de clergé. Il ne réclame ni acte de foi, ni acte de contrition. Voilà pourquoi le libéralisme a moins produit de maître à penser que de maître à vivre.

Vous défendez le fait que le libéralisme est un courant de pensée ouvert, multiple, éclaté, avec pour seul but la liberté. Le problème majeur du libéralisme n'est-il pas dû à cet éparpillement d'idées ? A son incapacité à faire front commun ?

Pour reprendre un adjectif cher à Montaigne, le libéralisme est « ondoyant », c’est-à-dire qu’il est opposé par essence à tout esprit de système. Jean-François Revel aimait à dire que le libéralisme c’est la vie. Il ne tirait de cela aucune gloire. Cela signifiait qu’il voyait son chemin semé d’embûches, de courtes victoires, de remises en question. Et c’est heureux. Je vois là non un problème mais une solution. Et pour reprendre le mot de De Gaulle, avoir « pour seul but la liberté » est un « vaste programme » pour celui qui s’y attèle avec sincérité et humilité.

A l'heure des réseaux sociaux, de la transparence absolue, des mouvements identitaires, des caprices de l'individu roi, de privation de liberté d'expression dans les universités, sommes-nous en train de basculer dans le post-libéralisme, axé non plus sur la raison et le doute, mais sur la catégorisation et la démagogie ?  

Je ne crois pas plus au « post-libéralisme » qu’à la « postmodernité ». Pour que le libéralisme soit dépassé, il faudrait qu’il ait existé en France. Or, à part une courte période au XIXe siècle et une très courte parenthèse que fut le plan Rueff, on le cherche ici avec une lanterne. Ce qui est vrai est que nous vivons un retour en force d’une pensée agressive, sectaire, coercitive que l’on pensait à jamais disparue. Ce qui est vrai est que bon nombre de nos contemporains recherchent la servitude volontaire dans laquelle ils pensent pouvoir se blottir douillettement, en attendant que ça casse. Nous avons connu cela dans toutes les époques de transition.

Avez-vous espoir dans le futur en ce qui concerne le combat des libéraux ? 

Comment ne l’aurais-je pas quand je vois un site comme Atlantico, un think tank comme Génération libre, des personnalités aussi riches et diverses que Gaspard Koenig, Nicolas Baverez, Mathieu Laine, Cécile Philippe et je ne peux toutes les citer ici. Depuis sa naissance, le libéralisme a compris deux choses : la première est qu’il est plus important de repousser les frontières de l’esprit que les bornes de l’empire et la seconde est que ce qui a été pensé une fois, éternellement demeure. Voilà pourquoi, je dis aux rares libéraux qui parfois sont découragés : « Le lendemain, c’est vous ! ».

Joseph Macé-Scaron vient de publier "Eloge du libéralisme" aux éditions de L’Observatoire

Lien vers la boutique Amazon : ICI

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !