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Joe Biden a obtenu d'Israël de laisser entrer l'aide humanitaire dans la bande de Gaza.
Joe Biden a obtenu d'Israël de laisser entrer l'aide humanitaire dans la bande de Gaza.
©Brendan Smialowski / AFP

Menace existentielle

Alors que Joe Biden est venu mercredi à Tel-Aviv assurer l’Etat hébreu du soutien entier des Etats-Unis, la supériorité militaire et technologique israélienne paraît désormais plus challengée que ces dernières décennies.

Xavier Raufer

Xavier Raufer

Xavier Raufer est un criminologue français, directeur des études au Département de recherches sur les menaces criminelles contemporaines à l'Université Paris II, et auteur de nombreux ouvrages sur le sujet. Dernier en date:  La criminalité organisée dans le chaos mondial : mafias, triades, cartels, clans. Il est directeur d'études, pôle sécurité-défense-criminologie du Conservatoire National des Arts et Métiers. 

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Pierre Berthelot

Pierre Berthelot

Pierre Berthelot est chercheur associé à l' IPSE et directeur de la revue Orients Stratégiques. 

 

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Atlantico : Le président américain Joe Biden s'est rendu en Israël pour assurer de son soutien. Le job a-t-il été fait ?

Xavier Raufer : Les États-Unis n’ont jamais de vraie politique étrangère ; toujours, les retombées extérieures de stratégies made in Washington. À présent, les Israéliens n’ont nul besoin qu’on les cajole, ils ont une guerre à gagner, la plus ardue de leur histoire. Pourquoi est-ce si difficile, dans tout le grand Moyen-Orient, d’ailleurs ? Ni Israël, encore moins les États-Unis, on l’a vu en Afghanistan, ne savent combattre des milices ; ce que la doctrine militaire prussienne nommait Bandenkriege, guerres de bandes. Israël s’est mal sorti en juillet 2006 d’une telle guerre contre la milice du Hezbollah, filiale à 100% des Pasdaran iraniens. Car depuis la Révolution islamique de 1979, les retors dirigeants de Téhéran ont amusé la galerie avec leur bombe atomique ; pendant ce temps, dans la région, ils suscitaient en douce une galaxie de milices armées, pas seulement chiites : Yémen (Houthis), Liban (Hezbollah, etc.) d’autres en Syrie, à l’appui de Bachar al-Assad, et du pouvoir à Bagdad. Stratégie brillante : une milice ne coûte pas cher ; on la déclenche et l’arrête quand on veut (suffit de ne plus payer...). Pour la milice du Hamas, à investissement minime, résultat déjà énorme : les « accords d’Abraham » morts et enterrés ; le grand corridor commercial Bombay-Haïfa, via Dubaï et l’Arabie saoudite (riposte américaine au One Belt One Road chinois), aux oubliettes. Ceci d’essentiel posé, je réponds : de lui-même, le flageolant Joe Biden n’est pas très rassurant ; et des porte-avions pour affronter des milices, euh... Essayez.

L’Etat d’Israël est-il entré dans une nouvelle ère ? 

Xavier Raufer : Avant, les Israéliens étaient sûrs de leur supériorité militaire et de leur capacité à choisir la stratégie militairement ou politiquement la mieux adaptée. Et aujourd’hui ? Cette guerre diffère de celles du passé. D’abord, l’inepte tentative de renverser le régime de Bachar al-Assad vers 2011-2012, succédant à la guerre en Irak (2003-2011) et le chaos consécutif, ont offert aux dirigeants iraniens un cadeau à ce point sidérant, qu’à Téhéran, on a dû se frotter les yeux pour y croire : VINGT ANS continus d’aguerrissement pour leurs milices. On connaît ce dicton, tiré des (d’ailleurs, superbes) Écrits militaires de Mao « Se lancer dans la guérilla pour apprendre à faire la guerre ». De l’Hindu-Kusch aux rives de la Méditerranée ; des bords de l’Euphrate aux frontières de l’Égypte, vingt ans pour apprendre, s’entraîner, inventer, tester stratégies et méthodes, avec des parrains Iraniens, Nord-coréens, etc. Washington a déclenché une machine infernale immense - les Israéliens en subissent les effets. Face à cette « armée aux pieds-nus », le brave Joe Biden et ses porte-avions ; et l’armée d’Israël, qui n’a pas combattu depuis 15 ans et plus - je veux dire, au sol, au corps-à-corps.

Pierre Berthelot : Ils vont effectivement devoir agir comme ils ne l’ont jamais fait. Il y a un saut dans l’inconnu ! Jusque-là, Israël menait des guerres conventionnelles. Là, c’est une nouvelle façon de faire qui est imaginée que le pays n’a jamais connu. Comment éradiquer définitivement une force dans le cadre d’une guerre asymétrique d’une nouvelle forme ? Sur le papier, l’ennemi est plus faible. Mais il est sur son terrain, avec un certain soutien populaire. Ça change la donne par rapport à tout ce qui a été fait dans l’histoire d’Israël. 

Autre paramètre à intégrer dans la stratégie d’éradication, c’est la diaspora. Il ne faut pas totalement l’exclure. On peut imaginer qu’une partie ne va pas soutenir inconditionnellement Israël. Dans la diaspora juive, on sait qu’il y a des critiques, notamment, aux Etats-Unis. Est-ce qu’elle restera un soutien inconditionnel d’Israël ? Sans compter le risque d’attaque qui pourrait aller crescendo contre les populations juives dans le monde au fur et à mesure que l’offensive gagnerait en intensité. C’est un risque qu’il faut prendre en considération. C’est une nouvelle équation pour Israël. 

Pourquoi Israël prend son temps pour lancer l’opération terrestre ? 

Pierre Berthelot : Pour le moment, Israël retarde son offensive alors qu’elle avait dit qu’elle serait imminente. Plusieurs paramètres. Il faut s’assurer que l’opération à travers la collecte d’informations et l’évaluation des forces en présence est vouée au succès. Israël doit aussi prendre en compte le poids de l’opinion publique internationale y compris celle des civiles. Enfin, la question des civiles. L’armée israélienne ne peut pas se permettre d’aller à l’échec et accroître davantage les morts de manière inutile. Le gouvernement israélien marche sur des œufs s’il lance une opération qui se traduit par des centaines de victimes. Il faut s’assurer que les conditions de succès soient rassemblées d’un point de vue militaire. Il y a aussi une forme de pression externe. Fragile pour l’instant, car les Américains soutiennent fortement les Israéliens. Néanmoins, on voit des nuances. Joe Biden doit aussi tenir compte du fait qu’il a pour alliés plusieurs pays arabes sur lesquels la pression de l’opinion publique est importante. 

L’Etat hébreu fait face à un conflit sur plusieurs fronts. Quelle est la stratégie d’Israël pour se défendre ? 

Pierre Berthelot : Israël va arriver à mobiliser une force considérable. 300 000 réservistes ont été appelés. Israël va arriver à mobiliser une force considérable. Il s’agit d’avoir une force de persuasion. 

Il y a potentiellement cinq fronts. Les palestiniens de Gaza et le front nord avec le Hezbollah. Il peut y avoir quelque chose du côté de la Syrie avec des incursions par le Golan. La Cisjordanie est calme mais pourrait se réveillée. N’oublions pas les palestiniens israéliens que le gouvernement israélien surveille aussi. Israël n’est pas dans une guerre conventionnelle. Même s’ils ont une supériorité écrasante ans le nombre de forces disponibles, il faudra affronter le Hamas dans une guerre non conventionnelle car le Hamas, comme le Hezbollah, se mélange à la population. On retombe sur les mêmes problématiques connues par les américains en Irak et en Afghanistan. C’est-à-dire une armée écrasante en termes de forces disponibles mais qui n’assure pas forcément la victoire face à une guerre asymétrique et à des groupes qui combinent les actions de guérilla et de terrorisme

Hier soir, l’État hébreu autorise l’entrée d’aide humanitaire dans Gaza par le passage de Rafah. Israël change sa stratégie ? Subit-il la pression de la communauté internationale ?

Xavier Raufer : Israël est l’exact contraire d’un État-voyou ou d’une bande de desperados. Il a un rang mondial à tenir, sur une planète ou désormais, tout est su à la seconde, avec plus de téléphones portables (± 8,6 milliards) que d’humains. Tous les terroristes ont vu, fascinés, combien les attentats du 11 septembre avaient, parlons familièrement, fait « perdre les pédales » à Washington. À quel point sa riposte démesurée, désastre irakien, etc. l’avait plus discrédité que toute la propagande anti-américaine de toute de la Guerre froide. Clairement, par les massacres atroces de ces derniers jours, les « parrains » du Hamas veulent aussi faire sortir Israël de ses gonds. Concevoir une riposte mesurée, impitoyable, millimétrée et rapide, est fort difficile. Israël en est là et doit agir, Biden reparti.

Le renforcement du Hezbollah, la stratégie iranienne ou l’argent Qatari ont contribué à un rapport de force militaire moins déséquilibré ?

Xavier Raufer : Ce qui précède montre que non seulement le rapport de forces s’est rééquilibré, mais que la nature même de la « guerre de bandes » la rend peu praticable pour un État de droit, scruté par l’ONU, une kyrielle d’ONG humanitaires, l’Organisation mondiale de la santé, etc. Toutes entités dont bien sûr, le Hamas et ses parrains se moquent éperdument.

Pierre Berthelot : Il y a toujours une part d’inconnue. C'est ce qu’on avait vu en 2006. A l’époque, Israël ne pensait pas du tout que le Hezbollah allait être capable de lui résister. Est-ce qu’aujourd’hui Israël ne sous-estime pas le Hamas ? On a vu les conséquences en tout cas

On ne connaît pas véritablement la force du mouvement. C’est une inconnue pour Israël. Le Hamas a visiblement été renforcé. Il y a une sorte de Hezbollaisation. Le groupe a une nouvelle façon d’agir : l’effet de surprise et la montée en puissance des communications cyber. Le Hamas arrive davantage à les contrer ou même à intoxiquer. Le Hamas s’est renforcé technologiquement. Probablement grâce à l’aide de l’Iran et du Hezbollah. 

La pression internationale, l’évolution sociologique des opinions publiques en Occident sous la pression des mouvements décoloniaux et wokistes d’une part, de l’immigration sous influence islamiste d’autre part ont-ils changé la marge de manœuvre ?

Xavier Raufer : Pour la France en tout cas, les zigotos que vous citez ne sont que l’écume de la grande crise néo-puritaine aux États-Unis, pays qui s’offre parfois de tels soubresauts - et les oublie vite ensuite. Ainsi, le caustique Gore Vidal qualifiait son pays d’United States of Amnesia. Laissons ces hurluberlus woke s’offusquer de tout et du reste. Leur poids est infime dans l’ordre général des choses, notamment face à ceci : on nous bassinait avec le high tech et la guerre des étoiles - or voilà que renaissent les grandes compagnies du temps de Jeanne d’Arc... les Lansquenets des guerres de religion. Sur la ligne de front Ukraine-Russie, des tranchées comme devant Verdun... Reviens, Alvin (Toffler) ils sont devenus fous ! 

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