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La joaillerie équitable, du luxe responsable
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Luxe engagé

L'extraction d'un certain nombre de métaux précieux s'effectue dans des zones de conflits armés, ce qui engendre un financement de la guerre et des manquements aux Droits de l'Homme. Comment sortir de ce cercle vicieux ?

Cécile  Ducrot-Lochard

Cécile Ducrot-Lochard

Cécile Ducrot-Lochard est Consultante en développement durable, luxe et philanthropie.

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Les mines de diamants, pour des raisons tant environnementales qu’éthiques, au sens des Droits de l’homme, de la dignité au travail, auxquelles s’ajoute la lutte contre les trafics susceptibles d’alimenter les conflits armés, représentent un risque pour les joailliers. D’où une attention de plus en plus grande et ouverte, visiblement, aux conditions de leur sourcing.


Contre les « diamants de la guerre » : le Processus de Kimberley

Le film américain Blood diamond (2006), cité plus haut, a frappé les consciences en portant à l’écran ce qui aurait pu être le sujet d’un documentaire : les « diamants de la guerre ». Les Nations unies les définissent comme les « diamants qui proviennent de zones contrôlées par des forces ou des factions opposées aux gouvernements légitimes, internationalement reconnus. Ils sont utilisés pour financer des actions militaires contre ces gouvernements, ou en infraction des décisions du Conseil de sécurité ». Le terme est apparu dans les années 1990 pendant les conflits qui ont déchiré certains pays d’Afrique tels que le Sierra Leone, le Liberia ou encore l’Angola, qui « tiennent » en grande partie grâce au commerce de diamants bruts ; mais ce commerce alimente aussi des trafiquants et des belligérants qui enrôlent, souvent de force, de jeunes enfants. Selon Amnesty International, « au cours de ces affrontements, les profits du commerce illégal des diamants, estimés à des milliards de dollars, ont servi aux seigneurs de la guerre et aux rebelles pour leurs achats d’armes. D’après les estimations, trois millions sept cent mille personnes sont mortes en Angola, en République démocratique du Congo, au Liberia et en Sierra Leone dans des conflits financés grâce à ces diamants. En 2009, le commerce desdiamants de la guerre” continue à fonctionner au Zimbabwe1 ». La Côte d’Ivoire figurait aussi sur la liste noire de l’ONU en 2010.

Pour le secteur de la joaillerie, le défi est de taille. Le Processus de Kimberley a débuté dans la ville éponyme en Afrique du Sud en 2000. Initié par l’ONU, il associe les États producteurs de diamants le souhaitant (les membres du Processus de Kimberley représentent actuellement bien plus de 99 % de la production mondiale de diamants bruts selon Amnesty International), l’industrie du diamant et des ONG comme Global Witness, sur une base volontaire. Il a débouché en 2003 sur un système de certification, censé garantir qu’aucun diamant brut arrivant sur le marché mondial ne soit un « diamant de la guerre ». Le certificat permet en principe de tracer l’origine de la pierre et donc, d’empêcher les « diamants de la guerre » de s’introduire dans la chaîne commerciale régulière. En vertu du Processus de Kimberley, seuls les pays y ayant adhéré sont habilités à importer ou exporter des diamants bruts et ces derniers doivent être nantis de ce certificat, édité par le gouvernement du pays d’extraction. Quiconque commercialise des diamants sans Certificat de Kimberley dans les pays adhérant au processus enfreint la loi. Certaines ONG jugent le contrôle insuffisant dans les États où ces pierres sont négociées et taillées, tout cela conjugué à la délivrance de certificats de complaisance, qui affaiblissent le système : des « diamants de la guerre » circuleraient malgré tout, selon Global Witness. Ils seraient « blanchis » à l’occasion de leur périple, dans un pays signataire, mais peu regardant sur son origine véritable. C’est pourquoi, sans mobilisation consciencieuse ni transparence de l’ensemble des professionnels, entre les mains desquels transitent ces diamants, le Processus de Kimberley ne fonctionnera pas parfaitement. Il convient néanmoins de préciser que le diamant est la seule pierre pour laquelle un processus international a été mis en place : les rubis, saphirs ou émeraudes ne subissent pratiquement aucun contrôle à ce jour, alors que les problématiques politiques ou économiques sont les mêmes. Ainsi, des mines de pierres précieuses avaient été annexées au Cambodge (province de Pailin) par les anciens Khmers rouges. De même, certains gouvernements ont tenté un embargo sur les pierres en provenance de Birmanie, en protestation de la dictature en place. Faute de consensus international, l’efficacité de l’embargo a été très limitée. Le Processus de Kimberley a permis de réguler l’extraction du diamant, faisant chuter le trafic de pierres illicites (qui ne représentait que 4 % de la production mondiale en 1990, selon Amnesty International).

La Certification du Responsible Jewellery Council (RJC)

Cartier (groupe Richemont) est l’un des treize fondateurs du RJC en 2005. Objectif de ce « conseil pour une joaillerie responsable » : promouvoir l’éthique, le respect des Droits de l’homme, des droits sociaux et de l’environnement dans les pratiques de toute la chaîne de valeur de l’or et des diamants utilisés en joaillerie. Depuis, les fondateurs ont été rejoints par d’autres membres (plus de deux cent soixante-dix en 2011), de la mine au point de vente, parmi lesquels Van Cleef & Arpels, Piaget, Montblanc, Jaeger- LeCoultre, Baume & Mercier, Vacheron Constantin. L’adhésion implique de souscrire au code de bonnes pratiques défi ni par le RJC ; les membres sont tenus de faire auditer le respect des principes et des pratiques encadrées par ce code, avant la fi n du mois de décembre 2011. Ces audits débouchent sur une certification destinée à éviter que l’initiative ne vire au greenwashing. En 2010, Cartier est devenu le deuxième membre du RJC à obtenir la certification élaborée par ce dernier. Pour l’obtenir, plusieurs vérifications ont été effectuées par un organisme agréé, en l’occurrence SGS1. Tous les membres du RJC commercialisant des diamants se sont engagés à être audités et accrédités par un tiers certificateur, qui vérifie la conformité de leurs pratiques à l’aune du code de bonnes pratiques du RJC. Il définit les standards éthiques, environnementaux et sociaux censés permettre aux adhérents du RJC de conduire le changement, qui vise la traçabilité du diamant, tout au long de la chaîne de sous-traitance, de la mine au point de vente du bijou fini. En janvier 2011, Rubel & Ménasché, pourvoyeur français de diamants parmi les plus purs, polis en Russie et en Chine, a obtenu sa certification de conformité aux standards éthiques, de respect des Droits de l’homme, du droit du travail et de l’environnement prévus par le référentiel du RJC. Cette fois, les vérifications ont été effectuées par Jean-Baptiste Lescop et Marie- Charlotte Druesne, d’Ernst & Young et Associés (France). À cette date, Rubel & Ménasché est devenu le cinquième membre certifié du club RJC.


L’or propre, une gageure ?

Contrairement au diamant qui, une fois marqué, peut être suivi tout au long de sa vie (élément clé du Processus de Kimberley), l’or perd tout signe distinctif après chaque opération de fusion du métal. Avec le RJC, nous l’avons vu, se développe une chaîne de garantie centrée sur la pierre précieuse, mais de l’aveu même de notre témoin, Charles Chaussepied, très engagé sur le sujet à la BJOP (Union Française de la Bijouterie, de la Joaillerie, de l’Orfèvrerie, des Pierres et des Perles) où nous l’avons interviewé, « la RSE nous conduit à vouloir aller plus loin, en garantissant non seulement la provenance de nos diamants, mais aussi le métal — l’or, le platine — qui servent à le mettre en valeur ». Environ deux mille cinq cents tonnes d’or sont extraites chaque année pour fournir la bijouterie ; environ un gramme d’or sur trois est aujourd’hui recyclé. Sur la base de ces ordres de grandeur, « penser résoudre la question en acquérant une mine verte m’apparaît comme une fausse bonne idée pour plusieurs raisons. D’abord, sa faible productivité ; ensuite, parce que nous travaillons à partir d’alliages que nous achetons et qui résultent de mélanges d’origines potentiellement diverses. Comment alors distinguer l’once provenant d’une mine verte de celle qui ne le serait pas ou qui proviendrait du recyclage ? ». D’autant que l’orpaillage n’est pas une activité intégrée à la gestion de la mine qui l’exclut la plupart du temps, ce qui complexifie encore plus la question de l’origine de l’or, et de ses conditions d’extraction, ajoute notre témoin.

« L’or est encore plus précieux quand il est équitable », fait valoir Patrick Schein, promoteur d’une initiative baptisée ARM (Alliance for responsible mining), lancée en 2005. Au point de départ, il y a ce constat : l’activité minière artisanale aurifère est pratiquée par plus de quinze millions d’individus faisant vivre plus de soixante millions de personnes à travers plus de cinquante pays, dans les régions les plus pauvres du monde. Conditions de travail dangereuses, technologies rudimentaires inadéquates et peu productives, exploitation économique, risques sanitaires, pollution et illégalités environnementales constituent le quotidien de ces millions d’artisans mineurs, observe Patrick Schein. L’Homme doit être replacé au coeur de l’économie aurifère et le développement de cette activité doit lutter contre le sous-développement des communautés grâce auxquelles les acheteurs du luxe peuvent in fine disposer de belles créations joaillières, estime-t-il. L’ARM a donc constitué un comité technique pour mettre noir sur blanc les standards zéro de l’or équitable, en s’inspirant des normes du commerce équitable développées par l’organisme certificateur FLO. Le café, le chocolat, la banane sont susceptibles d’alimenter les filières du commerce équitable. Pourquoi pas l’or ? De fait, ces standards ont fait l’objet de multiples consultations publiques avant de déboucher sur la naissance du label Fairtrade & Fairmined pour l’or équitable en mars 2010.

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Extraits de Luxe et développement durable La Nouvelle Alliance, de Gilbert Collard, Eyrolles (Aout 2011)

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