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Jeux-vidéo en streaming : Google convaincra-t-il les gamers de renoncer à leurs consoles ?
©Christian Petersen / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP

Fin d'une époque

A l'occasion de la sortie d'Assassin's Creed Odyssey, dernier jeu blockbuster d'Ubisoft, l'éditeur français a annoncé un partenariat avec Google pour jouer en streaming au jeu via Google Chrome. Déjà proposé, bien qu'encore naissant, via par exemple la plate-forme Playstation Now, le « cloud-gaming » s'inspire de Netflix et vous permet d'éviter l'achat d'un PC ou d'une console. Un modèle prometteur mais qui propose un pas de plus vers la dépossession du joueur et vers la dépendance à une connexion internet, encore loin d'être homogène.

Ivan Gaudé

Ivan Gaudé

Ivan Gaudé est journaliste spécialisé dans les jeux vidéo et les nouvelles technologies, ancien rédacteur en chef de "DVD Magazine" et "Humanoïde". Il est cofondateur et directeur de la publication du magazine Canard PC. (Crédit Photo) Ivan Gaudé à Arrêt sur images.

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Atlantico : Le mirage du cloud-gaming est un projet qui a toujours buté sur des obstacles techniques. L'offre de Google de proposer Assassin's Creed Odissey, soit un jeu AAA, montre-t-il que les obstacles techniques, notamment la latence, sont surmontés ?

Ivan Gaudé : Le jeu en streaming existe déjà y compris pour des gros jeu avec le Playstation Now. Et d'ailleurs on remarque que l'annonce en question, conjointe entre Ubisoft et Google est finalement très modeste. Ils annoncent un test limité aux États-Unis et uniquement pour les gens qui ont une excellente connexion. C'est également limité dans la forme. Personnellement, je savais que cette annonce devait venir et j'ai été surpris du peu de poussée mis dedans comparé à ce à quoi on s'attendait. Il avait déjà eu l'année dernière des déclarations du PDG d'Electronic Arts et d'Yves Guillemot (PDG d'Ubisoft) lors de conférences avec des investisseurs. Ils s'enthousiasmaient sur le cloud-gaming en affirmant que c'était l'avenir, qu'ils étaient prêts à y aller. Pour Ubisoft, on comprend mieux pourquoi ils disaient ça, leur partenariat devait déjà être en cours. Et inversement il y a eu des déclarations beaucoup plus posées du PDG de Take Two disant : « c'est pas mal, ça arrivera d'ici trois à cinq ans, mais est-ce que ça va révolutionner les choses ? Pas forcément ».
Il y a des modèles qui existent déjà : le Playstation Now, une autre solution chez Nvidia (fabriquant de carte graphiques) depuis un moment. Une start-up française nommée Shadow Blade propose de son côté quelque chose de sensiblement similaire. Tout cela est issu de technologies qui ont déjà quelques années. Si Sony peut proposer ça, c'est parce qu'ils ont racheté une technologie nommée Gakai en 2012 pour près de 400 millions de dollars.
OnLive, une autre société concurrente existait aussi. Elle s'est depuis écroulée puisqu'à la suite du rachat par Sony il n'y avait pas de place pour deux. Microsoft a au passage récupéré beaucoup des ingénieurs de cette entreprise. Aujourd'hui, Microsoft parle de streaming et de cloud-gaming. Le concept tourne depuis plusieurs années. Alors est-ce que ça va changer le jeu vidéo commercialement ou technologiquement  ? Il y a plusieurs possibilités et différents arguments dans tous les cas.

Alors que le réseau 4G et la fibre sont loin d'être homogènes, le fait de proposer une offre basée sur le cloud gaming ne risque-t-il pas de provoquer d'importantes différences d'accès au marché du jeu vidéo ? Se dirige-t-on vers un jeu vidéo à deux vitesses ?

Non je ne pense pas. En fait le problème, c'est que pour faire du cloud-gaming sérieusement, il faut être une compagnie technologique possédant une échelle énorme d'un point de vue infrastructure, et sur la planète entière. Pour que ça fonctionne bien il faut que les gens aient une connexion suffisamment bonne pour que le produit qu'on leur propose soit acceptable. Les serveurs doivent être près de chez eux, c'est à dire dans leur pays. Google, Amazon, Sony, Netflix, Apple dans une moindre mesure sont donc des sociétés qui pourraient se lancer là-dedans. Elles ont des infrastructures, des data-center répartis dans le monde entier. Ça ne marche pas sans une très bonne connexion : stable et rapide. Aujourd'hui c'est presque exclusivement la fibre ou alors du très bon ADSL comme on en a en France.
Au passage il ne faut pas oublier que nous, Français, on ne se rend pas compte parce qu'on a l'habitude de râler, mais on a une connexion excellente et très peu chère par rapport par exemple aux Américains. Les Américains paient des centaines de dollars pour des connexions qui sont moins bonnes que notre ADSL. Il y a également des pays où les forfaits « tout illimité » n'existent pas ou valent des fortunes.
Donc il faut avoir cet aspect technologique fonctionnel pour que ça marche. Et de facto ça ne va pas intéresser énormément de gens. De plus, et c'est un argument très recevable, ce type de progrès technologique n'existe pas sans une offre commerciale à côté. Si l'on en juge par ce que font Sony ou Nvidia, ça va être un abonnement, à savoir une somme fixe tous les mois pour accéder librement à un certain nombre de jeux, ce qui est intéressant au niveau du pouvoir d'achat. Ça pourrait être rentable de payer 10€ mensuels pour ne pas acheter deux jeux à 60€ par mois par exemple mais ça limite quand même le public. Tout le monde n'a pas envie de payer 100€ par an pour des jeux vidéos. Les particules commerciales et techniques ont de grosses limitations sur ce point-là. Et techniquement nous ne sommes pas tout à fait prêts. Si Google et Ubisoft ne font une expérimentation que sur le territoire américain et que sur les gens qui ont une connexion au top, ça veut dire ce que ça veut dire.

L'hégémonie de Steam et du dématérialisé possèdent déjà un effet pervers : nous ne sommes pas propriétaires des jeux de nos bibliothèques. La même chose semble se profiler pour les consoles. Se dirige-t-on vers la fin de la propriété dans le monde du jeu vidéo ?

C'est un problème extrêmement complexe. Effectivement avec Steam nous ne sommes pas tout à fait propriétaires de nos jeux mais nous le sommes tout de même un peu. A moins que votre compte ne soit supprimé pour infraction à un certain nombre de règles ou que Steam disparaisse du jour au lendemain - ce qui est quand même relativement peu probable - vous ne perdez pas vos jeux. Avec le cloud-gaming et les offres sur abonnement, puisque les deux sont liés, effectivement on passe un cran au-delà dans la dépossession du joueur. Vous êtes abonné, vous avez accès à un certain nombre de jeux. Vous n'êtes plus abonné, vous n'avez plus accès à rien. Et d'un autre côté, vous ne les avez pas payé puisque vous ne les avez pas acheté individuellement ces jeux... C'est comme Netflix. C'est pour cette raison que l'accès technologique et social sont étroitement liés. Il faudra trouver le bon modèle pour pouvoir faire fonctionner la technologie, l'un ne va pas sans l'autre.

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